On sait que dans l’espèce humaine certains papillomavirus (HPV) sont à l’origine d’infections sexuellement transmissibles à la fois fréquentes et asymptomatiques ; des infections qui peuvent ensuite être responsables d’un large éventail d’affections et de lésions précancéreuses susceptibles d’évoluer vers un cancer. Chez la femme, le cancer du col de l’utérus est le plus fréquent mais c’est également le cas de cancers de la vulve et du vagin. Chez l’homme, le cancer du pénis, rare, peut être dû aux HPV. Et dans les deux sexes, outre les verrues génitales (dont les condylomes acuminés), ces mêmes virus peuvent être responsables de cancers de l’anus et d’une fraction des cancers de la gorge.
On sait aussi que l’exposition aux HPV se produit chez les sujets jeunes, peu après le début de l’activité sexuelle. Et on estime que 80 % des femmes sont infectées par les papillomavirus au cours de leur vie. Quel bilan peut-on faire aujourd’hui des stratégies vaccinales développées ces dernières décennies ? Doivent-elles être revues et complétées ? Tel est le sujet d’un texte que vient de publier La Revue du Praticien,1 texte signé du Pr Joël Gaudelus (Service de pédiatrie, Hôpital Jean-Verdier, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris).
En France, la vaccination est recommandée chez les jeunes filles de 11 à 14 ans (avec un rattrapage jusqu’à 19 ans révolus) ainsi que chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (et ce jusqu’à 26 ans) – ainsi que chez les sujets immunodéprimés des deux sexes de 9 à 23 ans. Comparée à d’autres pays, la couverture vaccinale y est particulièrement basse et l’on recense chaque année (en dépit des programmes de dépistage) 3000 nouveaux cas de cancer de l’utérus et un millier de cas de cancer de l’anus (dont 300 chez les hommes).
L’objectif est de vacciner avec ce vaccin préventif avant le début de l’activité sexuelle
Aujourd’hui, trois vaccins contre les infections à papillomavirus disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe : Cervarix, vaccin bivalent qui comporte les génotypes 16 et 18 (laboratoire GSK) ; Gardasil ou Gardasil 4 (Sanofi Pasteur MSD) comportant les génotypes 6, 11, 16, 18 ; Gardasil 9 (MSD) comportant les 4 génotypes de Gardasil 4 et 5 génotypes supplémentaires : 31, 33, 45, 52, 58. Les schémas d’administration sont de deux doses espacées de six mois chez les 11-14 ans ; et de trois doses chez les 15-26 ans. « La tolérance de ces vaccins est bonne, rappelle le Pr Gaudelus. Après plus de sept années de recul et plus de 170 millions de doses délivrées, les taux de notification, toutes gravités confondues, étaient de 2 à 5 pour 10 000 : douleur au point d’injection, céphalées, nausées, vertiges, fièvre. Le taux de notification des cas graves était de 0,7 à 0,8 pour 10 000 ; syncopes vaso-vagales. »
Ce spécialiste ajoute que, compte tenu de l’âge d’administration du vaccin, de nombreux travaux ont été consacrés aux risques de maladies auto-immunes dans les suites de cette vaccination. Les résultats vont selon lui tous dans le même sens : « il n’y a pas d’augmentation du risque de développer une maladie auto-immune dans la population vaccinée, par rapport à la population non vaccinée ». Une conclusion qui vaut également selon lui pour le syndrome de Guillain-Barré, un moment suspecté. « Après plus de 10 ans de recul et 270 millions de doses distribuées, la conclusion de l’Organisation mondiale de la santé est que ce vaccin est bien toléré, conclusion partagée par une récente revue Cochrane »2 résume-t-il.
Même conclusion rassurante quant à l’efficacité des vaccins actuellement commercialisés et qui a été évaluée dans de nombreux essais cliniques « dont les résultats vont tous dans le même sens ». Chez les femmes, quel que soit leur statut HPV (positif ou négatif), vaccinées entre 15 et 26 ans, la vaccination réduit le risque de lésions précancéreuses (associées aux HPV 16 et 18) de 341 à 157 pour 10 000, et le risque de lésions précancéreuses (tous types d’HPV confondus) de 559 à 391 pour 10 000. Des études à plus long terme sont toutefois nécessaires pour évaluer les effets sur les cancers, compte tenu du délai qui sépare l’infection par le papillomavirus et les cancers induits, qui est de l’ordre de 15 à 25 ans.
Reste une question qui deviendra de plus en plus chaque jour d’actualité : qui vacciner ? L’intérêt de la vaccination des jeunes filles et des jeunes femmes avant l’infection par les papillomavirus n’est plus à démontrer ; un bénéfice qui s’ajoute à celui du dépistage des lésions précancéreuses, du moins quand ce dépistage est correctement mis en œuvre.
L’objectif est bien évidemment de vacciner avec ce vaccin préventif avant le début de l’activité sexuelle. Pour autant, le Pr Gaudelus estime que l’âge des recommandations est, en France, trop restrictif. « Toutes les femmes n’ont pas débuté leur activité sexuelle à 19 ans révolus et celles-ci peuvent donc bénéficier de ce vaccin comme les plus jeunes dans les limites de l’AMM, observe-t-il. Dans l’état actuel des recommandations, ces femmes ne seront pas remboursées d’un vaccin qui est cher (Cervarix : 109,65 €, Gardasil : 121,41 €, Gardasil 9 : 135,70 €). Par ailleurs, même après avoir débuté une activité sexuelle, le seul risque du vaccin est celui d’une moindre efficacité du fait d’une infection possible ou probable, par un ou plusieurs papillomavirus, antérieure à la vaccination. Il paraît difficile de refuser ce vaccin à une femme qui le demande. »
Et ce spécialiste de préciser qu’au vu de leur couverture vaccinale et des résultats observés, les Australiens en sont à modéliser l’élimination du cancer du col de l’utérus.3 Un thème de santé publique où, pour différentes raisons, la France est très en retard. En 2016, la couverture vaccinale des filles de 11-14 ans en France était de 19,1 % pour une dose. Or la couverture vaccinale pour la vaccination complète est de 42 % aux Etats-Unis, de 78 % en Australie, 88 % en Suède, 86 % au Royaume-Uni et 87 % au Portugal.
« De nombreuses jeunes filles ne vont pouvoir que regretter de ne pas s’être fait vacciner » prévient le Pr Gaudelus. Mais ce n’est pas tout. Les recommandations françaises actuelles (hormis pour les homosexuels masculins) ne concernent que les filles. Selon lui, la question de la vaccination de tous les garçons doit désormais être ouvertement soulevée. Il faut certes compter avec l’argument qui veut que la vaccination des hommes soit d’autant moins nécessaire que la couverture vaccinale des filles est élevée. Mais que vaut cet argument d’un point de vue pragmatique, pour ne pas dire éthique ?
« En supposant qu’on parvienne à l’élever à un niveau assurant au minimum une immunité de groupe qui semble être d’au moins 50 %, il faudra du temps, et pendant ce temps il n’existe chez l’homme aucune protection individuelle et aucun dépistage concernant les lésions précancéreuses anales, fait valoir le Pr Gaudelus. Certes, il n’est pas démontré d’action sur les cancers de l’oropharynx et de la cavité buccale, mais quel est le risque, y compris en santé publique, de parier sur l’efficacité en sachant que de façon certaine le fait de vacciner les garçons et les filles ralentira la diffusion du virus, donc de l’infection et donc de ses conséquences. »
On peut d’ailleurs faire ici le parallèle avec la rubéole. La vaccination des hommes contre ce virus ne présente aucun intérêt d’un point de vue de la protection individuelle, il aura fallu pourtant vacciner à la fois les hommes et les femmes pour obtenir des résultats conséquents sur la circulation du virus – et maintenant espérer l’élimination de la rubéole congénitale qui sera obtenue avec l’augmentation de la couverture vaccinale.
Conclusion : pour toutes ces raisons, la recommandation vaccinale contre les HPV doit selon lui désormais s’étendre à tous les garçons. Qui peut prendre une telle décision ?