Les bronchiectasies constituent une maladie respiratoire chronique caractérisée par un syndrome associant des paramètres cliniques (toux, expectorations et infection bronchique) et radiologiques (dilatations bronchiques). Leurs étiologies sont nombreuses.
L’objectif du traitement est de réduire les symptômes, prévenir les exacerbations et ralentir la progression de la maladie. Le processus physiopathologique, caractérisé par le cercle vicieux : infection bronchique chronique, inflammation, clairance mucociliaire altérée et destruction structurelle du poumon définit les cibles thérapeutiques et, en particulier, l’importance des antibiotiques dans la prise en charge. En effet, l’infection chronique par Pseudomonas aeruginosa (PA) ou d’autres pathogènes plus rares est associée avec un mauvais pronostic.1,2 De plus, les exacerbations infectieuses répétées sont responsables de coûts importants, d’une altération de la qualité de vie, d’un déclin fonctionnel accéléré et d’une mortalité élevée.3,4
Il y a deux intérêts théoriques à l’administration d’un antibiotique par aérosols : la possibilité d’atteindre une concentration du principe actif très élevée au site à traiter en limitant sa toxicité systémique et l’évitement de l’administration par voie intraveineuse lorsque la biodisponibilité orale est insuffisante (aminoglycosides, par exemple). Le bénéfice des antibiotiques inhalés est bien documenté pour la mucoviscidose, que ce soit pour l’éradication d’une nouvelle colonisation à PA ou pour la prévention des exacerbations, en cas d’infection chronique.5,6 Ils font donc l’objet de recommandations dans cette maladie et sont pris en charge par l’assurance-maladie, contrairement aux bronchiectasies d’autres causes.
De nouvelles recommandations de l’European Respiratory Society (ERS) viennent d’être publiées et prennent une position favorable bien que conditionnelle pour l’usage des antibiotiques inhalés dans les bronchiectasies.7
Cet article est une revue critique des données disponibles sur les antibiotiques inhalés dans les bronchiectasies, en dehors de la mucoviscidose, et vise à préciser leur place dans le traitement des exacerbations infectieuses, de l’infection chronique et de la tentative d’éradication de PA.
Chez un patient avec bronchiectasies, la définition de l’exacerbation aiguë comprend :
une détérioration d’au moins 3 symptômes (toux, volume, consistance ou purulence des expectorations, fatigue ou malaise, hémoptysie) durant au moins 48 heures ;
la nécessité d’un changement de traitement décidée par un médecin8
La littérature existant sur la place des antibiotiques quelle que soit leur voie d’administration, pour le traitement d’une exacerbation aiguë de bronchiectasies, est très hétérogène. Les études existantes ont montré au moins un effet positif sur la diminution des paramètres inflammatoires, les symptômes ainsi que sur le volume et la purulence des expectorations.9,10 Les régimes les plus utilisés sont les antibiothérapies systémiques. Les antibiotiques per os peuvent être utilisés en cas de sévérité modérée. La voie intraveineuse est privilégiée en cas d’échec de traitement per os ou en cas d’infection sévère.
La voie inhalée est peu étudiée, y compris dans la mucoviscidose où une revue systématique de la littérature n’a pas démontré de supériorité pour l’association antibiotique IV + antibiotique inhalé versus antibiotique IV seul dans ce contexte.11 La grande hétérogénéité des études et les schémas variés de traitement n’ont pas permis la réalisation d’une méta-analyse. Les auteurs concluent que l’utilisation courante d’antibiotiques inhalés dans ce contexte ne peut pas être recommandée à ce jour.
L’utilisation d’antibiotiques inhalés dans le traitement des exacerbations de bronchiectasies, en dehors de la mucoviscidose, n’a fait l’objet que d’une seule étude sur l’ajout de tobramycine inhalée versus placebo à la ciprofloxacine per os versus pacebo.12 Il s’agit d’un essai multicentrique (17 centres) de taille modeste (53 patients) avec une durée d’intervention de 14 jours dans les deux bras. Cette étude montre une plus grande diminution de la charge bactérienne dans les expectorations à 21 jours dans le groupe traité, mais sans effet positif sur des issues cliniques quoiqu’il existe une tendance statistiquement non significative à l’amélioration des fonctions pulmonaires.
Ces résultats sont insuffisants pour donner une recommandation systématique d’utilisation des antibiotiques inhalés dans le traitement des exacerbations aiguës. Ils permettent néanmoins de considérer leur utilisation dans des contextes particuliers. Le rapport risque/bénéfice de leur utilisation doit donc être pesé au cas par cas.
Il existe une littérature extensive qui soutient l’utilisation au long cours des antibiotiques inhalés pour la mucoviscidose : elle est bien résumée dans un article de revue publié en 2014.13 Chez les patients souffrant de mucoviscidose et colonisés par PA avec une atteinte fonctionnelle modérée à sévère, ces traitements permettent, en effet, une amélioration respiratoire fonctionnelle et une diminution des épisodes d’exacerbation. La pratique d’utiliser les antibiotiques inhalés chez les patients atteints de bronchiectasies non associées à la mucoviscidose repose en partie sur le rapprochement que l’on opère entre mucoviscidose et autres bronchiectasies.
En effet, pour ce qui concerne les patients atteints de bronchiectasies non associées à la mucoviscidose, les évidences sont plus éparses. Le tableau 1 résume les études que nous avons prises en considération dans notre article. A notre connaissance, il s’agit des principales études publiées sur l’administration inhalée d’antibiotiques dans le cadre du traitement chronique des bronchiectasies en dehors de la mucoviscidose.
Ces études sont encourageantes dans la mesure où elles confirment un effet favorable sur la diminution de la charge bactérienne et l’état inflammatoire. Certaines parviennent même à montrer une diminution significative du taux de colonisations par PA, après traitement (taux d’éradication de l’ordre de 30 %). Un effet sur la diminution des symptômes et la qualité de vie a été démontré dans certaines d’entre elles. Par contre, et cela est vraisemblablement lié au fait qu’il s’agit d’études de phase 2 de puissance insuffisante, un effet de cette stratégie thérapeutique sur des issues cliniques plus solides, comme la diminution du nombre d’exacerbations, du risque d’hospitalisation ou de la mortalité, n’est pas démontré. Sur la base de ces résultats, les recommandations de l’ERS suggèrent un traitement au long cours avec un antibiotique inhalé pour les patients avec bronchiectasies et une infection chronique par PA.7 Le tableau 2, issu des recommandations de la British Thoracic Society (BTS), propose un schéma posologique pour les principales molécules étudiées.14 Toutefois, tenant compte des évidences ténues à disposition et du coût de ces traitements, on comprend qu’ils ne bénéficient pas encore d’une garantie de remboursement d’office par l’assurance-maladie en Suisse.
Ces données nécessitent donc d’être confirmées par des essais de plus grande ampleur et les résultats du programme RESPIRE, qui mène actuellement deux essais cliniques randomisés contrôlés de phase III sur l’efficacité de la ciprofloxacine inhalée, sont attendus avec une certaine impatience par la communauté pneumologique.15
A ce jour, il n’existe aucune étude randomisée sur un schéma antibiotique, y compris inhalé, en vue d’éradiquer une colonisation par PA. Toutefois, comme nous l’avons vu dans les études d’antibiotiques inhalés au long cours, un certain nombre de patients ont bénéficié d’une éradication durant leur traitement.16–20 Dans ce sens, les recommandations de l’ERS retiennent l’indication à un essai d’éradication malgré un faible niveau d’évidence.7 En effet, si l’on considère l’impact clinique défavorable d’une colonisation par PA et, en conséquence, les bénéfices théoriques potentiels de son éradication, on comprend le sens de cette recommandation.
L’effet des antibiotiques inhalés sur la densité bactérienne des expectorations et l’éradication de PA est bien confirmé par des études de petite taille. Ces dernières suggèrent un bénéfice clinique sur les symptômes et la fréquence des exacerbations mais n’ont pas la puissance pour le démontrer formellement. De grands essais cliniques, comme l’étude RESPIRE sur la ciprofloxacine inhalée, sont en cours pour confirmer l’utilité de ces traitements.15 Malgré les évidences faibles, les récentes recommandations de l’ERS soutiennent l’utilisation conditionnelle des antibiotiques inhalés dans les bronchiectasies, en accord avec la pratique courante en pneumologie.1 Une demande à l’assurance-maladie est toutefois nécessaire avant de débuter un traitement pour s’assurer de son remboursement.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.