Alors qu’à Genève la médecine sexuelle s’est développée au début des années 1970 grâce à l’enthousiasme des Prs Geisendorf, Pasini et Abraham, Lausanne a bénéficié de l’énergie du Pr Gloor (figure 1), psychiatre et psychanalyste, disparu il y a 25 ans. Après s’être investi dans la lutte pour la libéralisation de l’IVG et avoir mis sur pied un planning familial à la maternité en 1958 ainsi qu’en milieu extrahospitalier (Centre médico-social Pro Familia) en 1967, il crée en 1976 la consultation de sexologie pour couple à la maternité du CHUV. Il enseigne la sexologie à l’Université, les points de vue des Américains Masters et Johnson entre autres, qu’il élargit des apports de la psychanalyse. Il est décrit par ceux qui l’ont fréquenté comme un homme modeste malgré ses connaissances encyclopédiques, un homme ouvert d’esprit, chaleureux, passionné non seulement par la psychanalyse, mais également par la sexologie, l’anthropologie, l’histoire. Son héritage s’est maintenu puisque la sexologie fait toujours partie du programme offert aux étudiants en médecine à l’Université de Lausanne. La consultation de sexologie s’est poursuivie quelques années après sa retraite, conduite par le Dr Hurni, puis la question de la sexualité a été intégrée dans le cadre de la consultation de psychosomatique de la maternité.
La sexualité est une fonction naturelle de l’être humain. Elle est reconnue comme l’un des paramètres de la qualité de vie et le concept de santé sexuelle est défendu par l’OMS depuis plus de 40 ans. La fonction sexuelle dépend à parts égales de facteurs biologiques, psychologiques, socioculturels et interpersonnels. La médecine a donc un rôle à jouer auprès des hommes et des femmes pour assurer leur santé sexuelle, en dépistant et diagnostiquant leurs difficultés et dysfonctions sexuelles et en proposant une prise en charge spécifique. A l’intérieur-même du monde médical, il n’y a pas une spécialité plutôt qu’une autre qui soit plus apte à s’occuper de la santé sexuelle des patients, d’où le besoin d’une « nouvelle » discipline, la médecine sexuelle. Cette branche en soi ne peut plus être une partie infime de la psychiatrie, elle se veut transversale et nécessite, pour évoluer au mieux, une plateforme somatique, comme la gynécologie par exemple, pour la mettre en relation avec les autres domaines de la médecine. Il n’y a pour l’instant pas de parcours de formation défini pour pratiquer la médecine sexuelle, tout comme il n’existe pas de modèle standard de consultation. La Société internationale de médecine sexuelle (ISSM) a proposé récemment un algorithme de prise en charge des dysfonctions sexuelles (figure 2).1 En Suisse, une consultation de médecine sexuelle a récemment vu le jour à l’Hôpital universitaire de Bâle.
Par ailleurs, le caractère éminemment biopsychosocial de la sexualité fait que la médecine doit dans ce domaine travailler de manière multidisciplinaire et en réseau.
Depuis l’été 2014, et sous l’impulsion du Pr Hohlfeld, une consultation de médecine sexuelle est proposée à la maternité du CHUV. Une cheffe de clinique spécialiste en gynécologie-obstétrique et formée en sexologie clinique assure la consultation sous la supervision du Dr Bianchi-Demicheli, psychiatre et spécialiste en médecine sexuelle. Actuellement, elle a lieu un jour par semaine.
Après que le (la) patient(e) a exposé le motif de sa consultation, nous procédons à une anamnèse incluant l’histoire médicale, chirurgicale, psychologique, ainsi que gynécologique et obstétricale chez les femmes. Les habitus et les médicaments sont également relevés. Nous poursuivons par une anamnèse sexuelle, en évaluant les différentes étapes de la réponse sexuelle (désir, excitation, orgasme) ainsi que la présence de douleurs associées à l’activité sexuelle. Nous parcourons ensuite les expériences sexuelles du (de la) patient(e), recherchons d’éventuels événements traumatiques. Le reste de l’anamnèse est guidé par la plainte du (de la) patient(e) et peut s’intéresser au cas par cas à son identité de genre, à ses fantasmes.
Chez les femmes qui consultent pour des douleurs ou un vaginisme, un examen gynécologique orienté est réalisé (tableau 1). Cet examen s’inspire notamment des pratiques défendues au sein de l’International scientific society for women sexual health (ISSWS), entre autres par Dr Irwin Goldstein, urologue qui dirige plusieurs centres de médecine sexuelle à San Diego aux Etats-Unis.
L’examen commence par une évaluation de la marche et de la posture, car des défauts posturaux peuvent se répercuter sur l’ensemble du plancher pelvien. On poursuit par une inspection de la vulve et du périnée ainsi que de chacune de leurs structures, idéalement avec un colposcope, à la recherche de lésions, de modifications architecturales ou de la trophicité. La trophicité des tissus donne des informations sur les status œstrogénique et testostéronique de la patiente. Le clitoris est examiné ainsi que son capuchon qui doit être bien mobile. Une attention particulière est portée sur le vestibule (figure 3), notamment en cas de dyspareunie superficielle. On examine sa sensibilité à l’aide d’un Q-Tip humidifié. Si le contact du Q-Tip est douloureux, le diagnostic de vulvodynie doit être évoqué. Le thème de la vulvodynie, ses étiologies et sa prise en charge ne font pas l’objet de cet article. Des recommandations récentes ont été publiées.2,3 Un examen neurologique local est également approprié, avec le testing du réflexes bulbo-caverneux clitoridien (racines S3) et du réflexe anal (racines S4), ainsi que la sensibilité des différentes zones de la vulve. Vient ensuite l’évaluation de la musculature du plancher pelvien, son tonus au repos, à la contraction, la mise en évidence de zones douloureuses. Le trajet du nerf honteux est palpé, également à la recherche de zones sensibles. La vessie et la cloison recto-vaginale sont également palpées, de même que les ligaments utéro-sacrés, à la recherche de nodules d’endométriose. Le toucher bimanuel apprécie la taille, la position et la mobilité de l’utérus, ainsi que les annexes.
L’examen au spéculum permet d’examiner le col et de faire des prélèvements pour des analyses bactériologiques, à la recherche d’infections vaginales ou du col, pouvant expliquer des dyspareunies superficielles (mycose, vaginoses persistantes) ou profondes (Chlamydia, Gonocoques).
L’accent est mis également sur l’aspect éducatif. Cette étape est importante car la plupart des patient(e)s connaissent peu leur corps et son fonctionnement ; un certain nombre de dysfonctionnements découle de fausses croyances ou d’informations erronées sur la sexualité. L’anatomie est décrite à l’aide de planches anatomiques ou de représentations en trois dimensions. Le fonctionnement de la réponse sexuelle est également expliqué à l’aide de schémas. Les autres aspects de la santé sexuelle comme la prévention des infections sexuellement transmissibles ou la contraception sont également abordés au besoin.
Tout au long de l’entretien et de l’examen, nous pratiquons le feed-back « in vivo » qui favorise l’acquisition et la compréhension des informations par les patient(es), la relation de confiance entre le médecin et le (la) patient(e) et autonomise l’individu.
L’évaluation initiale permet de poser des hypothèses diagnostiques et d’orienter vers une prise en charge qui se fera selon plusieurs axes et de manière multidisciplinaire. Les causes somatiques peuvent nécessiter une prise en charge chirurgicale ou pharmacologique spécifique, voire hormonale. La thérapie manuelle occupe une place très importante dans la gestion des douleurs pelviennes et des vaginismes. Nous travaillons en étroite collaboration avec un réseau de physiothérapeutes, ostéopathes et ergothérapeutes spécialisés dans les dysfonctions du plancher pelvien et ayant une grande aisance à aborder la sexualité. La prise en charge peut également impliquer un(e) psychologue, psychiatre ou thérapeute de couple selon le problème rencontré, idéalement formé(e) en sexologie. Tout ce réseau une fois activé, le suivi se fait au sein de la consultation en médecine sexuelle, avec des pointages réguliers de l’évolution des symptômes sexuels et l’apport d’outils sexothérapeutiques divers.
Nous présentons ici les premières données concernant l’activité de cette nouvelle consultation.
Depuis le début de la consultation, 122 patient(e)s ont été vu(e)s, dont 6 hommes. Ce déséquilibre s’explique par le fait que la consultation ayant lieu au sein du Département de gynécologie-obstétrique, celui-ci a fourni la majorité des patientes. La consultation de médecine sexuelle est cependant clairement ouverte aux hommes et va développer dans le futur proche ce créneau.
Les patient(es) sont né(e)s entre 1936 et 1999. Un tiers a entre 30 et 40 ans, un peu moins d’un tiers entre 20 et 30 ans au moment de la première consultation. Trois patientes ont moins de 20 ans et 5 plus de 60 ans. Les hommes ont entre 30 et 50 ans (figure 4). Les patient(e)s sont adressé(e)s 3 fois sur 4 par un service interne du CHUV et dans un tiers des cas depuis l’extérieur du CHUV, par des médecins installés en cabinet, gynécologues ou autres (22 %), mais également par des physiothérapeutes et ostéopathes spécialisées dans la prise en charge du périnée (7 %). Onze patientes ont elles-mêmes pris contact avec la consultation (figure 5).
Les motifs de consultation sont variés, mais représentent tous les aspects de la réponse sexuelle. Les douleurs liées à l’activité sexuelle constituent la majorité des plaintes (43 %) chez les femmes. Viennent ensuite les troubles du désir dans 24 % des cas, les vaginismes dans 13 % des cas, les troubles du plaisir dans 3 % des cas (figure 6). Un cas d’excitation génitale persistante nous a également été adressé. Deux hommes ont consulté pour des troubles éjaculatoires et un pour des problèmes d’érection.
A ce jour, 60 % des prises en charge sont terminées. La majorité d’entre elles ont nécessité entre 1 et 3 rendez-vous, et un petit nombre a bénéficié de plus de 6 consultations.
Après évaluation initiale, nous donnons une impression diagnostique qui oriente la suite de la prise en charge. Chez une patiente sur quatre, nous retenons le diagnostic de dyspareunie, chez une sur 10 celui de vaginisme. Dans 14 % des situations, nous pouvons conclure à une composante relationnelle majeure comme cause de la difficulté sexuelle, et dans 11 % des cas à une composante psychologique. Plusieurs diagnostics peuvent évidemment être posés chez la même patiente.
Seize pour cents des patientes ont été orientées vers une prise en charge manuelle. Dix-sept pour cents des patient(e)s ont bénéficié d’un soutien psychologique par des thérapeutes formés en sexologie, que ce soit seul(e) ou en couple.
D’autres collaborations avec notamment le centre d’antalgie et l’oncologie ont récemment pris forme, et d’autres encore sont en gestation, pour une prise en charge encore plus globale des patient(e)s.
Alors que la sexualité est une fonction vitale qui participe de manière fondamentale à la santé et à la qualité de vie de chacun, et que des pionniers ont dès les années 70 défendu cette approche transversale en Romandie, la médecine sexuelle est une discipline « jeune », qui est en train de se développer progressivement en Suisse.
Les techniques d’entretien, l’évaluation globale, les status orientés, puis le travail en réseau multidisciplinaire sont les particularités de cette consultation.
Le développement de nouvelles collaborations va permettre d’étoffer encore la prise en charge des dysfonctions sexuelles masculines et féminines, à tout âge.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Au Pr Patrick Hohlfeld, puis à ses successeurs pour leur soutien à cette consultation. A Christel Gumy, qui a retracé l’histoire de la sexologie lausannoise de 1950 à 2000 dans le cadre du projet FNRS « Façonner l’hétérosexualité : histoires des « troubles » du désir féminin en Suisse Romande de 1960 (1950) à nos jours », et qui nous a transmis une brochure fort intéressante publiée en 1993 par le Centre médico-social Pro Familia en hommage au Pr Gloor.
▪ La sexualité est un aspect fondemental de la santé et de la qualité de vie de chacun. Elle devrait pouvoir être évaluée dans un cadre médical, au même titre que les habitus et les différents systèmes
▪ Les difficultés sexuelles masculines ou féminines nécessitent une approche multidisciplinaire que la médecine sexuelle, discipline transversale se propose de prendre en charge
▪ La consultation de médecine sexuelle propose une anamnèse élargie, un status gynécologique orienté, puis une prise en charge par un réseau multidisciplinaire spécialisé