Il y a quelques semaines, une de mes patientes me demande un certificat lui permettant de participer à une compétition de « cross country ». Si j’ai bien compris, outre la course à pied, il faut sauter des obstacles, ramper, démontrer son adresse en VTT, bref se donner ! Cette jeune femme, malgré un parcours médical conséquent, n’a rien à envier aux stars qui font la couverture de la presse féminine : elle est magnifique et très en forme. Chimiothérapie digérée, elle a repris son niveau sportif, voire à un échelon supérieur. Je signe sans réticence l’attestation et m’attaque à la montagne quotidienne de mes papiers en laissant la porte de mon bureau entrouverte. C’est alors que j’entends cette patiente discuter avec « mon » infirmière et tenter de la convaincre de participer à la compétition avec elle.
– « Impossible ! » lui répond celle-ci « et vous avez vu la forme que vous avez… et en plus, je suis plus âgée que vous ! »
La jeune femme ne se démonte pas et avec une note espiègle et un brin de fausse naïveté lui répond :
– « Oui… mais moi, j’ai le cancer ! »
Cette répartie m’a fait éclater de rire et m’a mise en joie pour la journée !
Rire avec nos patients me paraît très important : rire permet de respirer, de libérer une énergie profonde. Cette curieuse combinaison d’une grande tension musculaire suivie d’une profonde détente associe des mécanismes physiques et psychiques indépendants de notre volonté. Cette émotion aux facettes multiples engendre le bienêtre, mais c’est aussi un instrument de dialogue, un atout dans les échanges. Pour certains, il constitue une façade qui masque l’angoisse, mais le plus souvent, le plaisir, l’amusement, l’humour dominent. Si nous arrivons à faire rire nos patients, nous nous rapprochons d’eux, nous leur signifions par un autre language notre souhait de les aider, notre intention première de les soigner.
Lorsque nos patients nous font rire, ils indiquent, comme cette patiente, qu’ils ont franchi une étape. Ils soulignent le recul, la distance prise par rapport à leur problème. Ils témoignent aussi de leur confiance et indiquent, peut-être, que les échanges peuvent s’effectuer selon une perspective un peu différente.
Rire possède des vertus thérapeutiques : certains de nos collègues, après analyse des cytokines relarguées après des fous rires, ont convaincu des institutions d’ouvrir des clubs du rire. Avec l’aide d’un moniteur, on rit dans ces groupes par période de plusieurs quarts d’heure pour se faire du bien, pour aller mieux. D’autres structures, telle la Ligue genevoise contre le cancer, développent, avec succès, des rencontres avec des humoristes, des acteurs, sur le thème « Peut-on rire de tout ? ». Ces techniques contribuent à détendre les malades, à décrisper certaines situations et offrent un bien-être.
Mais le rire peut blesser, nous le savons. Il se manie donc avec doigté. Nous avons tous, à l’occasion sur la base d’un malentendu, paru léger ou inapproprié, par manque d’écoute ou d’attention. La réaction de nos interlocuteurs nous rappelle à l’ordre, nous signifie le glissement inadéquat et nous avons beau souhaiter d’une manière très intense remonter le temps, rattraper les paroles envolées, c’est peine perdue.
Au quotidien, les médecins, les infirmières, les soignants profitent autant des bienfaits du rire que les patients. Dans cette anecdote, je suis la première bénéficiaire de cette espièglerie. Pourquoi la réponse de ma patiente me fait-elle tant rire ? Sans doute, l’ironie avec laquelle elle considère la maladie, et l’emploi qu’elle fait du regard de la société sur sa situation m’ont étonnée par la pertinence et le recul qu’ils impliquent. Mais c’est de réaliser que cette femme était