Ce n’est pas tout à fait du brouillard, puisque j’arrive à lire les écrans indicateurs. Mais l’atmosphère est humide. Cette humidité qui traverse les polaires les plus épaisses et vous refroidit. On songe à la destination du train, comme aux tropiques : Interlaken-Ost, où le fond de l’air devrait être meilleur. Rêverie délicieuse d’un ailleurs, en cherchant le bon quai dans le couloir souterrain glacé, alors que l’estomac vient de se réchauffer au cordon bleu, coulant, du café Flügelrad. Le contraire de l’omelette norvégienne : le sorbet est à l’extérieur. Flügelrad, la roue ailée, symbole des chemins de fer fédéraux, lieu emblématique de réunion dans un nœud ferroviaire, d’où l’on s’envole pour quelque part, mais où la nourriture terrienne vous retient à table. On aime être dans le cocon. Drôle de gare au milieu d’un enchevêtrement de rails et l’on ne sait jamais de quel côté l’on est, ni dans quel sens on va partir, du moins les premières fois.
Après, l’on s’oriente par le buffet de la gare, mais si le train arrive de l’autre côté on est de nouveau perdu. Surtout par les nuits sans étoiles. Olten, la gare la plus mélancolique de Suisse, quintessence du spleen helvétique, le fado de trois cultures qui se retrouvent ici pour discuter de l’essentiel entre deux trains. On parle à Olten entre Suisses de l’avenir de la médecine et l’on voit disparaître des projets pour laisser la place à d’autres. On observe le changement, la branloire pérenne. Comme dirait mon collègue tessinois le plus navré par toute cette évolution, citant Leopardi : Tutto ciò che è finito, tutto ciò che è ultimo, desta sempre naturalmente nell’uomo un sentimento di dolore, e di malinconia. Mélancolie et pourtant grands espoirs d’une gare dans les nuées dont les voies nous conduiront vers le Sud. Mon train est annoncé pour retourner en Romandie et j’entends dans le haut-parleur la voix enregistrée annoncer sur voie 11, l’arrivée de l’express Schiller :
Ach, aus dieses Tales Gründen, Die der kalte Nebel drückt, Könnt ich doch den Ausgang finden, Ach wie fühlt ich mich beglückt ! Dort erblick ich schöne Hügel, Ewig jung und ewig grün ! Hätt ich Schwingen, hätt ich Flügel, Nach den Hügeln zög ich hin.
Et sur les belles collines je vois l’avenir. J’ai le bonheur d’être triste, me souffle Victor Hugo.