Tomber malade est un événement qui, qu’on le veuille ou non, transforme notre situation d’existence. Notre personnalité façonne cette rencontre avec la maladie et les soins qu’elle nous demande. Selon un premier point de vue, certains traits de personnalité peuvent se manifester comme une maladie en soi, et être définis comme un trouble de la personnalité. Dans ce cas, maladies somatique et psychiatrique sont considérées comme des comorbidités parallèles, indépendantes ou enchevêtrées. Selon un deuxième point de vue, la personnalité est considérée comme une prédisposition pour certaines maladies psychiques ou somatiques. Finalement, selon un troisième point de vue, la personnalité est révélée elle-même par les événements de vie tels que les maladies somatiques.
La perspective de la personnalité comme pathologie est traditionnellement adoptée en médecine. Les troubles de la personnalité sont considérés comme des pathologies relativement stables dans le temps, qui sont regroupées en catégories ou types, telles que définies dans la Classification internationale des maladies (CIM-10, Organisation mondiale de la santé) ou le Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-5, American Psychiaric Association). Selon cette perspective, c’est le médecin qui pose le diagnostic d’un trouble de la personnalité, pas le patient lui-même.
A l’hôpital général, 20 % des patients adressés aux services de psychiatrie de liaison montrent aussi un diagnostic de trouble de la personnalité.1 La comorbidité psychiatrique complique le traitement des maladies somatiques chroniques et les auteurs soulignent l’importance d’une prise en charge psychothérapeutique de ces patients au sein même de l’hôpital général ou lors des suivis ambulatoires posthospitaliers.
Une illustration classique de cette approche est le patient décrit comme souffrant d’un trouble de la personnalité borderline, présentant une situation médicale et psychosociale complexe, et qui ne se montre pas collaborant dans les soins somatiques.2
En psychologie médicale en revanche, la personnalité est un concept non pathologique, caractérisant chaque individu, en bonne santé mentale ou non. Au lieu de troubles, Costa et McCrae parlent de traits de personnalité, définis comme un ensemble de noyaux relativement cohérent de cognitions, d’émotions et de comportements, qui manifestent une stabilité temporelle et une cohérence transsituationnelle.3 Les traits interagissent avec l’environnement, dont la maladie somatique, et dans ces interactions se forment – par apprentissage – des adaptations caractéristiques à chacun de nous. Cette approche de la personnalité est dite dimensionnelle, car elle permet de décrire les individus en les situant selon des dimensions continues (au lieu des catégories diagnostiques). Actuellement, il y a un consensus sur cinq grandes dimensions pour caractériser les traits de la personnalité, qui peuvent être évalués à travers un autoquestionnaire (par exemple, le NEO PI-R, Inventaire de personnalité-révisé)3 rempli cette fois par le patient lui-même.
Plusieurs études se sont intéressées au rôle des traits de personnalité dans l’étiologie ou le maintien des maladies somatiques, avec des résultats empiriques qui restent controversés. A titre d’illustration, en neurologie, une étude auprès de patients souffrant de sclérose en plaques a montré que des traits pessimistes chez des personnes introverties et peu consciencieuses sont des facteurs de risque.4 En dermatologie, des patients présentant des urticaires idiopathiques chroniques ont une personnalité caractérisée par la recherche de nouveauté, un besoin élevé de reconnaissance et une forte volonté.5 En diabétologie, avoir un caractère peu consciencieux augmente de manière indirecte le risque d’avoir un diabète, à travers les difficultés à respecter une bonne hygiène de vie, contrôler le poids, faire une activité physique régulière ou appliquer les recommandations médicales.6 En revanche, en oncologie, malgré les croyances largement répandues, le lien entre personnalité et risque élevé de cancer ne trouve pas de confirmation empirique dans une méta-analyse incluant 42 843 personnes suivies sur cinq ans.6
En médecine psychosomatique, plusieurs maladies somatiques sont reconnues comme ayant une contribution de facteurs psychologiques, par exemple, hypertension artérielle, asthme, ulcères gastroduodénaux, allergies, affections dermatologiques, maladies auto-immunes, colopathies. Ces maladies présentent des altérations organiques ou biologiques objectivables cliniquement par des examens médicaux, mais comprennent également certaines manifestations fonctionnelles qui reposent sur aucun critère organique. Le modèle transactionnel de Lazarus et Folkman7 postule que les maladies somatiques sont le fruit du stress et des stratégies de coping des personnes, à savoir leurs efforts cognitifs et comportementaux pour maîtriser, réduire ou tolérer les facteurs de stress. La personnalité module ces stratégies de coping, et elle est ainsi indirectement liée aux troubles psychosomatiques. La considérer comme un facteur de vulnérabilité implique d’aborder la question de la culpabilité du patient. Si le fonctionnement psychique est un des facteurs qui ont amené le patient à rencontrer sa propre pathologie physique, il se pose inévitablement la question de sa responsabilité personnelle.
En appliquant des traitements, la médecine vise à corriger les symptômes, à permettre au patient de s’en séparer. En revanche, la psychologie médicale, notamment la psychothérapie à l’hôpital général, vise à être au service du symptôme, du psychisme, de l’âme. En adoptant des approches telles que la psychothérapie narrative8 ou la psychothérapie jungienne,9 le psychothérapeute invite le patient à se laisser guider par son symptôme somatique. Le symptôme permet alors d’explorer les émotions et pensées liées aux moments de crise, et la maladie devient une occasion pour le patient pour prendre conscience de ses valeurs et de ses difficultés et pour acquérir de nouvelles compétences.
C’est à travers un counseling psychologique10 que les psychothérapeutes de la psychiatrie de liaison mettent en évidence la valence de communication de chaque symptôme, de ce qu’il transmet au patient de sa singularité. Le counseling est une rencontre thérapeutique, un accompagnement psychologique dans la durée, qui vise à conseiller, aider et soigner. Il est centré sur la mobilisation des ressources et des capacités de la personne à faire face à ses problèmes. Le patient peut témoigner de son existence, son parcours, son histoire, sa trajectoire de vie et de ses motivations. Cette collaboration transformante permet au patient de changer les événements de vie en expériences subjectives, de se les approprier et de dépasser le choc de l’annonce pour se pencher sur la question du sens. Notre personnalité n’est pas le résultat d’un compte-rendu descriptif des événements qui ont marqué notre vie. Elle se construit à partir des récits racontés à propos de nos expériences et validés par les autres.
Madame W, enseignante, divorcée, sans enfant, âgée de 60 ans, vient d’apprendre son diagnostic de cancer de l’utérus. L’oncologue fait appel au Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise, car la patiente refuse le traitement proposé, considérant qu’elle a suffisamment profité de la vie et qu’elle préfère attendre la mort plutôt que se battre contre la maladie. Une évaluation de son profil de personnalité met en évidence une détresse psychologique qui se manifeste par de la tristesse, de la colère et de l’impulsivité, chez une personne qui se définit de nature indépendante, chaleureuse, joviale, active et meneuse. Dotée d’une curiosité intellectuelle et d’une sensibilité esthétique élevées, elle aime le changement et préfère la nouveauté à la routine. Elle manque néanmoins de confiance en elle, de méthode et de sens du devoir, ce qui l’empêche de concrétiser pleinement ses ambitions. Précipitée, elle tend à parler et à agir avant d’envisager les conséquences de ses actes. Au niveau relationnel, elle se dit altruiste et franche, mais peu sensible. Centrée sur elle-même, prenant des décisions rationnelles et logiques, elle a tendance davantage à se montrer cynique et sceptique quant aux intentions d’autrui, et préfère la compétition à la collaboration.
Grâce au counseling psychologique, Mme W. prend conscience du défi que lui pose son cancer et la décision du traitement. La maladie la confronte à sa difficulté à demander de l’aide et à s’appuyer sur autrui, ainsi que sa crainte de la solitude, de l’abandon, du rejet. Lutter contre son cancer de l’utérus revient pour elle à affronter la question de sa féminité et de sa maternité, l’absence choisie de partenaire et d’enfant, et la crainte d’une vieillesse isolée, inactive, et sans possibilité de transmission à la prochaine génération. Face à cette crise existentielle, son choix de mourir et de chercher à éviter ainsi l’étape de la vieillesse et de la retraite prend un autre sens. Après plusieurs semaines d’ambivalence, la patiente opte pour considérer le traitement oncologique proposé comme une occasion pour adapter son style de vie à son âge et au temps qui passe et pour apprivoiser ses limites physiques. Elle change d’avis, consent au traitement et choisit le compromis de se battre pour sa qualité de vie, et non contre la maladie.
L’utilisation de l’évaluation de la personnalité à l’aide d’un autoquestionnaire dans le cadre du counseling psychologique permet au patient de dévoiler ses traits de personnalité dont il n’avait pas consciemment connaissance. Cette évaluation offre au psychothérapeute un portrait des besoins et des ressources du patient, lui permet de comprendre et d’anticiper les difficultés inhérentes au traitement médical, et de choisir la forme d’accompagnement psychologique la plus optimale.11
La maladie est une tragédie, un événement de vie terrible dénué de sens et de contenu. Cependant, ceci ne signifie pas que le patient ne peut pas mobiliser ses ressources et ses capacités pour l’affronter quand elle le touche.9 La première ressource sera celle de la rencontre, la capacité de tisser un lien de confiance. La seconde sera celle de la parole, la capacité d’élaborer, de construire, et de chercher à donner un sens. Classiquement, l’accompagnement psychologique des maladies somatiques se penche sur les problèmes à résoudre, les pertes à accepter, les deuils à dépasser. Adopter une approche orientée solutions permet de se tourner vers ce qui est utile et générateur de solutions.12 Le médecin est expert de son traitement médical. Le patient est expert de son histoire de vie, et il a toutes les aptitudes et ressources nécessaires pour transformer la tragédie de la maladie en occasion pour l’épanouissement de sa personnalité. Il ne s’agit pas de déculpabiliser ou dédramatiser à tout prix, ou de convaincre le patient qu’il a de la chance d’être en vie, mais d’aider au contraire les patients à trouver leur propre lecture de ce qu’ils ont perdu, de ce qui reste et de ce qui se crée en eux. La tâche du psychothérapeute de liaison est de « dépathologiser » la maladie, d’éviter sa stigmatisation, et au contraire de la voir comme un événement faisant partie de la vie normale, et à considérer comme une occasion et une expérience en tant que telles. Ceci permet au patient de ne pas figer le symptôme et le perpétuer, mais de l’utiliser pour être à l’écoute de son corps et de sa maladie, et de ce qu’ils peuvent lui révéler sur le fonctionnement de son monde interne.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Adopter une approche dimensionnelle des traits de personnalité permet de déstigmatiser la détresse existentielle vécue par le patient en lien avec sa maladie somatique
▪ Tenir compte des traits de personnalité du patient dans l’accompagnement psychologique de sa maladie somatique permet d’améliorer sa qualité de vie
▪ Le NEO PI-R (Inventaire de personnalité-révisé) offre un instrument d’autoévaluation des traits de personnalité permettant au patient de prendre conscience de ses propres ressources et au psychothérapeute de liaison d’affiner ses indications psychothérapeutiques