Travaillant en clinique adulte, je n’entends que peu d’histoires d’enfants, mais lorsque j’apprends ce à quoi sont confrontés nos jeunes, j’ai quelquefois le cœur serré. Voici les deux dernières histoires qui m’ont été contées.
Une jeune fille vient me trouver sur le conseil de son médecin traitant ; ensemble, il y a deux-trois ans, nous avions déjà reçu et accompagné quelques mois la famille – la mère et ses quatre enfants tandis que le père mourait d’un mauvais cancer. Cette jeune fille, âgée au-jourd’hui de 18 ans, arrive et pleure abondamment : elle vient de se séparer de son ami, qu’elle aime avec ardeur mais chez qui la consommation de substances est devenue de plus en plus envahissante et à risque. Le couple est en conflit depuis des mois autour de ce point litigieux. Elle qui a vu mourir son père, emporté par une maladie immaîtrisée, ne peut supporter de voir l’homme qu’elle aime choisir de s’exposer à des états physiques et psychiques aux confins de la vie ; elle assiste, impuissante, aux trips qui le lui rendent totalement étranger. De son côté, il lui reproche de laisser la peur dominer sa vie et d’être incapable de s’adonner au plaisir. Son entourage entier, me dit-elle, collègues d’étude, enseignants, participent à ces soirées de consommation ; elle se sent marginalisée, hors norme et s’interroge sur sa possibilité de trouver une place dans ce monde. Et moi qui suis de la génération des années 60, je me surprends en train de tenter de la rassurer qu’elle a bien le droit de s’abstenir de participer aux drogues-parties, qu’elle n’en est pas pour autant anormale… Sa solitude, son égarement, son envie de vivre et d’aimer si douloureusement contrariée me touchent. Mais l’on sent en elle une force affirmative qui ne me fait pas trop craindre pour la suite ; elle trouvera son chemin et ses liens d’appartenance avec les « oui » et les « non » qui balisent son destin.
Et voici la deuxième histoire. Une maman me raconte que son fils de 10 ans, Kilian, est accusé d’agressions sexuelles sur un petit voisin de 4 ans… Il devra être entendu par la police et passer en jugement. J’ai déjà rencontré cet enfant à qui j’ai parlé de la maladie chronique de sa mère (trouble dépressif et somatoforme), et du fait que cette maladie ne comportait pas de menace vitale. C’était un enfant sensible, un peu maladroit, en sérieux souci pour sa maman. Après des semaines d’enquête et d’audition, il est innocenté ; la responsabilité des allégations d’abus est attribuée à la mère de l’enfant victime qui, en plus de le maltraiter physiquement, le baigne dans une ambiance hypersexualisée. Reste que le jeune Kilian s’est trouvé plongé, lui aussi, dans une sexualité traumatique dont il aura bien de la peine à se dégager – d’autant que des rumeurs circulent à présent dans le quartier et les cours d’école, laissant entendre qu’il serait, du haut de ses 10 ans, un sombre pédophile… Moi qui, comme enfant, avais tant envie de savoir ce qu’il en était des mystères de la vie, je me surprends à lui souhaiter de pouvoir tout oublier de ses connaissances sexuelles et de se retrouver, comme ma génération à son âge, dans un état de curiosité interrogative à la mesure de l’ignorance où nous étions plongés.
Et toute ma compassion va à cette jeune génération à qui nous laissons un monde bien complexe, aux risques et aux charmes desquels nous n’avons pas forcément les moyens de les initier, qui nous devancent largement dans l’exploration de ce monde nouveau, tout en croyant – généreusement – que nous pouvons les y soutenir…