Dans le domaine de l’activité physique, une des caractéristiques de notre société est de créer des événements sportifs qui incitent à produire des champions. Pour obtenir un niveau de performance permettant de faire rapidement partie des meilleurs, il est exigé des jeunes sportifs de s’entraîner de manière régulière et répétée, en négligeant souvent la physiologie liée à leur croissance. En cas de spécialisation sportive précoce, la reproduction d’exercices identiques pour atteindre l’excellence sportive attendue sera à l’origine de lésions de surcharge chez le jeune en pleine croissance.1 Sans encadrement adapté aux besoins de cette tranche d’âge, la dure quête de performance occasionnera d’inutiles et nombreuses blessures ou situations de burnout, deux causes importantes menant à l’abandon souvent définitif de toute activité physique,2 or le but premier de la pratique sportive est de procurer des bénéfices en termes de santé globale, tout en associant le plaisir à cette pratique.
C’est pour ces raisons qu’un nouveau concept de santé Health for Performance doit être transmis au sportif dès son plus jeune âge, conjointement par le médecin du sport et l’entourage sportif (coach, préparateur physique, physiothérapeute), en souhaitant qu’il l’intègre dans sa pratique quotidienne. Il est essentiel qu’une sensibilisation aux risques d’une activité sportive régulière inadéquate du jeune soit proposée dans le cadre de la formation de base de ces intervenants, et le message doit être clair : seule une excellente santé peut mener à une performance durable.
Dans ce contexte de tension palpable entre santé (Health) et performance (Performance) (figure 1), le Centre interdisciplinaire de médecine du sport pour adolescents (CIMSA) du CHUV s’affirme comme garant de la santé des jeunes sportifs de tous niveaux entre 12 et 18 ans et offre une prise en charge globale des maladies et lésions secondaires à la pratique sportive. D’autre part, pour atteindre la performance, le CIMSA propose de créer transversalement avec les hautes écoles (UNIL/EPFL) des outils de prévention innovants et attractifs, qui utilisent les nouvelles technologies et le pouvoir de transmission d’athlètes modèles. Les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ, Lausanne, janvier 2020) offrent une occasion unique de promouvoir une partie de ce programme éducationnel Health for Performance et d’en faire profiter les jeunes sportifs d’élite internationaux. Le but final sera de le pérenniser pour les adolescents romands, sous forme d’un héritage régional innovant et marquant de cet événement hors norme.
La médecine du sport s’est développée ces 50 dernières années d’abord pour répondre aux blessures du sport. La quête de performance cause des lésions, le médecin du sport vient à la rescousse. Chaque sport a été décortiqué pour déterminer l’épidémiologie des blessures, et on a compris que le ski et les sports de pivot-contact (football, handball, basket, etc.) étaient d’importants pourvoyeurs de lésions graves du genou (ligament croisé antérieur),3 que les sports de contact provoquaient des commotions cérébrales4 aux conséquences mal comprises, mais potentiellement graves, et que la pratique de sports esthétiques (gymnastique, natation synchronisée, etc.) pouvait causer des troubles du comportement alimentaire.5
Graduellement, elle s’est intéressée à comprendre les déterminants de ces événements limitant la participation et la performance. L’accent a été mis sur une approche biomécanique des mécanismes à l’origine des blessures. Des progrès ont été faits, mais les blessures persistent. L’évaluation s’est ensuite portée sur le comportement des individus lors des événements indésirables pour comprendre comment chaque sport est pratiqué (préparation physique, environnement, règles de jeu, etc.).6
Finalement, les médecins du sport se sont penchés sur la santé globale, notamment la gestion du stress, la récupération, le sommeil et la nutrition. Ce n’est que récemment que la totalité de la sphère bio-psycho-sociale a été intégrée dans la prise en charge des athlètes, avec la notion de bien-être dans la pratique sportive. Malheureusement, ce dernier est fréquemment bafoué, tant les problématiques de burnout et d’abus dans le sport sont devenues prévalentes.7-9
Si la médecine du sport des adolescents veut répondre à sa mission première qui, rappelons-le, est de promouvoir, préserver ou rétablir la meilleure santé dans une vision bio-psycho-sociale, elle doit s’inspirer des modèles modernes de prise en charge : ils sont systématiquement interdisciplinaires, en réseau avec les intervenants dans la société (lisons ici, les associations sportives) et considèrent la prévention comme impératif.
Le médecin du sport comprend que la recherche de performance est inhérente à toute pratique sportive, et soutient les pratiquants dans leur démarche. Sa mission doit englober les dimensions mentionnées ci-dessus, et décliner cette approche dans la promotion d’une activité physique pour la santé chez tous les jeunes qui en bénéficieront. Ces dernières années, la plupart des sociétés de médecine du sport ont modifié leur dénomination pour intégrer le mot « exercice », à comprendre dans le sens d’une activité favorable à la santé, comme l’a fait le Réseau Romand de Médecine de l’Exercice et du Sport (RRMES, www.rrmes.ch). Ceci permet une meilleure reconnaissance du rôle plus large que la médecine du sport joue dans la promotion de la santé active.
Pour les préparateurs physiques qui veulent replacer le mouvement au cœur de la performance, le concept Health for Performance prend tout son sens. Ainsi un nouveau processus d’évaluation des jeunes talents (bilan 4.0), actuellement en développement, a été conçu par un groupe d’experts des domaines de la performance et de la santé, pour offrir un bilan et un suivi médico-sportif individualisés. L’utilisation d’innovations technologiques et la mise en place d’un modèle organisationnel réfléchi permettent de proposer à tous les jeunes athlètes une solution accessible et économiquement attractive. Le bilan 4.0 propose aux participants une suite d’expériences ludiques, remplaçant les bilans traditionnels, tout en garantissant aux évaluateurs une expertise scientifique.
Dans le cadre du développement des jeunes sportifs, l’entraînement des composantes physiques et musculaires a pris une ampleur disproportionnée par rapport au travail de développement des qualités motrices. La course effrénée au « toujours plus vite » néglige l’essentiel des fondamentaux de la performance, aboutissant trop souvent à des blessures. Il existe un important décalage de temporalité entre les encadrants sportifs : certains veulent obtenir rapidement des résultats des jeunes talents au détriment de leur santé, tandis que d’autres investissent de l’énergie pour développer une pratique de l’exercice physique progressive, durable et adaptée, sans diminuer le potentiel de performance à court terme. Il devient nécessaire d’accompagner les athlètes et leur staff vers un développement durable par l’application d’outils adaptés.
Une partie du dispositif du bilan 4.0 sera présentée dans le cadre du programme éducationnel Health for Performance des JOJ 2020. Chaque athlète pourra faire l’expérience de tests déterminant ses caractéristiques musculosquelettiques et son profil moteur, en mettant en avant que gagner en perception, c’est accroître ses chances de succès. Les tests de gestion du déséquilibre, rendus ludiques après leur « gamification », renseigneront l’athlète sur ses qualités perceptives, tout en lui apportant des conseils individualisés pour optimiser ses capacités motrices et donc sa performance.
Après les JOJ, ce concept sera mis à disposition des jeunes sportifs vaudois dans le smart pavillon, un agrandissement du Centre Sport et Santé de l’UNIL/EPFL qui verra le jour en 2020.
Les enfants et les adolescents sont un capital extraordinaire pour notre société. En les aidant à développer leurs compétences en matière de santé, nous leur offrons la possibilité de jouer un rôle actif pour leur qualité de vie et d’accroître leur capacité d’autogestion et de responsabilité individuelle. De nombreuses études ont démontré que des efforts ciblés investis durant l’enfance et l’adolescence déploient des effets positifs tout au long de la vie. C’est pourquoi, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) s’efforce, dans le cadre de la stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles (stratégie MNT),1 de soutenir ses partenaires afin d’améliorer la promotion de la santé et la prévention durant l’enfance.11
Nous savons que la promotion de la santé et la prévention sont particulièrement efficaces lorsqu’elles se réfèrent à la vie concrète et se déclinent en accord avec ses phases. Pour cela, il est primordial que les offres de promotion et de prévention, y compris pour le sport et l’activité physique, prennent mieux en compte l’évolution des besoins des jeunes. Il faut élaborer avec eux des modèles personnalisés de sensibilisation et de prévention, qui valorisent les capacités intrinsèques physiques et psychiques. Dans cette approche, il est important de mettre en relation les bons professionnels au bon moment. Le partage d’expertise devient un facteur clé pour la détermination précise des besoins de prévention et l’optimisation du programme de promotion de la santé.
Une collaboration interdisciplinaire accrue entre les professionnels de la santé et de la préparation physique au sens large permettra d’améliorer la qualité de la prise en charge du jeune, d’augmenter la satisfaction des parties impliquées et de contrôler les coûts de la santé plus efficacement.12 En d’autres termes, les enfants et les adolescents doivent bénéficier d’un soutien individualisé dans une approche globale.
Le concept Health for Performance s’inscrit pleinement dans la stratégie MNT de promotion de la santé, en proposant aux jeunes pratiquant une activité physique ou un sport régulier, un encadrement et un discours commun délivré par les acteurs cliniques et du terrain. L’impact éducatif d’une telle synergie entre les différents acteurs entourant le jeune sportif, permettra l’acquisition de compétences en santé et performance, dont bénéficiera l’ensemble des jeunes (trop) actifs, (trop) sédentaires ou atteints d’une maladie chronique.
Nous voyons au travers des trois domaines exposés (médecine du sport, sport de performance et santé publique) que le concept Health for Performance permet une intégration cohérente et adaptée aux jeunes, sportifs ou pas. La notion de performance va ici clairement au-delà des secondes, buts ou centimètres, afin d’englober le développement positif des jeunes (modèle développemental de Lerner)13 pour le futur de notre société. L’accent va à la compétence (en santé, mais aussi physique), la confiance, la connexion (éléments interpersonnels), le caractère (valeurs et affirmation), et un dernier point essentiel, la notion de souci de l’autre (caring en anglais), réalisant les 5Cs du modèle de développement positif des jeunes (Competence, Confidence, Connection, Character & Caring).
Ce modèle de santé complète doit s’intégrer dans ceux du développement des talents sportifs, comme le récent modèle adopté par Swiss Olympic, le FTEM (fondations, talent, élite et maîtrise). Il implique une progression accompagnée et adaptée, débutant par le développement des qualités de bases du mouvement.14 Le chemin vers la maîtrise (expertise) passe par l’apprentissage de la santé, la prévention des blessures, et la présence d’une équipe interdisciplinaire.
Si les deux modèles réussissent à se rencontrer, la santé et la performance pourront alors aller de pair, et notre jeunesse de contribuer activement à la société de demain.15 Ce que le modèle Health for Performance défend, c’est l’impératif de santé (sous tous ses aspects) pour réaliser le potentiel de performance, pas uniquement sportive (figure 2). Il est applicable à de multiples domaines de la vie, et compte sur l’interaction intelligente des acteurs et l’utilisation innovante de la technologie.
Les acteurs de la santé et du sport peuvent définir des collaborations largement bénéfiques aux jeunes. Pour les professionnels de la santé, cela passe par la mise en place de structures comme le CIMSA, où les différentes professions de la santé travaillent à la prise en charge médico-sportive, la prévention par le développement de bilans intelligents et l’éducation de tous les intervenants. Ce centre d’expertise régional mise sur l’interdisciplinarité, la mise en réseau et le développement des compétences des adolescents et de leur entourage.
Les JOJ, en permettant l’accélération de projets innovants et le renforcement des collaborations avec les hautes écoles (UNIL/EPFL), constituent une forme de tremplin pour promouvoir le concept Health for Performance. Ce dernier deviendra un héritage à long terme des JOJ Lausanne 2020, et verra la naissance d’une structure transversale de prévention, efficace auprès des jeunes sportifs pour inverser la tendance actuelle de sédentarisation ou de problèmes de santé liés au sport. Nous sommes ravis de pouvoir aligner ces objectifs sur la stratégie nationale de prévention, ce qui permettra aux prochaines générations de pratiquer une activité physique associée à plus de bénéfices et moins de lésions.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪La recherche de performance sportive est liée à des risques de santé parfois conséquents pour le développement des adolescents
▪Le concept Health for Performance s’appuie sur l’impératif d’une bonne santé globale pour permettre l’expression de la performance
▪En mettant la santé en premier, les acteurs du sport contribuent au développement positif des jeunes athlètes, en accord avec les modèles existants
▪Les échanges et l’interdisciplinarité sont nécessaires à l’alignement des pratiques et au suivi optimal des jeunes en croissance