Il ne se passe pas un jour sans que la question des coûts de la médecine soit discutée par les médias, un casse-tête économique qui, à juste titre, touche chacun d’entre nous, médecins ou personnes privées. Plus récemment, c’est la médecine ambulatoire qui est dans le viseur des politiciens, et donc logiquement le praticien. Les débats ont malheureusement de la peine à s’élever au-dessus du porte-monnaie salarial… Comme académique, mais aussi comme praticien hospitalier, l’immunologue clinique se sent directement mis en cause, puisqu’il bénéficie, surtout lorsqu’il est employé par l’hôpital universitaire, d’un accès direct à une catégorie de patients particulièrement difficiles à traiter et qui, bien souvent, ont vu la plupart des traitements classiques mis en échec. On peut évoquer en particulier des cas réfractaires de lupus érythémateux, de vasculites dévastatrices, de syndromes autoinflammatoires gravissimes, mais aussi plus récemment de pathologies peut-être moins potentiellement fatales, telles que l’asthme sévère et les pathologies hyperéosinophiliques.
Certains patients et leur médecin se sentent d’ailleurs coupables
Or, à quelques reprises au cours de ce dernier semestre, nous avons fait l’objet de critiques virulentes soit de confrères, soit du public quant à l’utilisation de traitements qui parfois culminent à Fr. 25 000, voire jusqu’à Fr. 100 000 par année et qui certes demandent à être clairement justifiés dans leur application. Il y a probablement au moins deux questions qui doivent être discutées : d’une part, l’indication bien entendu à de tels traitements, d’autre part, le prix réel des traitements en question. Pour ce qui est de l’indication, les garde-fous sont assez clairs. Il s’agit avant tout de traiter un patient chez qui toutes les autres approches thérapeutiques se sont trouvées mises en échec et qui voit de ce fait sa survie potentielle mise en question. Au-delà de la survie, la question des effets secondaires est également cruciale, avec notamment, dans le domaine inflammatoire, la limitation de la consommation de stéroïdes, sinon d’autres cytotoxiques. On peut dans ces cas-là, considérant l’accumulation des problèmes métaboliques potentiellement induits, opter rapidement pour une approche anti-inflammatoire spécifique, basée sur l’usage d’un anticorps monoclonal anticytokine notamment. Bien souvent, dans notre spécialité, l’usage des biologiques est hors indication (off-label). C’est une immense responsabilité pour le praticien universitaire, mais nous considérons aussi qu’il est de notre devoir de professionnel d’évaluer effectivement en bout de chaîne l’efficacité potentielle de tels ou tels agents biologiques, en nous fondant sur la connaissance étiopathologique de la maladie à traiter et sur notre expérience clinique. Nous devons saluer le fait qu’en l’occurrence, vraisemblablement parce que le dialogue est transparent et raisonnable, les caisses maladie ont soutenu dans l’immense majorité des cas l’administration de thérapeutiques novatrices au bénéfice de leur assuré et de nos patients. Certes, l’amélioration de la qualité de vie, la correction de la pathologie, la diminution des effets secondaires d’une thérapeutique classique se font au prix d’un coût annuel exorbitant. Certains patients et leur médecin se sentent d’ailleurs coupables de « profiter » de telle manière de la société.
Lors de négociations du prix des médicaments, l’évaluation de l’Incremental Cost Effectiveness Ratio (ICER) joue un rôle-clé. On considère que dans un pays fortement développé comme la Suisse, un coût d’environ Fr. 40 000 par année pour une pathologie inflammatoire chronique est acceptable. Il est clair que même si le traitement en question diminue la durée de séjour hospitalier, permettant dans un grand nombre de cas un retour à une activité professionnelle, il est peu probable que cette somme soit pleinement « remboursée ». Le coût du traitement joue bien entendu un rôle central dans l’équation. Au final, il en résulte donc un coût certain pour la société. Nous pensons que ce serait une erreur de culpabiliser le corps médical et les patients et défendons clairement l’usage de cette nouvelle génération de médicaments. Au plan des effets secondaires, ceux-ci sont la plupart du temps limités, bien souvent significativement moins sévères que ceux des immunosuppresseurs classiques. L’administration de ces agents biologiques est en général facile, souvent espacée dans le temps. Ils sont très souvent administrables à domicile. Et surtout, si le coût sociétal est actuellement effectivement exagéré, c’est avant tout le résultat d’une décision politique qui ne devrait pas être mise en balance avec la qualité de vie et la santé du patient.
Les coûts des biologiques sont effectivement hors de toute norme, ne correspondent en rien aux coûts de fabrication, et sont essentiellement là pour tenter non seulement de rembourser les coûts de la recherche, mais surtout de valoriser l’actionnariat de l’entreprise. C’est là qu’on peut reprocher à notre Etat confédéral d’avoir très peu de puissance contre les lobbys des pharmas. La situation est différente dans d’autres pays européens.
Nous pensons en particulier aux prix des vaccins, exorbitants sous nos latitudes lorsqu’ils ne sont pas pris en charge par notre système d’assurance. D’autres grands pays européens, comme la France, peuvent directement négocier le prix d’un vaccin (et son approvisionnement d’ailleurs) via un gouvernement centralisé, alors que la Suisse est incapable d’aucune pression de négociation par le biais politique direct. La taille du marché, il est vrai, ne la favorise pas non plus. Il en est de même pour les nouveaux agents biologiques et les check point inhibitors non seulement en immunologie clinique ou en rhumatologie, mais aussi dans d’autres disciplines, comme l’oncologie.
L’austérité ne sera pas une réponse. ce serait une régression
En conclusion, lorsque l’indication à un traitement novateur est posée, lorsque les négociations avec l’assureur ont abouti à un accord, ni le médecin ni le patient ne doivent se sentir coupables de coûts exorbitants sur lesquels ils n’ont aucune influence. Et auxquels ils n’ont aucun intérêt direct bien entendu. Sur ces coûts-là, les politiciens sont attendus impatiemment, mais l’austérité ne sera pas une réponse. Ce serait une régression.