Il s’agit d’un nouveau patient de 45 ans, en bonne santé habituelle, non fumeur, sans antécédents familiaux significatifs, en particulier pas de maladie neurologique, marié à une femme beaucoup plus jeune que lui, et père d’un enfant en bas âge (un peu moins de 2 ans). Il consulte pour une fatigue progressive dont l’apparition remonte à plus d’un an.
Ce patient exerce trois professions dans la même entreprise, à savoir : magasinier à temps plein, ouvrier opérateur selon les besoins et sous-officier en tant que pompier d’entreprise.
A l’anamnèse, en plus de la grande fatigue, il se plaint de troubles de l’équilibre, sans chute. Aucun autre symptôme somatique n’est mentionné. Le patient dit s’endormir facilement et se réveiller en forme le matin ; il ne décrit pas de troubles du sommeil ni de l’humeur, mais mentionne toutefois des difficultés de concentration occasionnelles. Il signale également avoir parfois un peu de peine à trouver ses mots.
Au status, le patient est très maigre, quasi cachectique, et on est frappé par son visage allongé aux oreilles très décollées. Il présente un fort ralentissement psychomoteur et on note un important retard dans les réponses aux questions du médecin, ainsi qu’un certain délai dans la mise en mouvement. L’examen clinique ne révèle pas d’autre anomalie. Le patient est par ailleurs amblyope de l’œil droit ; il a présenté à la naissance des troubles de l’oculomotricité qui ont nécessité une opération.
Les examens biologiques standards sont normaux, il n’y a pas d’anémie ni de déficit en acide folique et vitamine B12. Un bilan sanguin plus étendu révèle une ancienne infection par le virus d’Epstein-Barr (IgG à plus de six fois la norme, IgM négatives), sans autre résultat pathologique.
En l’absence de piste biologique, une IRM cérébrale et médullaire est demandée à la recherche principalement d’un processus expansif ou d’une sclérose en plaques. Les résultats de cet examen reviennent globalement négatifs ; à signaler toutefois une atrophie du vermis cérébelleux et de l’olive cérébelleuse gauche, ainsi qu’une hyperostose frontale interne.
Sur la base de ce bilan peu évocateur, le patient est référé à un neurologue qui confirme une fatigabilité marquée et une dégradation progressive des capacités motrices au cours de la dernière année, notée à la fois par le patient et son entourage, en particulier une difficulté importante à utiliser son bras droit (le patient est gaucher). L’examen des nerfs crâniens ne révèle rien de particulier hormis un nystagmus latent et des troubles de l’oculomotricité dont il est difficile de savoir s’ils sont d’origine congénitale dans le cadre d’un strabisme ou s’ils sont acquis. Les réflexes tendineux sont faibles mais présents et le patient présente un réflexe naso-palpébral vif et inépuisable.
Il n’y a pas de troubles sensitifs, mais l’examen de la motricité révèle une bradykinésie sévère prédominant à droite, une absence quasi complète de mouvements fins au niveau de la main droite et une adiadococinésie bilatérale, asymétrique en défaveur de la droite. La marche se fait à pas normaux, le polygone de sustentation est normal et le demi-tour est stable. Le patient présente toutefois une atteinte des réflexes posturaux avec une tendance à la chute vers l’arrière.
Le diagnostic retenu par le spécialiste est celui d’un syndrome parkinsonien asymétrique sévère, prédominant largement à droite chez un gaucher.
Sous traitement de pramipexole (Sifrol 1 mg 2-2-2, puis Sifrol ER 3 mg / jour), le patient rapporte une amélioration sur le plan de la mobilité. A l’examen clinique, il reste cependant extrêmement rigide à droite, avec toujours un ralentissement marqué des mouvements fins de la main. La marche est en revanche bien améliorée.
Quels sont les diagnostics différentiels à évoquer devant une fatigue progressive chez un patient d’âge moyen ?
La fatigue est une plainte fréquente, subjective, et relativement peu spécifique, avec un diagnostic différentiel très large. Selon une étude hollandaise évaluant les diagnostics des patients ayant consulté pour une fatigue, aucune cause claire (médicale et / ou psychiatrique) n’a été décelée chez environ la moitié des patients, sur un suivi d’une année.1 Une origine métabolique (dysfonctions rénale, hépatique, troubles électrolytiques), endocrinologique (hypothyroïdie, insuffisance surrénale), carentielle (carence en fer, anémie ferriprive, hypovitaminose) ou infectieuse chronique (VIH, hépatite B ou C, EBV, endocardite) doit toujours être recherchée. De même, une fatigue dans le contexte d’effets secondaires médicamenteux (benzodiazépines, antihistaminiques, antiépileptiques, antidépresseurs, opioïdes, etc.) doit être exclue. En cas de fatigue accompagnée d’une perte pondérale involontaire, une origine néoplasique doit être activement recherchée. Cependant, d’autres maladies chroniques, neurologiques (sclérose en plaques, maladie de Parkinson, affection cérébrovasculaire), inflammatoires (maladie rhumatologique) ou d’autre origine (insuffisance cardiaque, affections pulmonaires chroniques) peuvent entraîner une fatigue. Une anamnèse axée sur une recherche de troubles du sommeil doit être effectuée (insomnie, syndrome des jambes sans repos, syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS), parasomnies REM / non-REM, narcolepsie, etc.). Il ne faut pas oublier que la fatigue peut être également le symptôme d’une comorbidité psychiatrique (épisode dépressif, troubles anxieux, état de stress post-traumatique, surcharge professionnelle, etc.).
Quels sont les diagnostics différentiels d’un ralentissement psychomoteur à cet âge ?
Le ralentissement psychomoteur est défini comme une lenteur, touchant à la fois la motricité (bradykinésie) et la pensée (bradyphrénie). Contrairement au caractère subjectif de la fatigue, le ralentissement psychomoteur est objectivable à l’examen clinique et / ou neuropsychologique. Un ralentissement psychomoteur est typiquement retrouvé dans une atteinte des lobes frontaux ou dans une atteinte sous-corticale (inclus les noyaux de base). La cinétique de l’apparition du ralentissement psychomoteur ainsi que d’éventuels symptômes accompagnants, aident à restreindre le diagnostic différentiel. Les causes les plus fréquentes sont d’origine lésionnelle (traumatisme crânien, accident vasculaire, tumeur (méningiome, glioblastome)) ou encore neurodégénérative (démences, notamment fronto-temporale ou à corps de Lewy, maladie de Parkinson, chorée de Huntington, etc.).
Dans une situation comme celle-ci, quels examens complémentaires sont-ils indispensables, utiles ou inutiles ?
Le diagnostic différentiel d’un syndrome parkinsonien est très large (cf. réponse à la question suivante), les signes cliniques sont souvent subtils et passent facilement inaperçus, comme chez ce patient. Un avis neurologique est indispensable, permettant en même temps de mieux cibler les examens complémentaires à effectuer. Une fois un diagnostic établi, le suivi à long terme se fait, de préférence, conjointement entre le neurologue et le médecin de famille.
Face à ce syndrome parkinsonien, quels autres diagnostics pourraient être évoqués chez ce patient ?
Devant tout syndrome parkinsonien la question se pose de savoir s’il s’agit d’un syndrome parkinsonien primaire ou secondaire (tableau 1).2
Le diagnostic différentiel d’un syndrome parkinsonien secondaire est très vaste. Des troubles métaboliques (atteintes rénale, hépatique, thyroïdienne, troubles électrolytiques), une origine infectieuse (maladie de Lyme, syphilis, VIH) ou carentielle (déficit en vitamine B1, B6, B12 ou acide folique) doivent être exclus. Une maladie de Wilson doit être recherchée (par dosage de la cuprémie, de la cuprurie et de la céruloplasmine) en présence de tout syndrome parkinsonien du sujet jeune. Une exposition à des substances toxiques (monoxyde de carbone, cyanure, manganèse, etc.), des traitements antidopaminergiques (neuroleptiques, métoclopramide, etc.), ainsi que des antécédents d’encéphalite ou de traumatisme crânien doivent être recherchés. Afin d’exclure une origine lésionnelle (vasculaire ou autre) ou d’éventuels signes en faveur d’un syndrome parkinsonien primaire atypique (cf. ci-après), une IRM cérébrale doit être effectuée.
En revanche, le syndrome parkinsonien primaire est d’origine neurodégénérative. On en distingue deux types : le syndrome parkinsonien typique, la maladie de Parkinson, et les syndromes parkinsonien atypiques, appelés aussi syndromes parkinsoniens plus.
Un syndrome parkinsonien primaire atypique doit être suspecté en cas d’évolution clinique rapide, ou lors de l’apparition précoce de chutes, de troubles cognitifs et praxiques ou encore des signes de dysautonomie (troubles sphinctériens et de l’érection, problèmes d’orthostatisme). Soulignons que dans la maladie de Parkinson, le reste de l’examen neurologique est normal hormis le syndrome extrapyramidal. Un syndrome parkinsonien qui est peu ou pas sensible à un traitement de lévodopa est également atypique pour la maladie de Parkinson. Souvent, c’est l’évolution temporelle du syndrome parkinsonien et de ses symptômes accompagnants qui permet de poser un diagnostic définitif.3,4
Chez ce patient, on retrouve un syndrome parkinsonien akinéto-rigide asymétrique, avec comme possibles atypies, des plaintes cognitives précoces par rapport à l’apparition du syndrome extrapyramidal ainsi qu’une réponse uniquement partielle au traitement de pramipexole. Les agonistes dopaminergiques restent le traitement antiparkinsonien de premier choix chez les patients de moins de 60 ans. Ils ont comme avantage, par rapport à la lévodopa, de présenter moins d’effets secondaires sous forme de dyskinésies.5,6 Néanmoins, l’efficacité est inférieure par rapport à la lévodopa, expliquant potentiellement la réponse thérapeutique uniquement partielle chez ce patient. Concernant les plaintes cognitives, qui ouvrent potentiellement le diagnostic différentiel d’un syndrome parkinsonien atypique (notamment d’une dégénérescence corticobasale (DCB)), ces dernières devraient être précisées par un bilan neuropsychologique, tout en sachant que les syndromes parkinsoniens plus (atrophie multisystémique (MSA), paralysie supranucléaire progressive (PSP), DCB) débutent typiquement plus tardivement, entre 55 et 65 ans environ, mais des cas ont été décrits à l’âge du patient.7 Il faudrait également se demander si les difficultés de l’utilisation du bras droit chez ce patient pourraient représenter des troubles praxiques, typiquement vus en cas de DCB.
Hormis le syndrome parkinsonien, la clinique pourrait faire penser à une atrophie multisystémique ou à un syndrome de l’X fragile. Quels sont les éléments à rechercher pour confirmer ou infirmer ces diagnostics ?
L’atrophie multisystémique (MSA) peut être divisée en deux sous-groupes : la variante MSA-P, caractérisée par un syndrome parkinsonien, et la variante MSA-C, se manifestant par un syndrome cérébelleux (ataxie, dysarthrie, atteinte de l’oculomotricité). Il faut relever qu’un chevauchement des deux variantes est possible. Chez ce patient, les symptômes extrapyramidaux apparaissent au premier plan par rapport aux signes d’une possible origine cérébelleuse (diminution des réflexes posturaux souvent en lien avec le syndrome parkinsonien ; nystagmus possiblement dans le contexte de l’amblyopie). Lors du test au Sinemet (lévodopa / carbidopa), en cas de MSA-P, on observe un syndrome parkinsonien typiquement peu ou pas sensible à la lévodopa. Les critères diagnostiques d’une MSA impliquent obligatoirement des troubles dysautonomiques (orthostatisme avec un test de Schellong positif et / ou une incontinence urinaire avec des troubles de l’érection). Actuellement, ces derniers signes ne sont pas décrits chez le patient, pas plus que d’autres qui parleraient en faveur d’une MSA (signes radiologiques typiques, stridor nocturne).
En cas de syndrome de l’X fragile (FXS), la prémutation (50-200 CGG-repeats, avec transcription du gène FMR1 restant toujours active) se présente avec une atteinte cognitive et neuropsychiatrique de degré très variable et parfois relativement subtile. Des signes dysmorphiques peuvent être présents, avec un visage très allongé et étroit ainsi que des oreilles proéminentes. Un syndrome parkinsonien peut être retrouvé en cas de FXTAS (fragile X-associated tremor ataxia syndrome), néanmoins il reste plutôt en arrière-plan par rapport au symptôme principal ; il s’agit d’un tremblement postural et cinétique, qui n’est pas présent chez ce patient. Notons que des cas atypiques, avec une présentation clinique sous forme d’un syndrome parkinsonien isolé ou accompagné par des troubles cognitifs, ont été décrits.8,9 L’imagerie ne montre pas de lésions de la substance blanche typique pour le FXS, en particulier du pédoncule cérébelleux moyen. Au vu de la présentation clinique très hétérogène, seul un test génétique permet l’exclusion définitive du diagnostic de FXS.
Chez un patient comme celui-ci, quelles sont les autres mesures à prendre (permis de conduire, activité de pompier d’entreprise) et / ou les autres démarches à entreprendre (conseil génétique, déclaration précoce auprès de l’assurance invalidité) ?
Selon l’évolution de la symptomatologie, notamment en cas d’apparition d’arguments cliniques ou radiologiques supplémentaires en faveur d’un syndrome de l’X fragile, un conseil génétique peut être évoqué. L’aptitude à la conduite automobile ainsi qu’à l’activité professionnelle en tant que pompier est à évaluer (un examen neuropsychologique et / ou un test pratique d’auto-école peuvent être utiles). Mais il reste primordial que le patient soit motivé à maintenir une activité physique régulière, éventuellement avec l’aide d’un physiothérapeute, afin de préserver du mieux possible sa mobilité et son autonomie. En cas d’impact sur l’activité professionnelle et ce malgré un diagnostic définitif bien établi et une prise en charge thérapeutique adéquate, une demande d’auprès de l’assurance invalidité doit être envisagée.