« Aux armes vaccinales, citoyens ! ». Marisol Touraine, ministre française des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, vient d’ouvrir un chantier pharaonique. Elle lui a donné un nom : « Plan d’action pour la rénovation de la politique vaccinale ».
« Depuis plusieurs années – c’est un fait – un mouvement de défiance vis-à-vis de la vaccination s’est développé dans notre pays, déclarait la ministre il y a quelques jours devant la presse. Malgré une situation globalement satisfaisante, des signes préoccupants ne peuvent être négligés : le taux de couverture vaccinale contre la grippe a chuté de 13 points depuis 2008, les professionnels de santé expriment leurs inquiétudes face à la baisse de la vaccination chez les nourrissons et à la résurgence régulière de cas de rougeole. »
Pourquoi ? Selon la ministre, les origines de ce mouvement sont diverses. « Elles tiennent pour partie à la manipulation, à la désinformation entretenues par certains, a-t-elle expliqué. Elles tiennent aussi paradoxalement à la perception que ces maladies graves auraient disparu, qu’elles seraient derrière nous. Mais elles relèvent également d’une insuffisante lisibilité de notre politique vaccinale, d’une compréhension affaiblie de l’intérêt individuel ou collectif de la vaccination et d’inquiétudes alimentées par de récentes ruptures d’approvisionnement. »
Fort de ce constat, un plan « décliné en quatre axes » va être lancé. Quatre axes, mais un objectif unique : « agir, auprès des particuliers, des professionnels de santé et des industriels, pour renforcer la confiance dans la vaccination ». Comment le politique compte-t-il s’emparer de ce débat de société ? Comment une ministre de la Santé, confrontée à la défiance vaccinale, pense-t-elle parvenir à redonner confiance dans une méthode qui rassure moins que par le passé, qui génère de nouvelles inquiétudes ?
On pourrait ici se borner à un rappel historique. Démontrer que la vaccination est l’un des acquis sanitaires fondamentaux du XXe siècle. Qu’elle a permis de faire reculer, voire d’éradiquer, des maladies infectieuses mortelles longtemps considérées comme une fatalité. Redire que la diphtérie tuait trois mille personnes chaque année en France avant l’introduction du vaccin en 1945, que le tétanos tuait également très volontiers. Que la vaccination « protège à la fois la société tout entière et l’avenir de chacun de nos enfants, en les immunisant ». Qu’elle symbolise dans un même élan l’appartenance à une communauté. Que se faire vacciner, c’est se protéger tout en protégeant les autres, notamment les plus fragiles. Que se faire vacciner est un droit individuel, doublé d’un devoir collectif.
Se faire vacciner est un droit individuel, doublé d’un devoir collectif
Pour l’heure, la France, pays jacobin plus que cartésien, construira une usine à gaz à quatre étages.
Mieux informer le grand public et les professionnels de santé. On annonce la publication d’un « bulletin trimestriel à destination des professionnels de santé » et la création d’un « Comité des parties prenantes ». Ce dernier, placé sous l’égide de la Direction générale de la santé, sera composé de professionnels de santé, d’associations d’usagers et d’institutionnels. Objectif : mieux comprendre les réticences éventuelles et anticiper les situations de crise. On annonce aussi une accélération de la mise en œuvre du carnet de vaccination électronique, entièrement personnalisé, pour améliorer le suivi du statut vaccinal des patients.
Mieux coordonner pour assurer une « meilleure gouvernance de la politique vaccinale ». Il s’agit notamment d’améliorer les connaissances sur les effets indésirables, de « renforcer » l’indépendance du « Comité technique des vaccinations », de soutenir la recherche sur les vaccins et de « fiabiliser » leur production.
Sécuriser l’approvisionnement en luttant contre « les tensions d’approvisionnement » et les « pénuries de vaccins ». C’est là un chapitre témoignant de la faible marge de manœuvre des dirigeants politiques face aux géants industriels producteurs de vaccins. Le plan français prévoit une « obligation » pour les industriels produisant des vaccins, inscrits au calendrier vaccinal, de mettre en place des plans de gestion des pénuries (constitution de stocks réservés au territoire national, mise en place de chaînes alternatives de fabrication des vaccins et identification de différentes sources d’approvisionnement en matières premières). Ces obligations seront assorties de « sanctions » en cas de non-respect. Dans le même temps est prévue une « simplification des autorisations d’importation afin de pallier un éventuel manque de vaccins en France ».
Reste que le gouvernement français apparaît ouvertement comme désarmé, attendant que les industriels lui remettent des propositions pour empêcher toute rupture d’approvisionnement et « assumer ainsi leurs responsabilités ».
Débattre au travers d’une « grande concertation citoyenne » sur la vaccination. La « concertation citoyenne » est une sorte de spécialité française. Celle-ci sera organisée en trois temps tout au long de l’année 2016, par un comité d’orientation qui sera présidé par le Pr Alain Fischer, spécialiste d’immunologie pédiatrique de réputation internationale et titulaire de la chaire de médecine expérimentale au Collège de France.
C’est alors que se jouera la question essentielle : maintenir ou pas une différence entre les vaccins obligatoires (contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite) et les vaccins recommandés (contre la rougeole, la rubéole, les oreillons, la coqueluche, contre l’hépatite virale de type B, les papillomavirus humains, les grippes saisonnières, etc.). Et sur le fond quelques autres sujets fondamentaux. Où fixer le curseur entre le bénéfice et le risque individuel ? Quelle acceptation du risque lié à la vaccination ou à la non-vaccination ? L’intérêt de la collectivité prime-t-il sur le libre arbitre de la personne ? Est-ce l’inverse ?
« Le statu quo n’est plus possible » peuton lire dans un rapport 1 qui vient d’être remis, à sa demande, au Premier ministre français. Il fait valoir que la distinction entre « vaccins obligatoires » et « vaccins recommandés » (une spécificité française) n’est plus pertinente. Cette distinction rendrait le dispositif peu lisible (y compris pour les médecins), les vaccins « recommandés » pouvant sembler « facultatifs ». La levée de toute obligation aidera-t-elle à une meilleure observance individuelle ? Faut-il redouter l’inverse ?