Les recommandations concernant la prise en charge conservatrice de l’arthrose du genou incluent une perte de poids, un renforcement musculaire et des analgésiques/anti-inflammatoires. Les effets secondaires rénaux ou gastro-intestinaux de ces derniers ne sont pas négligeables et limitent parfois leur utilisation. L’adjonction de préparations telles que le sulfate de chondroïtine (Condrosulf, Structum) et/ou de glucosamine est fréquente, malgré le manque d’évidence solide attestant de leur bénéfice. Une étude espagnole,1 multicentrique, randomisée et conduite en double aveugle, a comparé l’efficacité de la combinaison chondroïtine/glucosamine (1200 mg/1500 mg en une prise journalière) avec un placebo sur les douleurs de patients présentant une arthrose modérée à sévère du genou.
Sur les 164 patients randomisés, 116 ont terminé les six mois de suivi, un nombre plus élevé d’arrêt du traitement ayant été relevé dans le groupe chondroïtine/glucosamine (31 versus 18 % dans le groupe placebo) en raison principalement d’effets secondaires et d’écart du protocole. Les résultats ont montré une diminution de la douleur chez 33 % des patients dans le groupe placebo versus 19 % dans le groupe chondroïtine/glucosamine, une différence statistiquement significative (p < 0,03). Aucune différence n’a été retrouvée dans les résultats secondaires mesurant essentiellement la limitation fonctionnelle des patients en lien avec leur maladie arthrosique.
Cette étude est la première affichant un design randomisé et contrôlé, s’intéressant à l’efficacité du traitement de chondroïtine/glucosamine. Elle présente certaines limitations, notamment la petite taille de l’échantillon, le nombre important d’abandons affectant possiblement les résultats, ainsi que la prescription de paracétamol comme analgésique de secours mais représentant un facteur confondant non négligeable. La posologie faible du traitement de chondroïtine/glucosamine est également remise en question. Cependant, les résultats semblent clairement montrer que chez les patients présentant une arthrose du genou modérée à sévère, l’efficacité du traitement de chondroïtine/glucosamine s’avère similaire, voire inférieure à celle d’un placebo.
La migraine est un problème majeur de santé publique, touchant en moyenne 14,9 % de la population des Etats-Unis.2 Selon l’OMS, la migraine est à elle seule responsable de la perte d’environ 25 millions de journées de travail ou de scolarité par an au Royaume-Uni. Environ un quart des patients nécessitent une thérapie prophylactique pharmacologique,3 pas toujours efficace et parfois mal supportée. L’acupuncture est très répandue dans les pays orientaux chez les patients réfractaires aux traitements médicamenteux. De petites études ont montré des bénéfices de ce traitement mais restent limitées.
Une étude chinoise4 prospective et randomisée a recruté 249 patients présentant des migraines sans aura (selon les critères de la « International Headache Society »), n’ayant pas de traitement prophylactique et avec une fréquence des crises allant de 2 à 8 fois pendant les trois derniers mois précédant le recrutement. Ces patients ont été répartis en trois groupes : un groupe bénéficiant d’un traitement de vraie acupuncture (VA), un autre groupe traité par fausse acupuncture (placebo) et un groupe contrôle. Le groupe de VA était traité sur les points supposés efficaces dans la migraine, dans le but d’induire une sensation spécifique d’engourdissement. Les points étaient différents dans le groupe placebo. Aucun patient n’était autorisé à prendre un traitement prophylactique médicamenteux. En cas de céphalées sévères, un traitement par ibuprofène 300 mg était autorisé et documenté dans le dossier. Les patients ont bénéficié de 20 séances de VA ou de placebo pendant 4 semaines puis ont été suivis encore 20 semaines. Pendant toute l’étude, ils tenaient un calendrier des céphalées.
A 16 semaines, on constate une diminution significative de la fréquence mensuelle des crises migraineuses dans le groupe VA en comparaison avec le groupe placebo et le groupe contrôle (fréquence mensuelle moyenne diminuée de 3 crises dans le groupe VA, 2 crises dans le groupe placebo et 1 crise dans le groupe contrôle, le nombre de crises de base étant en moyenne de 5 dans chaque groupe). De même, l’intensité et la durée des douleurs ont diminué dans le groupe traité (VA) par rapport aux deux autres groupes. De très rares effets indésirables locaux, sans conséquence majeure, ont été enregistrés dans les groupes VA et placebo.
L’acupuncture semble donc apporter un bénéfice sur la fréquence des crises migraineuses ainsi que sur leur durée et leur intensité et pourrait être considérée comme alternative thérapeutique chez des patients migraineux. On gardera tout de même à l’esprit que les études sur l’acupuncture sont difficiles à réaliser, maintiennent toujours un biais « opérateur dépendant » et ne peuvent garantir une réalisation « en aveugle ». Il serait par ailleurs intéressant de comparer ce traitement aux approches pharmacologiques actuelles.
Le jus de canneberge (cranberry) est largement utilisé dans la prévention des infections urinaires notamment chez les personnes âgées. Néanmoins, il n’y a jamais eu d’études suffisamment solides pour affirmer son efficacité. Nous savons que la proanthocyanidine de la canneberge inhibe l’adhérence de E. coli à la paroi des cellules uroépithéliales et aurait donc un effet sur la virulence de la bactérie, cet effet étant dose dépendant. Des études antérieures ont montré que 300 ml de jus de canneberge contenant 36 mg de proanthocyanidine réduisaient la survenue de bactériurie avec pyurie.5
Une étude randomisée en double aveugle,6 menée en maison de retraite, avec un suivi sur une année, a analysé l’effet d’une prise orale de 2 capsules de canneberge (contenant chacune 36 mg de proanthocyanidine) par rapport au placebo pour prévenir l’apparition de bactériurie avec pyurie. Malgré deux groupes randomisés comparables et une bonne adhérence à la thérapie (80,1 %), cette étude n’objective pas de différence entre le groupe prenant les capsules de canneberge versus le groupe placebo. Une hypothèse pouvant expliquer ce résultat serait le manque d’hydratation accompagnant l’ingestion des capsules par rapport à l’ingestion de jus de canneberge, l’hydratation étant nécessaire pour réduire les bactériuries et les symptômes urinaires chez les personnes âgées. A noter que seules les patientes capables de fournir des échantillons urinaires propres ont été sélectionnées, limitant donc la généralisation des résultats aux personnes incontinentes, et que seules 21 maisons de retraite ont participé à l’étude sur les 144 éligibles.
En conclusion, cette étude suggère l’absence d’efficacité des capsules de canneberge dans la prévention des infections urinaires chez la femme âgée.
Les preuves médicales démontrant l’efficacité des statines aussi bien dans la prévention primaire que secondaire des maladies cardiovasculaires sont indiscutables. Une étude parue dans The Lancet en 20107 révèle qu’à chaque réduction de 1 mmol/l du LDL-cholestérol, les statines diminuent le risque d’événements cardiovasculaires de 20 %.
Selon les études observationnelles, jusqu’à 20 % des patients sous statines ont des douleurs ou une faiblesse musculaires. Or, dans les études randomisées en double aveugle, rares sont les myopathies sous statines. Il s’agit généralement de moins de 0,2 % des patients par année de traitement. Les auteurs de l’étude discutée8 nous proposent, pour comprendre cette différence, une nouvelle analyse du Lipid-Lowering Arm of the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial (ASCOTT-LLA), publiée en 2003, dans The Lancet.
L’étude initiale a analysé la survenue d’événements cardiovasculaires chez 10 000 patients hypertendus (à haut risque cardiovasculaire) traités en prévention primaire soit par atorvastatine 10 mg par jour, soit par placebo, après randomisation en double aveugle. L’étude a été stoppée après 3,3 ans en raison d’une fréquence significativement moindre d’événements cardiovasculaires chez les patients sous atorvastatine par rapport aux patients traités par placebo. Par la suite, deux tiers des patients de chaque groupe ont accepté de poursuivre le suivi en « étude ouverte » pendant 2,3 années supplémentaires. Lors de la phase en double aveugle, l’incidence des symptômes musculaires s’est révélée identique dans les deux groupes (environ 2 % par an). Cependant, lors de la phase ouverte, les symptômes musculaires ont été rapportés significativement plus souvent dans le groupe statine en comparaison des patients n’en prenant pas (1,26 vs 1,00 % par an ; p = 0,006).
En conclusion, on constate plus d’effets secondaires musculaires sous atorvastatine que sous placebo lors de la phase observationnelle, mais pas lors de la phase randomisée et contrôlée. La cohorte ainsi que la méthode d’analyse étant restées identiques pendant les deux phases de l’étude, on peut logiquement conclure à l’existence d’un effet nocebo. En d’autres termes, lorsque le médecin prescrit un traitement de statine de façon consciente et que le patient le prend en connaissance de cause, la survenue d’effets indésirables augmente par un phénomène d’anticipation négative. Le médecin devra donc être attentif à ne pas susciter un tel phénomène lorsqu’il informera le patient des effets secondaires éventuels du traitement de statine.
Le screening du cancer de la prostate par dosage du PSA reste actuellement controversé. En effet, s’il permet de réduire la morbi-mortalité de cette affection, il est aussi associé à un surdiagnostic et un surtraitement des cancers indolents. Les auteurs de l’étude discutée9 tentent de déterminer si un dosage du PSA entre 40 et 59 ans prédit le risque de développer un cancer prostatique mortel, défini comme métastatique ou entraînant la mort. Ils partent de l’hypothèse qu’un taux de PSA supérieur à la médiane pour une tranche d’âge donnée augmente le risque de développer un cancer prostatique létal.
Pour leur analyse, les auteurs utilisent les données issues de la US Physicians’Health Study incluant 22 071 hommes parmi lesquels 14 916 ont un dosage du PSA à leur entrée dans l’étude (entre 1982 et 1984) et sont suivis jusqu’en 2012 (étude observationnelle). La survenue d’un cancer prostatique et son caractère létal ont été identifiés via des questionnaires biannuels. Parmi les hommes de 40 à 59 ans, 234 développent un cancer de la prostate et 71 un cancer prostatique létal. L’âge médian de la prise de sang est de 55 ans, avec une médiane de suivi entre la prise de sang et le diagnostic de cancer prostatique létal de 8,6 ans. En outre, les auteurs déterminent la valeur médiane de PSA par tranche d’âge (0,68 ng/dl entre 40 et 49 ans, 0,88 ng/dl entre 50 et 54 ans, et 0,96 ng/dl entre 55 et 59 ans).
Les données montrent une forte association entre le PSA dosé initialement et le risque de développer un cancer prostatique létal, en particulier si la valeur de PSA est supérieure au 90e percentile. Les odds ratios entre un PSA supérieur au 90e percentile et un PSA équivalent à la médiane sont de 8,7 (IC 95 % : 1,0‑78,2, n = 6) entre 40 et 49 ans, 12,6 (IC 95 % : 1,4‑110,4, n = 11) entre 50 et 54 ans, et 6,9 (IC 95 % : 2,5‑19,1, n = 22) entre 55 et 59 ans. En outre, pour les hommes ayant un PSA en dessous de la médiane, le risque absolu d’avoir un cancer prostatique est de 0,19 % entre 50‑54 ans et de 0,59 % entre 55‑59 ans.
En conclusion, les auteurs retiennent que le dosage du PSA entre 40 et 59 ans permet de prédire le risque de développer un cancer prostatique létal, et proposent de l’utiliser pour identifier les hommes qui nécessiteraient un screening sérié par la suite. Ils soulignent que les hommes de 60 ans ayant un PSA en dessous de la médiane (PSA < 1 ng/dl) sont très peu à risque de développer un cancer prostatique létal, et proposent de ne plus poursuivre de dépistage dans cette population.
La stratégie de la prise en charge d’un cancer localisé de la prostate, notamment suite à un dépistage, est toujours sujet à débat. The National Institute for Health Research Prostate Testing for Cancer and Treatment » (ProtecT) a recruté au Royaume-Uni, entre 1999 et 2009, 82 429 hommes de 50 à 69 ans pour un dosage du PSA, dont 2 664 ont reçu le diagnostic de cancer prostatique localisé. 1643 ont accepté d’être « randomisés » en trois bras : surveillance active (545), prostatectomie radicale (553) et radiothérapie (545), puis suivis pendant 10 ans.10 Dans le bras surveillance active, c’est une augmentation du PSA d’au moins 50 % dans les 12 derniers mois qui motivait de nouveaux tests pour réévaluer le cancer. Sur les 545 hommes du groupe surveillance active, 291 (56 %) ont bénéficié d’un « traitement radical » avant la fin de l’étude. Une décision de changement de stratégie vers un traitement radical pouvait également être prise pour des raisons autres que la progression de la maladie.
Le critère de jugement primaire, le décès lié au cancer de la prostate, présente une faible incidence (17 hommes durant les 10 ans dans tous les groupes, soit environ 1 %) et il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les groupes (8 dans le groupe surveillance active, 5 dans le groupe chirurgie, 4 dans le groupe radiothérapie). Il n’y avait pas non plus de différence entre les groupes pour ce qui concerne le décès de toutes causes (169 hommes durant les 10 ans dans tous les groupes, soit environ 10 %). Il est à signaler que le taux de mortalité dans cette étude, que cela soit de toutes causes ou lié au cancer de la prostate, est particulièrement bas. Dans deux autres grandes études11,12 comparant la prostatectomie radicale et la surveillance, les taux de mortalité de toutes causes étaient nettement supérieurs (64 % sur une période de 18 ans pour l’une et 48,4 % sur 10 ans pour l’autre). Par contre, des métastases se sont plus souvent développées dans le groupe surveillance active (33 hommes : 6,1 %) que dans le groupe chirurgie (13 hommes : 2,4 %) ou dans le groupe radiothérapie (16 hommes : 2,9 %). Le dernier critère d’évaluation secondaire était la progression de la maladie, qui était également plus de deux fois supérieure dans le groupe surveillance active (112 hommes : 21 %) que dans le groupe chirurgie (46 hommes : 8,3 %) ou radiothérapie (46 hommes : 8,4 %). A signaler qu’il n’est pas fait mention dans cette étude des effets secondaires liés au traitement radical.
Cette étude montre donc qu’une surveillance active n’augmente pas la mortalité à 10 ans par rapport à une prise en charge d’emblée plus agressive par chirurgie ou radiothérapie, avec cependant un taux de métastases et une progression de la maladie supérieurs. La meilleure stratégie de prise en charge à proposer à nos patients reste donc difficile à déterminer pour ces cancers de bons pronostics et des études à plus long terme sont nécessaires.
Aux Prs Jean-Michel Gaspoz et Idris Guessous pour leur aide précieuse dans le choix des études et la relecture de l’article.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’association chondroïtine/glucosamine semble inefficace pour traiter les douleurs dans l’arthrose du genou
▪ L’acupuncture semble réduire la fréquence, la durée et l’intensité des crises migraineuses et pourrait ainsi être considérée comme un traitement alternatif ou complémentaire aux thérapies habituelles
▪ Les capsules de canneberge ne montrent pas d’efficacité dans la prévention des infections urinaires chez la femme âgée
▪ Lors de la prescription de statines, le médecin informera son patient des effets secondaires possibles tout en veillant à ne pas susciter une anticipation négative qui pourrait favoriser la survenue d’effets indésirables (effet « nocebo »)
▪ Le dosage du PSA entre 40 et 59 ans permet de prédire le risque de développer un cancer prostatique létal et pourrait être utilisé pour identifier les hommes qui nécessiteront un suivi rapproché. Chez les hommes de 60 ans, un PSA inférieur à 1 ng/dl signe un risque très faible de développer un cancer prostatique létal ; on peut donc se poser la question de la pertinence de poursuivre le screening dans cette population
▪ Chez les hommes chez qui un cancer localisé de la prostate est diagnostiqué, une surveillance active ne semble pas augmenter la mortalité à 10 ans par rapport à une prise en charge d’emblée plus agressive par chirurgie ou radiothérapie. Des études à plus long terme sont cependant nécessaires