Achevons ici notre analyse des récents événements qui, en France, semblent préfigurer l’évolution du cadre général de la loi de bioéthique dans sa partie relative à la procréation médicalement assistée (PMA). Une occasion offerte de renouer le fil avec une histoire encore récente mais qui commence à s’effacer (RMS des 23 et 30 août et des 6 et 13 septembre).
Au-delà des vives oppositions qui se sont cristallisées quant au caractère, légitime ou non, de la pratique naissante de l’autoconservation dite « sociétale » des cellules sexuelles féminines, l’autre grand sujet d’actualité demeure la question de la fixation de l’âge à partir duquel un homme ne serait plus autorisé à procréer dès lors qu’il demanderait à avoir recours à l’une ou l’autre des techniques de procréation médicalement assistée. Or, précisément, l’Agence française de biomédecine vient de fixer officiellement cet âge.
On pourra, au choix, voir là une forme d’équité. Ou l’application, aveugle, d’un principe de précaution aux frontières de l’absurdité. Pour ne pas dire une insupportable atteinte à la liberté (masculine) de procréer ? Comment en est-on, en France, arrivé là ? Tout a commencé avec une récente affaire judiciaire ; une affaire dont nous avions rapporté, sur Slate.fr, 1 les principaux éléments en mars dernier. L’histoire d’un couple qui, après avoir engagé un bras de fer devant la juridiction administrative, avait eu gain de cause contre l’Agence de biomédecine, cet établissement public à caractère administratif qui a notamment pour objet l’encadrement et la surveillance des activités de procréation médicale assistée.
Plus précisément, la justice administrative française avait été saisie par deux couples souhaitant pouvoir utiliser deux dépôts de sperme effectués avant l’administration d’un traitement aux effets stérilisants. C’est là, on le sait, une pratique très fréquemment mise en œuvre en France et qui permet aux hommes de conserver leurs possibilités de devenir père après leur guérison. Condamnée pour refuser à ces hommes cette possibilité au motif de leur âge, l’Agence de biomédecine avait alors décidé de faire appel.
Dans la première affaire, l’homme, âgé de 69 ans, avait effectué un dépôt de sperme au laboratoire d’analyses de biologie médicale Eylau, à Paris ; du fait du refus opposé en France, il souhaitait, avec sa femme de 33 ans, bénéficier d’une PMA en Belgique. La seconde affaire jugée par le tribunal administratif de Montreuil, similaire, portait sur le refus d’une exportation de dépôt de spermatozoïdes depuis le laboratoire Eylau vers une clinique du groupe IVI située en Espagne. L’homme auquel ce refus avait été opposé était né en 1946.
Dans les deux affaires, les arguments développés par le juge administratif étaient identiques.2 Il annulait les refus d’exportation des cellules sexuelles, prononcés en juin 2016 par l’Agence de la biomédecine, au motif que, nés en 1946 et 1947, les deux hommes concernés « ne pouvaient plus être considérés comme étant en âge de procréer ». Comment comprendre ? L’Agence fondait ici sa décision sur les dispositions de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, article qui dispose notamment :
« L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. (…) L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. »
Qu’elle soit naturelle ou artificielle, la procréation pose la question de l’âge de procréer
Etre « en âge de procréer », donc. Or, le juge administratif rappelait ce que, en France comme ailleurs, chacun sait : « aucune disposition légale ou réglementaire ne fixe un âge au-delà duquel un homme n’est plus apte à procréer ». On peut le dire autrement : l’Agence de biomédecine n’avait pas respecté les dispositions de la loi de bioéthique transposée dans le code de la santé publique. Et pour la justice administrative, en se fondant sur un âge supérieur à 60 ans et sur le fait « que les hommes connaissent en vieillissant une diminution de la fertilité et une augmentation des risques génétiques liés à leur âge », l’Agence de la biomédecine avait «méconnu les dispositions de la loi».
Cette Agence a, depuis, développé et conforté son argumentation, comme en témoigne la délibération (datée du 8 juin 2017) de son conseil d’orientation « concernant les réflexions sur l’âge de procréer en assistance médicale à la procréation ».3
« Qu’elle soit naturelle ou artificielle, la procréation pose la question de l’âge de procréer, écrivent les auteurs. C’est une responsabilité vis-à-vis de l’enfant, de soi-même et de son conjoint mais aussi de la société. L’assistance médicale à la procréation rend plus aiguë la question de l’âge. De par l’intervention d’un tiers acteur (la médecine) et la mise à disposition de différentes stratégies possibles : (recours ou non à des dons de gamètes), la responsabilité des professionnels est triplement engagée : vis-à-vis de l’enfant à naître, de la femme et des couples demandeurs, mais aussi vis-à-vis de la société. Le législateur a fait le choix d’imposer une condition relative à l’âge de procréer dans le cadre de la PMA : faut-il, dès lors, fixer une limite précise, et si oui en fonction de quels arguments et de quels critères ? »
Et la réponse est, pour ces auteurs, positive ; étant bien entendu que la question de l’âge ne se pose pas de façon identique chez la femme et l’homme. On sait que chez la femme la ménopause met un terme à la procréation et que l’insuffisance ovarienne préalable à la ménopause rend les tentatives de PMA généralement inefficaces au-delà de 42 ans, soit bien avant l’âge moyen de la ménopause. On sait aussi que chez l’homme il n’existe pas un tel arrêt net du fonctionnement go-nadique. Cependant, l’augmentation des anomalies chez l’enfant et le futur adulte, liées à « l’âge du spermatozoïde », pose la question de l’innocuité de l’action médicale.
L’Agence de biomédecine souligne ainsi qu’outre une augmentation du risque de sur-venue de maladies génétiques (dont la trisomie 21) avec l’âge du père, plusieurs études ont révélé ces dernières décennies un impact de l’âge paternel sur l’augmentation de la fréquence de divers troubles du neurodéveloppement chez l’enfant – y compris des pathologies comme la schizophrénie et les syndromes autistiques. Et cette institution de demander :
« Avoir un enfant à 70 ans et plus est techniquement possible mais est-ce raisonnable ? » Et de répondre : « La majorité des centres de PMA en France ont raisonnablement proposé une limite d’âge, pour les hommes, à 60 ans. »
A cette référence à la « raison » s’ajou-tent des considérations financières puisque le choix a été fait (jusqu’à présent) en France de considérer que le traitement de l’infertilité relevait de la solidarité nationale, au travers de la prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale, dans la limite de six tentatives d’insémination et de quatre tentatives de FIV pour l’obtention d’une naissance et sous réserve que l’âge de la femme ne dépasse pas 43 ans. Le coût de l’assistance médicale à la procréation pour l’assurance-maladie en France peut être évalué à environ 200 millions d’euros par an.
« Une PMA ouverte sans limites d’âge pose la question de la solidarité nationale dans une pratique que la médecine juge à risque pour l’enfant dans ses conséquences médicales, psychiatriques et psychologiques, dans un contexte où le risque de multiplication des essais augmenterait aussi le coût » observe encore l’Agence française de biomédecine. Au final, cette dernière se dit « favorable à une limite de “l’âge pour procréer” dans les différentes situations de PMA. Soit, en pratique : « Age de la femme : 43 ans avec, dans le cas de l’utilisation d’ovocytes préalablement conservés ou de donneuse, une discussion au cas par cas entre 43 et 45 ans. Age de l’homme : procréation intraconjugale ou avec don de spermatozoïdes : 60 ans. »
(Fin)