Le choix de la décision thérapeutique est traditionnellement déterminé sur l’évaluation de l’efficacité et sur la sécurité de l’approche thérapeutique. La sécurité prend en compte les effets secondaires rapportés par les patients, ainsi que les résultats des analyses de laboratoire tandis que l’efficacité dépend de l’évaluation du médecin traitant. Dès qu’il y a un consensus sur les objectifs thérapeutiques, un système cohérent et complet existe, permettant de prendre des décisions rationnelles.
La pratique quotidienne nous apprend quelque chose d’autre. Malgré l’existence d’outils d’évaluation et d’objectifs de traitement pour de nombreuses maladies importantes, le résultat à long terme dans la prise en charge de ces maladies dépend en grande partie d’une variable jusqu’ici sous-estimée, à savoir l’adhésion thérapeutique du patient. Selon l’OMS,1 les patients suivant exactement les instructions des médecins sont l’exception plutôt que la règle ; ceci est vrai pour toutes les spécialités médicales et indications thérapeutiques.
Les médecins sont familiers avec le concept de compliance définie par l’atteinte des objectifs d’un traitement par les patients ayant suivi leurs recommandations. L’adhésion thérapeutique est un concept plus large qui définit comment et combien de temps les patients prennent leurs médicaments ; il comprend la compliance comme condition préalable pour atteindre une cible thérapeutique (figure 1).
Le premier obstacle à l’adhésion thérapeutique est l’acceptation. Un bon exemple nous aidant à apprécier ce problème est une étude sur près de 2000 patients atteints de maladie inflammatoire de l’intestin, dont seulement la moitié acceptent vraiment le traitement qu’on leur propose.2 Ces derniers pensent que le traitement est hautement efficace, et ils ont peu de doutes. Les autres 40 % sont ambivalents, acceptant la haute efficacité du traitement, mais tout en ayant de nombreux doutes. Les 10 % restants sont sceptiques (traitement peu efficace, mais beaucoup de doutes), ou indifférents (traitement peu efficace, peu de doutes). En conclusion, ceci met en évidence la difficulté d’assurer l’adhésion thérapeutique pour la moitié des patients de cette population.
Une étude de suivi sur un groupe de patients avec la maladie de Crohn souligne la tournure dramatique des conséquences à long terme : tandis qu’après trois mois de traitement (thioprine), plus de 90 % des participants ont déclaré avoir suivi la thérapie (confirmé par le taux de métabolite de thioprine contenu dans les érythrocytes),3 75 % ont admis ne plus être compliants après quatre ans.4
Ceci soulève la question de la possibilité d’identifier les patients non compliants à l’avance. Contrairement aux croyances communes, il n’y a qu’une faible évidence suggérant que le genre, le revenu, l’âge ou l’ethnie soient de bons prédicteurs. Les paramètres les plus importants sont les effets secondaires, la représentation de la maladie, les coûts, la nécessité et l’efficacité thérapeutique perçue par le patient (tableau 1).5
Les convictions des patients sont cruciales pour l’adhérence thérapeutique (figure 2). Ces dernières peuvent être cependant difficiles à établir en comparaison des paramètres objectifs. Les médecins ont une meilleure vision pour évaluer l’efficacité thérapeutique perçue par le patient. En dermatologie, nous pouvons nous appuyer sur la pertinence des signes et symptômes distincts dans le contexte d’une certaine maladie. Par exemple, en ce qui concerne le psoriasis, le patient ressent des troubles du sommeil liés à la maladie. Des études récentes ont mis en évidence qu’une thérapie systémique permet non seulement d’améliorer les mesures d’activité « objectives » du psoriasis et de sa sévérité, mais également les troubles du sommeil. L’amélioration de ce paramètre est associée à l’augmentation de la qualité de vie globale.6
Il a été proposé que l’évaluation objective du psoriasis est suffisamment proche des résultats subjectifs rapportés par les patients. Ainsi, des données objectives suffisent à évaluer cette maladie. En effet, une bonne corrélation entre le PASI (Psoriasis area and severity index) et le DLQI (Dermatology life quality index) a été observée. Le premier quantifie objectivement les surfaces du corps touchées, le degré de l’érythème, les desquamations et l’infiltration des lésions sur la peau. Le deuxième est un questionnaire à remplir par le patient afin de comprendre à quel point la maladie affecte sa qualité de vie. Cependant, cette corrélation change au cours du temps, montrant que l’expérience du patient et ses attentes influencent la perception de l’efficacité d’un traitement donné.7
La prise du médicament est le marqueur du succès d’un traitement donné. L’objectif du médecin traitant est atteint lorsque le traitement suivi reste inchangé, et ceci avec la conviction du patient de l’utilité du traitement. Afin de mieux refléter le point de vue du patient, le concept de Happy Drug Survival a été récemment introduit, permettant de combiner la compliance du patient pour son traitement simple drug survival, avec les résultats rapportés par le patient, à savoir le DLQI.8 « La satisfaction du patient », définie par un DLQI < 5, ne montre pas ou peu d’influence de la maladie sur la qualité de vie. Le suivi d’une cohorte de 250 patients atteints de psoriasis, traités avec un médicament biologique (adalimumab, étanercept ou ustékinumab) pendant un an, a mis en évidence que le taux d’adhésion thérapeutique était de 75 %. Au début de la thérapie, une majorité (73 %) étaient « insatisfaits ». Cependant, après une année, 79 % des patients suivant toujours le traitement étaient « satisfaits » (DLQI < 5). En conclusion, « la satisfaction » semble être un bon prédicteur de la survie du médicament.
Il est fort probable que l’efficacité objective d’un traitement soit une des principales raisons de la satisfaction du patient, motivant ainsi ce dernier à poursuivre son traitement au long cours. Ceci ne peut cependant pas tout expliquer. Il est en effet intéressant de noter que, dans cette étude, il n’y avait pas de différence significative sur la « survie du médicament » entre l’adalimumab et l’étanercept, bien que l’étanercept soit considéré comme étant le traitement le moins efficace du psoriasis.9
L’auteur a aussi noté une tendance vers une meilleure adhésion thérapeutique avec l’ustékinumab comparé à l’adalimumab, sachant que les deux traitements sont tout aussi efficaces.9 Ceci suggère qu’il y a d’autres facteurs qui jouent un rôle dans le choix de la poursuite de l’adhésion thérapeutique des patients. Un de ces facteurs peut être l’aspect pratique du traitement : l’ustékinumab étant administré seulement quatre fois par an pendant le traitement d’entretien alors que l’adalimumab est donné toutes les deux semaines.
La notion d’inclure des résultats subjectifs, déterminés par le patient dans la définition des objectifs du traitement a gagné du terrain ces dernières années. En effet, on voit de plus en plus d’exemples comprenant une évaluation subjective, notamment dans l’arthrite psoriasiforme avec le concept « d’activité minimale de la maladie » qui comprend le HAQ (Health assessment questionnaire) en plus d’autres paramètres objectifs tels que le nombre d’articulations douloureuses, ou le nombre d’articulations enflées ;10 on retrouve en outre, comme autre exemple dans le psoriasis, la combinaison du PASI et du DLQI.11
Un aspect négatif du DLQI est le fait qu’il ne prend pas en compte les convictions du patient ou ses préférences par rapport à son traitement. Comme cité auparavant, les convictions du patient sont parfois difficiles à prendre en considération. Cela devrait faire partie de n’importe quelle discussion entre un patient et son médecin traitant. Essayer d’analyser ces problèmes par des questionnaires n’est pas toujours utile. Toutefois, comprendre les préférences individuelles du patient peut être facilité par l’utilisation de questionnaires. Dans le contexte du psoriasis, l’Index de bénéfice du patient (PBI : Patient Benefit Index) considère en priorité les objectifs des patients eux-mêmes ; ceci démontre ce qui doit être considéré dans les objectifs thérapeutiques futurs. Les convictions des patients sont sélectionnées dans une liste d’items identifiés lors d’interviews.12 Actuellement, de nombreux projets internationaux sont sur le point de mieux comprendre les perspectives du patient sur les aspects liés à sa maladie ainsi qu’à ses thérapies.
Une meilleure adhésion thérapeutique est obtenue en intégrant les convictions subjectives des patients aux constatations objectives des médecins.
En conclusion, l’introduction de médicaments toujours plus innovateurs et chers n’est pas le seul moyen d’obtenir une meilleure médecine.
Le Dr Maral Sahil n'a déclaré aucun conflit d'intérêts en relation avec cet article. Le Pr Wolf-Henning Boehncke a reçu des honoraires comme orateur et/ou conseiller par les entreprises suivantes : Abbvie, Pfizer et Janssen.
▪ L’adhésion thérapeutique du patient est un prérequis pour un bon résultat à long terme
▪ Les médecins doivent comprendre la perception qu’ont les patients de leur maladie et des traitements proposés, ceci permettant de donner de meilleures explications au patient sur son traitement, facilitant sa compliance thérapeutique
▪ L’évaluation globale du succès d’un traitement est basée sur des mesures objectives, associées aux résultats subjectifs rapportés par le patient. Dans le domaine du psoriasis, le PASI (Psoriasis area and severity index) pourrait être utilisé en combinaison avec le DLQI (Dermatology life quality index)
▪ Happy Drug Survival signifie qu’une bonne adhésion thérapeutique basée sur une bonne qualité de vie permettrait d’obtenir un bon résultat clinique sur le long terme