C’est une première. Une équipe médicale française, dirigée par le Pr Marina Cavazzana (Institut des maladies génétiques Imagine, Inserm, Hôpital Necker /Assistance publique-Hôpitaux de Paris), vient d’annoncer le premier succès d’une thérapie génique de la drépanocytose, cette maladie héréditaire due à une malformation de l’hémoglobine, responsable de formes graves d’anémie chronique. Ce travail vient d’être publié dans un « brief report » du New England Journal of Medicine.1 Et c’est une première pour laquelle les auteurs disposent d’un recul de plus de deux ans. Pour autant, prudente, le Pr Marina Cavazzana se refuse à parler de « guérison » pour son premier patient. Il s’agit d’un adolescent âgé de 13 ans aujourd’hui, dans une situation totalement stable et pour lequel les données actuelles laissent espérer que la rémission obtenue va se poursuivre pendant des années. La formule retenue est celle de « rémission prolongée ». Ce jeune patient souffrait d’une forme très sévère de drépanocytose. La correction génétique apportée fait que les transfusions sanguines ne sont plus nécessaires, que le taux d’hémoglobine est normal et que l’enfant mène une vie normale.
A ce titre, cette publication marque une étape historique dans l’histoire de la drépanocytose, maladie génétique la plus répandue dans le monde : elle touche plus de cinq millions de personnes. Elle est particulièrement fréquente dans les populations d’origine antillaise, africaine et méditerranéenne mais elle est également présente en Inde et en Amérique du Sud, notamment au Brésil. En France, on recense environ un cas sur 3000 naissances avec des variations importantes d’une région à l’autre (de 1 sur 16 000 à Lille et 1 sur 550 à Saint-Denis en région parisienne). Les cas sont le plus souvent diagnostiqués au sein de la communauté africaine ou antillaise. En Afrique noire, la prévalence peut atteindre une naissance sur 30 et, aux Antilles, une sur 280.
Il faut maintenant confirmer que cette stratégie est efficace à long terme avec une toxicité acceptable
« On ne sait pas guérir la drépanocytose, mais il est possible de soulager les douleurs en période de crise, de prévenir au mieux les infections graves, de prendre en charge les complications et surtout de les prévenir avant qu’elles surviennent, souligne le site Orphanet2 à l’attention du grand public. Dès l’annonce du diagnostic, les bébés doivent recevoir tous les jours un sirop antibiotique (pénicilline) et ce, en général, jusqu’à l’âge de 15 ans environ, afin d’éviter, dans la mesure du possible, les infections graves et les hospitalisations. De plus, les enfants doivent bénéficier de vaccinations supplémentaires. (…). La prise quotidienne d’acide folique (vitamine B9), dont l’organisme peut manquer en cas de drépanocytose, permet d’éviter certaines aggravations de l’anémie. »
La correction de l’anémie peut devenir nécessaire lors des épisodes de « séquestration splénique » ou d’infections. Mais ce sont les crises douloureuses qui constituent la première cause de consultation ou d’hospitalisation et qui peuvent conduire à la nécessité d’avoir recours à la morphine ou à ses dérivés. Un traitement médicamenteux de fond peut être proposé aux malades atteints de forme sévère de drépanocytose : l’hydroxyurée (ou hydroxycarbamide), capable d’augmenter chez l’adulte la production d’une hémoglobine présente normalement chez le fœtus et en infime quantité après la naissance (hémoglobine F). « Ce traitement n’agit toutefois pas sur les infections pulmonaires ou osseuses et ne met pas non plus à l’abri des accidents vasculaires cérébraux et des atteintes osseuses secondaires, précise Orphanet. Il existe certains effets indésirables ainsi qu’une influence probable de ce médicament sur la fertilité masculine. Des échanges transfusionnels partiels peuvent également être effectués. »
C’est dire l’espoir que représente, ici, la mise au point d’une thérapie génique. Le vecteur de la thérapie génique mise au point par l’équipe française est un lentivirus, dans lequel a été introduit un gène spécifique (antisickling ß-globin gene). Il a été élaboré par le Pr Philippe Leboulch (CEA, Brigham and Women’s Hospital and Harvard Medical School, Boston). Ce vecteur « LentiGlobin BB 305 » est développé par la société américaine Bluebird Bio, fondée par le Pr Leboulch, qui a financièrement soutenu ce travail avec l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris et l’Inserm.
Le jeune malade a été traité à l’aide de ses propres cellules souches hématopoïétiques, prélevées puis modifiées à l’aide du vecteur lentiviral afin qu’elles expriment une version « thérapeutique » de la ß-globine constitutive de l’hémoglobine. Après une chimiothérapie à base de busulfan (destinée à éliminer les cellules souches hématopoïétiques, porteuses de la version du gène de la ß-globine à l’origine de la maladie) la greffe a été réalisée avec les cellules souches modifiées.
Au bout de quinze mois, les ß-globines « thérapeutiques » représentaient 48% des ß-globines présentes dans le sang du patient, au-dessus de l’objectif de 30% fixé par les chercheurs, objectif déterminé au vu des résultats obtenus chez la souris. « L’expression d’un gène codant pour une hémoglobine humaine est probablement plus forte dans un contexte humain » postule le Pr Leboulch. L’originalité du vecteur « LantoGlobin BB305 » tient au fait qu’il est conçu pour le traitement des deux hémopathies héréditaires les plus répandues : la bêtathalassémie et la drépanocytose.
« Ce sont des résultats très intéressants. Il faut maintenant confirmer que cette stratégie est efficace à long terme, permettant de prévenir les complications chroniques de la drépanocytose, avec une toxicité acceptable, commente dans Le Monde, le Dr Jean-Benoît Arlet, interniste à l’Hôpital européen Georges-Pompidou et spécialiste de la drépanocytose. La publication du New England Journal of Medicine constitue une preuve de concept. Si c’est le cas, la thérapie génique pourra devenir une alternative à la greffe de moelle. Il faudra alors définir sa place par rapport aux nouvelles techniques de greffes dites haplo-identiques, qui permettent aujourd’hui de trouver plus facilement un donneur dans la famille, compatible à uniquement 50 %. »
Le Pr Marina Cavazzana précise que ce premier patient s’inscrit dans une étude de phase I / II, qui prévoit sept malades, tous pris en charge à l’Hôpital Necker de Paris : cinq – dont quatre atteints de thalassémie ont déjà été traités, avec des résultats positifs. Pour l’heure, le coût de cette thérapeutique est très élevé, de l’ordre de 500 000 euros par patient, selon le professeur Cavazzana. Ce montant devrait, selon elle, fortement diminuer dans les prochaines années, avec l’automatisation des procédés. Comment ne pas l’espérer ? Car s’il ne baissait pas, on voit mal comment cette nouvelle et prometteuse thérapie pourrait être proposée à l’ensemble des malades qui pourraient en bénéficier.
On compte environ 12 000 malades drépanocytaires, rien qu’en Ile-de-France. Entre 10 et 20 % d’entre eux nécessitent un programme transfusionnel régulier car ne répondant pas aux traitements par l’hydroxyurée. Une allogreffe peut leur être proposée mais seule une faible proportion d’entre eux disposent de donneurs intrafamiliaux compatibles.
Au-delà de cette première et des suites de cet essai clinique, d’autres voies pourraient s’ouvrir. Des équipes explorent ainsi la piste d’une correction de la mutation de la drépanocytose avec la technique Crispr-Cas9 de réédition du génome humain. On peut voir là comme la promesse concrète d’un nouvel avenir pour la thérapie génique.