L’administration de cristalloïdes (solutions composées d’eau et d’ions inorganiques) est actuellement recommandée notamment dans les cas de sepsis, de décompensation diabétique ou en phase périopératoire.1 Divers solutés sont disponibles et le NaCl 0,9 % est la solution la plus utilisée dans le monde.2
Aux HUG en 2018, le NaCl 0,9 % représentait 64 % du total des cristalloïdes utilisés tandis que le Ringer acétate (solution balancée) s’élevait à 36 %.3 Néanmoins, de nombreuses études publiées ces dernières années ont amené à une remise en question de l’utilisation du NaCl 0,9 % et suggéré l’utilisation préférentielle de solutions avec une plus faible concentration de chlore (solutions dites balancées).
Cet article a pour objectif de revoir la composition des diverses solutions de remplissage disponibles et de résumer les évidences récentes soutenant l’utilisation de solutions dites balancées.
La première expansion volémique intraveineuse est attribuée à trois médecins écossais en 1832, les Drs Latta, Lewins et Craigie.4 Durant l’épidémie de choléra, ils traitèrent avec succès plusieurs patients en injectant une solution d’eau avec du chlorure et du sous-carbonate de soude. Le NaCl 0,9 % est apparu 60 ans plus tard lorsque le physiologiste HJ. Hamburger a observé en 1893 une lyse cellulaire diminuée des globules rouges avec le NaCl 0,9 % par rapport aux solutions plus hypotoniques.5 Simultanément, le Dr Ringer a développé sa solution éponyme en 1885, en ajoutant du potassium et du calcium à une solution de NaCl pour la conservation de cellules myocardiques.6
Le NaCl 0,9 % et la solution de Ringer font partie de la famille des cristalloïdes. Ces perfusions sont composées d’eau et d’ions inorganiques qui vont diffuser rapidement à travers la membrane vasculaire. Vers la fin du 20e siècle, des solutions de remplissage constituées d’eau et de macromolécules (par exemple, albumine et hydroxyéthyl-amidon) ont été développées. Ces solutions, dites solutions colloïdes ont été largement utilisées dans le passé en raison de leurs propriétés physiologiques, avec une diffusion extravasculaire limitée. Cependant, à la suite de la mise en évidence d’une possible augmentation de la mortalité et d’une plus grande néphrotoxicité dans plusieurs études bien conduites,7 les colloïdes ne sont dorénavant plus recommandés en première intention pour la réanimation volémique.8
Cet article se concentre donc uniquement sur les solutions cristalloïdes.
Le NaCl 0,9 % est encore souvent appelé « sérum physiologique ». Pourtant, sa composition diffère du plasma humain puisqu’il contient uniquement du sodium (Na+) et du chlore (Cl-) en quantité supra-physiologique. Les solutions dites « balancées », telles que le Ringer acétate ou le Ringer lactate, contiennent d’autres électrolytes (calcium, potassium), moins de chlore, ainsi que des anions (acétate ou lactate) tamponnant le pH, dans des concentrations plus proches de celles du plasma (tableau 1 et figure 1).
L’administration de NaCl 0,9 % en grande quantité peut entraîner l’apparition d’une acidose métabolique hyperchlorémique à trou anionique normal.
La survenue de l’acidose s’explique principalement par le fait que la perfusion d’une grande quantité de NaCl 0,9 % (ne contenant pas de base) provoque une diminution du bicarbonate plasmatique par effet de dilution.
Plusieurs études effectuées dans des contextes variés (transplantation rénale, polytraumatisme, acidocétose diabétique) ont mis en évidence une survenue plus fréquente d’acidoses métaboliques chez les patients perfusés par NaCl 0,9 %.1
Une méta-analyse publiée en 2017 comparant les solutions balancées et non balancées concluait à une diminution significative du pH sanguin dans le groupe traité par NaCl 0,9 %. Dans les groupes avec utilisation de NaCl 0,9 %, le pH postopératoire moyen était plus acide que le groupe ayant reçu des solutions balancées (pH moyen de 7,32 versus 7,37). La chlorémie moyenne avec les solutions balancées était à 107 mmol/l tandis qu’avec le NaCl 0,9 %, elle s’élevait à 114 mmol/l.9
Malgré les preuves d’apparition d’acidose métabolique avec le NaCl 0,9 %, ses conséquences cliniques sont débattues.
Outre l’effet sur l’équilibre acido-basique, l’administration de chlore pourrait s’avérer délétère pour la fonction rénale.10 La néphrotoxicité du chlore s’expliquerait par une diminution de la perfusion rénale. En effet, l’augmentation de chlore au niveau du tubule rénal entraîne une sécrétion d’adénosine par la macula densa. L’adénosine provoque ensuite une vasoconstriction de l’artériole afférente, ce qui engendrerait une diminution de la perfusion glomérulaire et du taux de filtration glomérulaire.9,11
Plusieurs grandes études ainsi qu’une méta-analyse portant sur plus de 6000 patients ont confirmé ce risque significatif d’insuffisance rénale aiguë avec les solutions riches en chlore.12-14
En mars 2018 sont parues deux études portant sur un total de presque 30 000 patients : SALT-ED (Saline against Lactated Ringer’s or Plasma-Lyte in the Emergency Department)15 et SMART (Isotonic Solutions and Major Adverse Renal Event Trial).16 Ces deux études pragmatiques, prospectives et monocentriques, ont été menées simultanément en comparant les solutions balancées (Ringer lactate ou Plasma-Lyte A) au NaCl 0,9 % dans deux contextes cliniques distincts. Tous les adultes admis aux urgences perfusés avec un cristalloïde puis hospitalisés hors des soins intensifs étaient inclus dans l’étude SALT-ED. Les patients admis aux soins intensifs étaient eux inclus dans l’étude SMART.
Tous les participants (patients, cliniciens et investigateurs) étaient informés du groupe d’attribution. La quantité perfusée et les autres décisions cliniques étaient laissées à la discrétion des médecins en charge. 13 347 patients ont été inclus dans SALT-ED. Dans cette étude, l’issue primaire était le nombre de jours hors de l’hôpital durant les 28 premiers jours. Les trois issues secondaires comprenaient l’évènement néphrologique majeur à 30 jours (composite entre décès, insuffisance rénale aiguë (IRA) stade KDIGO 2 persistante ou initiation de dialyse), l’IRA stade KDIGO > 2 et le décès intra-hospitalier. Les résultats de SALT-ED montrent une absence de différence pour la durée d’hospitalisation ou la mortalité. Une diminution du risque d’évènement néphrologique majeur a été observée avec les solutions balancées (4,7vs 5,6 % ; p = 0,01).
Dans l’étude SMART, ayant inclus 15 802 patients, l’issue primaire était l’évènement néphrologique majeur à 30 jours. Les issues secondaires principales figurent dans le tableau 2. Les résultats montrent une diminution de 1 % du risque absolu d’évènement néphrologique majeur avec les solutions balancées (14,3 vs 15,4 % ; p = 0,04). Les autres critères de jugement ne différaient pas significativement entre les deux groupes (tableau 2).
Plusieurs points négatifs peuvent être soulignés, dont la réalisation dans un seul centre et l’absence de méthode en double aveugle. Néanmoins, hormis l’indication à la dialyse qui aurait pu être biaisée en connaissant le groupe du patient, les issues étudiées étaient principalement objectives (taux de créatinine, décès).
Les intérêts de ces publications sont leur puissance importante ainsi qu’une population étudiée facilement généralisable. En effet, tous les patients adultes ayant reçu > 500 ml de perfusion étaient inclus, dont des patients non critiques par la suite hospitalisés hors des soins intensifs (par exemple, en médecine interne). De plus, les résultats des études sont concordants avec une diminution de 1 % des évènements néphrologiques majeurs retrouvée dans les deux cas. Cette différence de 1 %, bien que numériquement faible, prend de l’importance quand on l’extrapole au nombre de patients concernés par les traitements par perfusions intraveineuses.
L’utilisation des solutions balancées comporte néanmoins aussi des risques. Une des principales réserves tient à leur composition hypo-osmolaire, limitant leur utilisation notamment dans des contextes à risque d’hypertension intrâcranienne.17 Une perfusion hypo-osmolaire aura ainsi tendance à aggraver un œdème cérébral par afflux d’eau libre dans les cellules et ce type de soluté n’est donc pas recommandé dans cette situation.
L’autre limite souvent évoquée est l’hyperkaliémie. En effet, les solutions balancées contiennent du potassium contrairement au NaCl 0,9 %. Leur emploi est donc traditionnellement proscrit dans les situations à risque d’hyperkaliémie. Cependant, aucune différence de kaliémie après perfusion de NaCl 0,9 % ou de solutions balancées n’a été constatée dans plusieurs études de petite taille, possiblement en raison de l’acidose métabolique provoquée par le NaCl 0,9 %, susceptible d’entraîner une augmentation de la kaliémie par mobilisation du potassium intracellulaire (shift sur acidose).9
Deux grandes études prospectives suggèrent la supériorité des solutions balancées pour les issues néphrologiques chez les patients nécessitant un remplissage, en milieu de soins intensifs ou non. Ainsi, l’utilisation préférentielle de solutions balancées semble raisonnable, en particulier pour les réanimations volémiques importantes chez des patients à risque d’insuffisance rénale aiguë. Pour les perfusions à moindre volume, il est probable que les différences soient moins marquées entre ces cristalloïdes. Enfin, en termes de coût, les solutions balancées ne sont pas plus onéreuses que le NaCl 0,9 %.
Privilégier les solutions balancées est une stratégie déjà proposée dans certaines directives nationales. Les britanniques conseillent l’utilisation de solutions balancées pour la thérapie intraveineuse dans le contexte chirurgical (niveau 1B),18 et les recommandations françaises de réanimation et anesthésiologie, ainsi que celles de la société européenne de soins intensifs font également cette proposition pour les réanimations volémiques importantes (2+, forte recommandation).19,20
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’administration de NaCl 0,9 % en grande quantité entraîne une acidose métabolique et une hyperchlorémie
▪ L’hyperchlorémie semble associée à une diminution de la perfusion rénale et de la fonction rénale
▪ Deux grandes études prospectives suggèrent la supériorité des solutions balancées pour les issues néphrologiques chez les patients nécessitant un remplissage, en milieu de soins intensifs ou non
▪ Pour les réanimations volémiques importantes, l’utilisation de solutions balancées semble préférable pour diminuer la survenue d’insuffisance rénale aiguë