Avec le temps, que reste-t-il du secret médical ? Le 29 décembre 2013, Michael Schumacher, 45 ans, skie en compagnie de son fils et d’un groupe d’amis à Méribel (Savoie). Il heurte violemment un rocher de la tête. Lors de son admission au CHU de Grenoble, il souffre de lésions crâniennes « diffuses et sérieuses ». Le 4 avril 2014, communiqué de presse : « Michael fait des progrès sur son chemin. Il montre des moments de conscience et d’éveil. Nous sommes à ses côtés pendant ce long et difficile combat, avec l’équipe du CHU de Grenoble, et restons confiants » écrit Sabine Kehm, porte-parole de la famille. Pas plus de détails sur l’état de santé de l’ancienne star de la Formule 1 ? « C’est absolument nécessaire pour respecter l’intimité de Michael et de sa famille, et pour laisser travailler l’équipe médicale en toute sérénité ».
Juin 2014 : On apprend que le dossier médical du champion a été volé lors de son transfert de Grenoble au CHUV de Lausanne. Dès le premier jour de l’hospitalisation au CHU de Grenoble du champion allemand, diverses tentatives de violation du droit à l’image ou du secret médical avaient été déjouées. La direction de l’établissement hospitalier et les membres des équipes soignantes avaient ensuite réussi à maintenir un secret absolu. Dès son transfert à Lausanne, le service de presse du CHUV fait savoir que l’établissement observerait la même politique se refusant à tout commentaire qui pourrait donner le moindre indice sur l’état de santé du célèbre patient allemand, par ailleurs résident suisse.
29 décembre 2015. En France, le quotidien Le Parisien assure que l’état de santé de l’ancien champion est stable depuis un an. Pour autant, il reste préoccupant : il ne peut ni marcher ni communiquer et pèse à peine 45 kg, « lui qui en pesait vingt-cinq de plus avant son terrible accident ». En mai dernier, sa manageuse générale avait parlé d’une amélioration de l’état de santé. Depuis sept mois, aucun communiqué officiel. « Une bonne douzaine de médecins et kinésithérapeutes se relaient pour prodiguer à Schumi les meilleurs soins possibles 24 h sur 24, écrit Le Parisien. Corinna Schumacher doit ainsi payer 500 000 euros par mois pour permettre à son mari de survivre. S’il est vrai qu’une « Ferrari FFX Evoluzione » personnelle a été mise aux enchères à 11,2 millions d’euros, la famille Schumacher possède encore un matelas financier confortable grâce aux quelque 715 millions d’euros de gains acquis au cours de la carrière de pilote de Michael ». Qu’en est-il du secret bancaire ?
Sa traversée du siècle précédent témoigne des errances, des espoirs et des utopies de la psychiatrie. Né le 22 mai 1932 à White Plains, Robert Leopold Spitzer grandit à Manhattan et fréquente la Walden School. Un bachelor’s degree en psychologie à la Cornell University (1953), puis un titre de docteur en médecine (1957), à la New York University School of Medicine. Spécialisation en psychiatrie au New York State Psychiatric Institute (1961) ; puis au Columbia’s Center for Psychoanalytic Training and Research(1966). Suivront quantité de diplômes, de titres, de médailles.
Avant sa médecine, l’homme avait tâté l’orgone d’un Wilhelm Reich (1897-1957) bientôt aux prises avec la justice américaine. Après de nombreuses tentatives, déçu, il en avait été l’un des pourfendeurs. Psychanalysé et revenu de la psy-chanalyse américaine et orthodoxe, il s’était tourné vers le behaviorisme. Il s’est ensuite passionné pour la dépression, puis pour les classifications psychiatriques – un domaine où il a pu briller avant de se faire attaquer par les détracteurs de cette néo-Bible (parfois tenue pour déshumanisante) que sont les différentes versions du DSM.
Spitzer restera aussi comme l’un de ceux qui a le plus fait (dans les années 1970) pour que l’homosexualité ne soit plus, aux Etats-Unis notamment, rangée parmi les maladies mentales. Il devait toutefois alimenter une nouvelle controverse sur le sujet (obtenir, par des cures adéquates, de convertir les ho-mosexuels en hétérosexuels) avant, dix ans plus tard, de s’en excuser auprès des principaux intéressés.
« Spitzer ne manquait pas d’audace face à l’adversité, et il n’eut pas toujours tort, notamment quand, en 1975, il refusa d’inclure le racisme parmi les troubles mentaux, écrit Elisabeth Roudinesco dans Le Monde. Humaniste et visionnaire, il fut l’artisan sincère de la plus grande utopie jamais rêvée par la psychiatrie : construire un discours universel sur les troubles mentaux, valable pour la planète entière. Le plus étonnant est que le DSM a atteint son objectif au point d’être devenu l’outil dominant de toute la psychiatrie biologique contemporaine, mais aussi le “monstre’’ le plus contesté par une majorité de psychiatres qui rendent hommage au-jourd’hui à l’inventeur d’une classification dont ils récusent les principes. »
Alice et Lewis ont 150 ansEn introduction au DSM-III, le Dr Robert Leopold Spitzer citait Lewis Carroll et l’échange entre Alice et le Moucheron:
« A quoi leur sert d’avoir des noms, demanda le Moucheron, s’ils ne répondent pas à ces noms ?
– A eux, ça ne leur sert à rien, dit Alice, mais c’est utile, je le suppose, aux gens qui les nomment. Sinon, pourquoi les choses auraient-elles des noms ? »
Ce dialogue concerne les insectes – insectes dont le classement n’est pas sans rappeler celui des métamorphoses et de maladies mentales ; de même Alice n’est pas sans faire songer à la psychiatrie et, de l’autre côté du divan, à la psychanalyse. On sait que Charles Lutwidge Dodgson (1832-1898) écrivit sous le pseudonyme de Lewis Carroll des contes que l’on ne présente plus. Alice sa muse avec qui, plus que troublé, il descendait l’Isis. Son Alice qu’il fit suivre, dans un vaste et profond terrier, un lapin pressé. C’était bien avant que Freud commence à mettre au jour le souterrain des consciences humaines, celles des hommes de 30 ans comme celles des petites filles flirtant au grand jour avec l’âge de raison.
Spitzer, en 1975, refusa d'inclure le racisme parmi les troubles men-taux
Première publication en 1865. Un siècle et demi plus tard, le revoici sous la forme du manuscrit de Lewis, dans sa traduction d’origine, enserré dans un luxueux coffret.1 Alice-Lewis, un couple que l’on retrouvera à tous les étages de l’écriture, de la philosophie et de la folie. Chez Deleuze, Lacan ou Artaud. Chez Woolf, Aragon, Barthes, Joyce, Nabokov et
André Breton. Jusqu’à Amélie Nothomb.
Pathologique, Alice ? On a pu y voir un texte initiatique en résonance à la sexualité, aux drogues, à la révolte. Un tour de chauffe analytique, une initiation à la littérature. Entrevoir l’utérus dans la maison de la Duchesse ? La castration dans la Reine de cœur ? L’opium chez Carroll comme chez Doyle et son Wat-son ? Pourquoi pas. On peut aussi, chez Alice, entendre une forme de discours inversé de la méthode, percevoir un jardin anglais en miroir de ceux à la française.
Louis Aragon en 1931, sur Alice-Lewis : « A une époque où dans le Royaume définitivement Uni, toute pensée était considérée comme si choquante qu’elle eut hésité à se former, par un détour singulier, celui de la littérature du non-sens, la poésie opposa d’une façon tranquille sa grande voix aux déclamations académiques de l’ère victorienne, au moyen de simples livres d’enfants. »
Un an plus tard, en 1932 à White Plains, Robert Leopold Spitzer voyait le jour. A l’opposé du DSM, le surréaliste français avait, à sa façon, pris la mesure potentiellement révolutionnaire de la littérature du non-sens. Un nonsense qui ouvre au carré les portes qui laissent entrer le hasard et la fatalité. Une métaphore de la liberté. Dans sa descente vertigineuse vers les antipodes, Alice s’éloigne de la prédétermination divine. Objet flottant d’une absurde gravité, elle ne cesse, depuis un siècle et demi, de gagner en légèreté. Alice et ses merveilles ne prendront jamais une ride. La folie, sous Terre, est omniprésente. Quant au sourire flottant du chat, ne serait-ce pas celui du Sphinx ?