Le syndrome des anticorps antiphospholipides thrombotique est défini par la survenue d’un épisode thrombotique en présence d’anticorps antiphospholipides persistants. Les recommandations pour la prévention secondaire des thromboses ne sont pas basées sur un niveau de preuve élevé. L’anticoagulation avec un antagoniste de la vitamine K est au premier plan lorsque l’événement initial est une thrombose veineuse. Lors de thromboses -artérielles, le régime antithrombotique de choix est moins clair, et la place de l’aspirine est débattue. Les données d’études récentes semblent déconseiller l’utilisation des anticoagulants oraux directs. Il reste encore à établir comment identifier les -patients avec un risque de récidive moindre afin d’adapter la meilleure stratégie antithrombotique.
Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SaPL) thrombotique est défini par la survenue d’un événement thrombotique veineux et/ou artériel, et/ou de la microcirculation en association avec la mise en évidence d’anticorps antiphospholipides (aPL), à savoir un anticoagulant de type lupique (LA), des anticorps anticardiolipines (aCL) et/ou des anticorps anti-2 glycoprotéine-I (aβ2GP1), sur deux prélèvements sanguins effectués à 3 mois d’intervalle.1 Un SaPL est considéré comme secondaire ou primaire selon qu’il survient en association avec une maladie autoimmune, classiquement le lupus érythémateux disséminé, ou de manière isolée.1
Le mécanisme physiopathologique menant à l’état prothrombotique observé chez les patients avec aPL n’est que partiel-lement élucidé et, de ce fait, plusieurs questions restent -ouvertes quant à la meilleure stratégie antithrombotique pour le traitement de l’épisode thrombotique initial et surtout la prévention secondaire d’une récidive – le sujet de cet article.2 Si l’utilisation d’un antagoniste de la vitamine K (AVK) est la thérapie de choix en cas d’événement thrombotique veineux, il n’y a pas de consensus concernant la prise en charge optimale des thromboses artérielles. De même, la place des anticoagulants oraux directs doit encore être -définie. Enfin, certains patients présentent des récidives thrombotiques malgré une anticoagulation bien conduite et la meilleure stratégie de prise en charge de ces événements n’est pas établie.2
Cet article de synthèse revoit l’épidémiologie du SaPL thrombotique et fait le point sur les stratégies antithrombotiques. Nous aborderons uniquement le SaPL thrombotique, sans évoquer les complications obstétricales du SaPL ni le SaPL catastrophique. Enfin, nous ne discuterons pas de la prévention primaire des patients avec aPL (donc sans événement thrombotique).
Les mécanismes physiopathologiques par lesquels les aPL -favorisent l’état prothrombotique ne sont pas complètement élucidés, mais l’activation de cellules inflammatoires et de l’endothélium semble jouer un rôle prédominant.3 La cible la plus importante des aPL est la 2 glycoprotéine-I (2GP1) liée aux surfaces phospholipidiques de nombreux types cellulaires.1 La liaison des aPL avec cette glycoprotéine va induire l’expression de molécules d’adhésion cellulaire prothrombotiques (telles que la E-selectine, le facteur tissulaire ou la -glycoprotéine IIb/IIIa), activer le complément, stimuler les monocytes à produire des microparticules riches en facteur -tissulaire, augmenter la libération des neutrophil extracellular traps par les neutrophiles activés, tout en diminuant l’activité de l’inhibiteur de la voie du facteur tissulaire et de la protéine C activée.3
Le tableau clinique du SaPL thrombotique est hétérogène, avec un pronostic qui dépend souvent du phénotype bio-logique initial. Ainsi, il semble qu’un anticoagulant de type lupique (LA) confère un risque thrombotique plus élevé par rapport aux autres aPL.1 De même, il a été démontré que les patients présentant une triple positivité des aPL (LA, aCL et aB2GP1) et/ou des titres d’anticorps élevés ont un risque augmenté de récidive thrombotique.4
Sur la base de la cohorte européenne du projet Phospholipides (1000 patients suivis pendant 10 ans), nous savons que la prévalence des thromboses est élevée (70 %), notamment chez les patients plus jeunes, avec un âge médian de 40 ans.5 La maladie thromboembolique veineuse est fréquente et se caractérise essentiellement par des embolies pulmonaires ou des thromboses veineuses profondes. Des sites inhabituels, tels que les veines cérébrales, les veines rénales et les veines du territoire splanchnique sont plus rarement atteints.1 Les événements thrombotiques artériels concernent le plus fréquemment les territoires cérébraux, classiquement sous forme d’accidents vasculaires ischémiques. Chez une faible proportion de patients, des lésions de la substance blanche sous-corticale ont été décrites, mais leur signification clinique n’est pas encore établie.1 Plus rarement, les patients -développent un syndrome coronarien aigu ou une ischémie des membres inférieurs. Un livedo réticulaire est observé chez environ 15 % des patients et semble être un marqueur de risque plus élevé pour les événements thrombotiques -artériels.3
De manière générale, les recommandations pour la prévention secondaire sont issues d’un niveau d’évidence relativement faible. Le traitement antithrombotique de choix pour la prévention secondaire, lorsque l’événement initial est une thrombose veineuse, est une anticoagulation par AVK (-tableau 1). L’intensité du traitement anticoagulant (INR cible entre 2 et 3 ou INR cible entre 3 et 4) a été spécifiquement évaluée dans deux études randomisées ayant inclus respectivement 114 et 109 patients.6,7 Les résultats dans leur ensemble n’ont pas montré de différence significative entre les deux schémas d’anticoagulation pour ce qui concerne la récidive thrombotique. Il faut toutefois noter que l’INR cible dans le groupe de l’anticoagulation à intensité élevée n’avait été obtenu que pendant 40 % de la durée des études et que plusieurs événements thrombotiques étaient survenus en l’absence d’anticoagulation thérapeutique. Les patients reçoivent généralement une anticoagulation au long cours, au moins tant que les aPL sont détectables.4
La prévention secondaire, lorsque l’événement initial est une thrombose artérielle, est en général aussi basée sur les AVK. Toutefois, l’intensité optimale du traitement anticoagulant est plus débattue par rapport au traitement des thromboses veineuses. En effet, certains experts préconisent de viser un INR cible entre 3 et 4.8 Toutefois, il n’y a que peu de données pour conforter ces recommandations et il n’existe pas de consensus au sein des sociétés savantes. Des analyses de sous-groupes de deux études randomisées ne montrent pas de bénéfice d’une anticoagulation plus intense par rapport à l’anticoagulation classique (INR entre 2 et 3), mais les -effectifs sont faibles.6,7 Une revue systématique de la littérature, basée essentiellement sur des études rétrospectives, a rapporté un nombre moindre de récidives chez les patients avec une anticoagulation à intensité élevée par rapport aux patients avec une anticoagulation à intensité classique. Les épisodes de saignement n’étaient pas rapportés dans toutes les études de cette revue, mais dans trois quarts des cas (lorsque la valeur était disponible lors d’un événement -hémorragique), l’INR était > 3.9
Le rôle de l’aspirine en plus de l’anticoagulation ou en lieu et place de l’anticoagulation est également débattu dans le SaPL avec une thrombose artérielle, en particulier lors d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Dans une analyse de sous-groupe d’une étude randomisée visant à évaluer la place de l’aspirine (325 mg 1x/j) en comparaison aux AVK chez les -patients ayant présenté un AVC, la prise d’aspirine chez 1770 patients avec des aPL au moment de l’inclusion était aussi -efficace qu’une anticoagulation (INR entre 2 et 3).10 Or, la -limitation majeure de cette étude est que les aPL n’avaient pas été confirmés à 12 semaines d’intervalle et donc le diag-nostic de SaPL thrombotique n’avait pas pu être formellement posé. De même, une autre étude randomisée contrôlée, portant sur 20 patients avec un antécédent d’AVC, a montré un taux de récidive thrombotique plus faible dans le groupe aspirine (100 mg par jour) plus anticoagulation en comparaison du groupe aspirine seule.11 Cette étude était toutefois -limitée par un collectif faible de patients et l’hétérogénéité du profil des aPL. En tenant compte de ces limitations, certains experts préconisent l’utilisation de l’aspirine seule chez des patients à risque thrombotique faible (tableau 1). Cependant, en l’absence de modèles de stratification du risque thrombotique artériel fiable en cas de SaPL, il est difficile d’adapter le traitement antithrombotique au profil du patient. En règle -générale, nous optons pour une anticoagulation par AVK en visant un INR entre 2 et 3 dans ce type de situation, sans aspirine.
La récidive de complications thrombotiques malgré un traitement d’AVK bien mené est une complication bien connue du SaPL thrombotique.1 Dans cette situation, il est primordial de s’assurer que l’anticoagulation est bien efficace, autrement dit que le monitoring de l’anticoagulant n’est pas influencé (INR faussement thérapeutique) par la présence d’un LA pouvant interférer avec certaines thromboplastines utilisées pour la mesure de l’INR.8 Il n’y a pas de données basées sur l’évidence pour guider la prise en charge de patients souffrant d’une récidive thrombotique malgré une anticoagulation bien menée (tableau 1). Habituellement, l’intensité de l’anti-coagulation est augmentée (INR cible entre 3 et 4). En cas d’événement thrombotique artériel, l’aspirine peut être -ajoutée. Un relais par une anticoagulation par héparine de bas poids moléculaire au long cours peut aussi être proposé en fonction du contexte clinique.1
L’utilisation des anticoagulants oraux directs a produit des -résultats discordants dans différentes séries de cas12 et quelques études randomisées sont en cours ou viennent d’être terminées (tableau 2). L’étude RAPS (Rivaroxaban in Antiphospholipid Syndrome) est une étude randomisée de non-infériorité, qui a inclus 116 patients avec SaPL et un antécédent thrombotique veineux, soit à poursuivre un AVK, soit à remplacer ce traitement par le rivaroxaban 20 mg 1x/j.13 Le critère de jugement primaire était le profil global de l’équilibre de l’hémostase, évalué par un test de génération de thrombine au 42e jour de l’inclusion. Les résultats ont montré que même si les patients du bras rivaroxaban n’avaient pas -atteint l’objectif de non-infériorité, dans l’ensemble, il n’y avait probablement pas d’augmentation du risque thrombotique.13 L’étude TRAPS (Rivaroxaban in Thrombotic Antiphospholipid Syndrome) est une étude randomisée qui a -examiné l’efficacité et la sécurité d’emploi du rivaroxaban 20 mg 1x/j chez les patients avec une triple positivité des aPL comparé à un AVK. L’étude a été interrompue prématurément après l’inclusion de 120 patients en raison de la survenue d’événements thrombotiques artériels (12 % versus 0 %) et de saignements majeurs (7 % versus 3 %) dans le groupe rivaro-xaban comparé au groupe AVK.14 Enfin, l’étude randomisée ASTRO-APS (Apixaban for the Secondary Prevention of Thromboembolism Among Patients With the AntiPhospho-lipid Syndrome), comparant la prise d’apixaban à la prise d’aspirine en prévention secondaire, est actuellement en cours d’inclusion (NCT02295475). Si les données actuelles concernant l’utilisation des anticoagulants oraux directs dans le SaPL thrombotique sont peu encourageantes, il reste encore à définir leur utilisation chez des patients avec des profils de risque thrombotiques différents, notamment ceux à plus faible risque (un seul aPL présent par exemple).
Le syndrome des anticorps antiphospholipides thrombotique est une pathologie grevée d’une morbidité et d’une mortalité significatives. A ce jour, le traitement de choix pour prévenir une récidive est l’anticoagulation par AVK, avec ou sans -l’association d’aspirine. Il reste encore à définir le rôle de -traitements alternatifs, tels que certains immunomodulateurs, et la place des anticoagulants oraux directs, notamment en fonction des différentes catégories de risque thrombotique.
Les auteurs n’ont pas de conflits d’intérêt avec cet article.
▪ Le traitement antithrombotique de choix dans le syndrome des anticorps antiphospholipides (SaPL) avec thrombose veineuse est la prescription d’AVK en visant un INR entre 2 et 3
▪ Lorsque l’événement initial est une thrombose artérielle, le traitement antithrombotique optimal est mal défini, en -particulier pour les patients à faible risque
▪ Les anticoagulants oraux directs ne sont pas indiqués dans le SaPL thrombotique avec une triple positivité
Le syndrome des anticorps antiphospholipides thrombotique est défini par la survenue d’un épisode thrombotique en présence d’anticorps antiphospholipides persistants. Les recommandations pour la prévention secondaire des thromboses ne sont pas basées sur un niveau de preuve élevé. L’anticoagulation avec un antagoniste de la vitamine K est au premier plan lorsque l’événement initial est une thrombose veineuse. Lors de thromboses -artérielles, le régime antithrombotique de choix est moins clair, et la place de l’aspirine est débattue. Les données d’études récentes semblent déconseiller l’utilisation des anticoagulants oraux directs. Il reste encore à établir comment identifier les -patients avec un risque de récidive moindre afin d’adapter la meilleure stratégie antithrombotique.