Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont ouvert il y a un peu plus d’un an (le 1er novembre 2016), une structure d’urgences -gériatriques à l’Hôpital des Trois-Chêne. Elle -accueille les -patients de 75 ans et plus, en urgence non vitale et non chirurgicale. Les HUG font figure de précurseurs dans ce domaine car c’est la première structure en Suisse et probablement en Europe à avoir implanté une structure d’urgences au sein même d’un hôpital gériatrique.
A l’occasion de ce premier anniversaire, l’heure du bilan est venue. Ces urgences gériatriques ont accueilli un peu moins de 3000 patients en une année, d’âge moyen de 85 ans, âge identique à la population hospitalisée sur ce site d’un peu moins de 300 lits. La présentation atypique ou non spécifique des maladies ainsi que les symptômes non rapportés par le patient âgé, rendent le diagnostic parfois difficile à poser en gériatrie.
L’anamnèse est un élément fondamental pour pouvoir poser un diagnostic. Cependant, force est de constater que c’est un exercice souvent difficile, et les étudiants en médecine -côtoyant leurs premiers patients en gériatrie sont souvent -déroutés. En effet, il faut composer avec les troubles cognitifs éventuels, les difficultés de communication associées, en particulier la surdité, l’aphasie, la culture et les représentations des diverses maladies vécues. Ce n’est pas toujours le médecin traitant qui réfère le patient aux urgences. Ainsi, les antécédents médicaux et le traitement en cours sont souvent difficiles à obtenir auprès du malade. Celui-ci omettra souvent de mentionner ses collyres (importants pour son glaucome) ou son somnifère habituel, l’exposant à un risque d’état confusionnel sur sevrage de benzodiazépines. Les symptômes d’appel sont souvent peu spécifiques (confusion, chute, baisse de l’état général), et cachent des maladies qu’il est important de démasquer pour pouvoir les traiter, d’où la nécessité d’une anamnèse minutieuse, souvent complétée par l’entourage (proches, intervenants à domicile et médecin traitant).
L’examen clinique peut lui aussi être trompeur chez l’âgé : des signes importants peuvent manquer comme la fièvre dans un sepsis, la contracture musculaire abdominale dans un iléus, la loge rénale douloureuse dans une pyélonéphrite, la sensation de soif et les signes cliniques accompagnant une déshydratation.
L’expression clinique de la maladie chez l’âgé peut elle aussi piéger le médecin. Il existe plusieurs modèles de présentation de pathologies en médecine gériatrique qui servent de guides de réflexion :
Le modèle classique « monopathologique » comme pour l’adulte plus jeune.
Le modèle additif « polypathologique » tenant compte des différentes comorbidités, la survenue d’une nouvelle maladie pouvant décompenser une autre comorbidité méconnue (par exemple: survenue d’une anémie décompensant une cardiopathie ischémique méconnue), ou à l’inverse une maladie masquant une comorbidité importante (par exemple : coxarthrose invalidante masquant une insuffisance respiratoire sous-jacente).
Le modèle de « polypathologies en cascade »: une dysfonction d’organe chez un patient déjà polymorbide entraîne la défaillance d’autres organes, par exemple : une bronchopneumonie chez un parkinsonien va engendrer une diminution de la mobilité, des troubles de la déglutition, une malnutrition, des escarres.
Le modèle de 1+2+3 de Jean-Pierre BOUCHON :
= vieillissement normal de l’organe n’atteignant pas le seuil de défaillance (perte de fonctionnalité).
= maladie chronique de l’organe.
= maladie aiguë, facteur précipitant.
Dans ce modèle de raisonnement 1+2+3, l’organe malade, mais jusque-là sous contrôle, peut devenir défaillant en raison de la survenue d’une maladie aiguë intercurrente. Par exemple : 1) cerveau de patient âgé ; 2) cerveau atteint de démence de type Alzheimer traité par diurétiques pour HTA et 3) canicule avec poursuite des diurétiques, conduisant à une insuffisance rénale se manifestant par un état confusionnel. Il va falloir non seulement traiter l’insuffisance rénale aiguë sur déshydratation, mais aussi le cerveau qui peut mettre des semaines avant de recouvrer son état antérieur.
Prenons l’hypothèse 1+3, 1) cœur de patient âgé sans pathologie et 3) bronchopneumonie (BPN) entraînant une décompensation cardiaque, une fois la BPN et la décompensation cardiaque traitées, le patient n’aura plus besoin de médicaments diurétiques.
En gériatrie, il est parfois « urgent de ne rien faire » pour ne pas infliger aux patients âgés des examens douloureux ou des traitements inutiles. Il est cependant primordial de réfléchir très rapidement car si un traitement doit être entrepris, il ne faut pas perdre de temps sous peine de ne plus pouvoir agir.