« Zygote » est né dans le champ de la botanique. C’était un « corps sphérique résultant de la conjugaison de deux cellules végétales ». Puis il a vogué vers la biologie : « Œuf fécondé; cellule à 2n chromosomes résultant de la fusion des cellules sexuelles mâle et femelle ». « La fécondation comporte la fusion, cytoplasme à cytoplasme et noyau à noyau (caryogamie), de deux cellules appartenant à l’haplophase (phase haploïde du cycle reproductif) qui ont reçu le nom de gamètes. La cellule diploïde qui prend alors naissance est appelée zygote (Encyclopédie universalis (3e éd.), t. 101989, p. 201) ».
Avons-nous bien pris la mesure de toutes les conséquences de cette révolution qu’a été, dans l’espèce humaine, la dissociation hormonale de la sexualité et de la reproduction ? Et mesuronsnous bien, aujourd’hui, cette autre révolution qu’a été l’usage croissant de la congélation des gamètes et des embryons humains ? Rien n’est moins certain. Or voici qu’un ouvrage original, profond, documenté vient de paraître 1 qui nous impose de revenir sur cette mise entre parenthèses, sur cet azote liquide qui suspend le temps, déplace la vie, nourrit bien des projets, suscite bien de vertiges.
Deux auteures : Dominique Laufer, pédopsychiatre, clinicienne et chercheuse ; Véronique Mauron, historienne de l’art. Deux écoutes croisées pour recueillir des paroles et des récits de ce que vivent les personnes qui ont recours à la procréation médicalement assistée. Recueillir des témoignages de celles et ceux qui sont confrontés aux techniques de prélèvements et de manipulations de gamètes associées à « la bizarrerie qu’est la cryoconservation des embryons ».
« Au travers d’un récit qui donne forme aux témoignages des sujets (couples interviewés), récit enrichi d’observations cliniques, ce livre est moins une thèse qu’un aiguillon pour la pensée, nous expliquent-elles. Plutôt que d’apporter des réponses, il soulève des questions sociétales amenées par les biotechnologies autour des origines, de la filiation et de la mort. Au-delà des professionnels de la procréation assistée, il s’adresse aux sociologues, aux éthiciens, aux juristes, aux anthropologues, aux législateurs, aux médias ainsi qu’à tous ceux qui s’interrogent sur notre devenir. Présentant un volet original du vécu parental sur la naissance ou non d’enfants, il ajoute un élément non dogmatique et libre à la réflexion sur la famille et la procréation. »
cet azote liquide qui suspend le temps, déplace la vie, nourrit bien des projets, suscite bien de vertiges
On ajoutera que ce travail a été commencé en 2006, à Lausanne, après le vote de la Loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA) du 18 décembre 1998,2 cadre qui fut mis en application en 2001. Cette loi, comme celles votées dans d’autres pays, impose au terme d’un certain délai (cinq ans en Suisse) de décider du devenir des zygotes cryoconservés. Mais là où d’autres pays ouvrent l’éventail des possibles (« don à la science » ; « don à d’autres couples ») la loi suisse impose le transfert ou la destruction. Cette situation concentre le propos, cristallise le dilemme.
« Nous avons recueilli les discours de neuf couples détenteurs de zygotes cryoconservés, rencontrés un an avant la fin du délai légal de conservation, c’est-à-dire peu avant la prise de décision concernant le destin de leurs zygotes » lit-on dans le préambule. Suivent deux préfaciers. Le premier est François Ansermet, psychanalyste et professeur de pédopsychiatrie à l’Université de Genève, chef du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), membre du Comité national français d’éthique. Le second, Marc Germond, est un spécialiste reconnu de gynécologieobstétrique et de médecine de la reproduction, œuvrant au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) de Lausanne et au sein de la Fondation FABER. Pouvait-on imaginer préfaciers plus complémentaires pour nous éclairer sur un tel projet ?
Cet ouvrage ne vient pas s’ajouter aux mille et un qui, déjà, traitent des dimensions éthiques de cette « assistance médicale à la procréation » devenue, en France et au fil du temps, « procréation médicalement assistée ». Il n’aborde pas, non plus, la dimension esclavagiste ou fraternelle des « mères por-teuses ». Il rapporte des paroles de couples, de leurs souvenirs et de leurs nouveaux savoirs nés de l’expérience de la cryoconservation de quelques-unes de leurs cellules sexuelles. Et ces paroles nous disent les distances infinies pouvant être entre la vie et la raison raisonnante.
Le psychanalyste est là, à l’écoute. « Malgré une pratique procréative médicalement assistée de haute technologie, les discours tenus se révèlent des fantaisies surprenantes, parfois teintées de bizarreries, plus proches des théories sexuelles infantiles des enfants que de l’application d’un savoir technologique » écrit François Ansermet. S’étonner que les discours tenus par les patients révèlent à quel point les biotechnologies ont à voir avec les fantasmes de chacun ? Sans doute pas, et pourtant… « D’une certaine manière, les biotechnologies réalisent ces fantasmes procréatifs, en les dévoilant du même coup. Elles montrent de quoi est fait l’imaginaire de chacun, que celui-ci procrée de façon médicalement assistée, ou assisté d’une autre manière, que ce soit par la rencontre, l’amour, le désir ou la sexualité – il y a en effet aussi des procréations amoureusement assistées ou sexuellement assistées aussi bien. »
Etranges propos, pour qui n’est pas du métier. Nous entendons au fil des pages une sexualité mise en avant au moment où elle est, par définition, contournée. « Le mystère de l’origine y est, comme toujours, revisité ». « Mais surtout il me semble que le gel du temps révèle la dimension la plus irreprésentable dans la conception d’un enfant, à savoir la mort dans la procréation, écrit encore François Ansermet. Comme le disait Socrate, rapportant les propos de Diotine dans Le Banquet de Platon, la procréation “ vise la part d’immortel dans le vivant mortel ”. » Reste que ni Socrate ni Platon ne connaissait la cryoconservation. Et qu’en imposant l’usage ou la destruction des embryons, le législateur nous rapproche de Pierre Corneille (1606-1684) et de son célèbre dilemme entre l’amour et le devoir.
« Docteur, nous n’arrivons pas à avoir un enfant… » Le propos du second préfacier n’est pas moins riche, pas moins troublant. Il entend la blessure, la tristesse, l’espoir peut-être. Marc Germond nous parle, et nous l’en remercions de ce côté-ci des Alpes où nous écrivons, de cette suissitude qui caractérise le zygote. Ainsi donc le législateur de la Confédération a choisi de faire une croix sur embryon pour préférer « ovocyte imprégné par le spermatozoïde ». Artifice de langage ? Ce serait, sans doute, trop simple. Le mystère de l’imprégnation plutôt que la franche fécondation ? Pourquoi ? Sommes-nous plus près de la réalité biologique et de deux génomes juxtaposés ? Est-ce au contraire ne pas vouloir nommer ce qui est advenu ? Une manière de dire que, le cas échéant, on ne fera qu’effacer une imprégnation ? Qu’il n’y aura jamais, stricto sensu, une destruction ?
« Actuellement seules la Suisse et l’Allemagne utilisent cet “ artefact légal ”» écrit Marc Germond. Il ajoute : « Dans leur constellation sociopolitique, cet artefact leur permet, a priori, par défaut, d’éviter (théoriquement) le difficile débat sur la place juridique de l’embryon et sur ses droits ». En France, on ne sait pas ce qu’est un « ovocyte imprégné par le spermatozoïde ». Pour autant, nous avons aussi évité (théoriquement) le débat sur les droits de l’embryon. Du moins jusqu’à présent.