Catalyseur : « Élément qui provoque une réaction par sa seule présence », « Substance qui augmente la vitesse d’une réaction chimique sans paraître participer à cette réaction ».1
Dans un monde déjà en constant remaniement, la pandémie accélère le mouvement. Elle met l’équilibre en tension, jusqu’à le rompre. Des changements profonds touchent tous les secteurs, à l’échelle mondiale. Les manières habituelles de faire ne tiennent plus, s’effondrent.
Quelle variable de cette pandémie bouleverse notre fonctionnement ? L’arrivée d’un nouveau virus dans notre horizon biologique ? L’effet de cette maladie sur le corps ? L’impact psychique que crée la pandémie psychiatrique ?
Dans tous les cas, la pandémie provoque une réaction, accélère la vitesse de changement. En tant que tel, elle est un catalyseur de mouvement. Elle met le monde, l’humanité, chaque individu en crise.
Dans le contexte psychiatrique, De Coulon a pensé la crise comme un phénomène qui touche le sujet selon un certain schéma.2
Cette dynamique de crise, initialement analysée sur un plan individuel, peut dans notre situation s’appliquer au niveau de la communauté, de l’humanité.
Au sein du paysage connu de l’individu, un événement, aussi particulier qu’il soit, fait effraction, déstabilise son mode de vie habituel, réactive des traumatismes passés, résultant en un effondrement, une crise.
Ici, un virus, organisme dont la nature « vivante » est questionnée, mute, fait irruption dans notre environnement. Malgré ses quelques nanomètres de grandeur, son poids en tant générateur de crise est significatif. Sa contagion exponentielle confronte chacun à l’angoisse de mort. Face au passé personnel, les réactions à l’événement et à cette angoisse primordiale qui nous habite tous, diffèrent. Ainsi de multiples symptômes, presque infinis, se développent.
Déni ou exagération du phénomène. Quand un sujet, devant une crise d’une telle ampleur, ne peut imaginer un moyen d’agir pour en sortir, une solution est parfois d’en nier l’existence. Comme si, ne pouvant que constater sa propre impuissance devant la crise, il était plus bénéfique de ne pas la regarder du tout. À l’inverse, si l’action du sujet est indispensable, une forme d’exagération peut se manifester. En s’occupant d’une tâche importante, le sujet lui-même devient important. Ces phénomènes peuvent notamment être observés parmi le personnel soignant. En effet, les acteurs du système de soins ne se considérant pas utiles face à une telle maladie – comme cela peut être le cas dans les spécialités comme la psychiatrie – pourraient avoir tendance à nier la situation. C’est d’ailleurs problématique. À l’heure où notre santé, dans sa globalité, est mise à l’épreuve, chaque regard de spécialiste semble avoir son importance. À l’autre bout du spectre, le surinvestissement du rôle de soignant peut résulter en un comportement de type « héros » ou « sauveur », dont il peut être parfois difficile de sortir. Replongeant ainsi le clinicien vers un paradigme paternaliste dont la médecine tente de s’extirper.
Dépression. Au moment de la crise, un sujet déjà déprimé se retrouve alors en symbiose avec un monde qui va mal. Plus besoin de sortir, de se forcer pour faire des activités, d’être en contact avec des personnes. Cependant, une fois le début de crise passé, et devant l’accentuation de l’incapacité à se projeter, la symptomatologie dépressive augmente. La sensibilité à l’immobilisation, tant physique que psychique, semble également plus importante. Ainsi, le confinement a un impact plus violent. De plus, la sortie de la crise risque d’être plus compliquée : le monde et la vie vont reprendre de plus belle. Ils seront à nouveau plus en décalage avec l’environnement, sans pouvoir suivre l’élan de vie qui se ranime.
Face à l’angoisse, le risque de discréditer la menace est également présent. Banaliser, ne pas respecter les règles pour retrouver un pouvoir/contrôle personnel sur sa vie, agir comme si la menace n’existait pas sont des comportements observés.
Le soulagement direct d’une crise antérieure. L’arrivée d’une nouvelle crise « remplace » la dernière. Les individus « bloqués » dans des crises dites existentielle sont soulagés par la survenue de cette crise autre. En amenant des « données » fraîches à l’équation que forme une crise existentielle, cette pandémie soulage. Le risque de masquer les problèmes antérieurs non résolus et d’en fuir confrontation et résolution existe.
Violence et paranoïa. L’angoisse de mort peut également renforcer des systèmes de défense déjà en place de type persécutoire. L’Autre, potentiellement infecté, est un ennemi, est menaçant, met le sujet à risque dans son intégrité. Des manifestations de violence, d’irritabilité, d’agressivité dans l’interaction à l’autre peuvent être facilement observées. Le confinement, poussant l’individu à s’isoler, renforce encore cette perception de l’autre en tant que menace.
L’évolution naturelle de la crise est une intégration de l’événement par le sujet. Cet événement peut toutefois être métabolisé de différentes manières, déterminant le fonctionnement post-crise. En laissant simplement faire le temps, une péjoration de l’état antérieur ou un retour au fonctionnement de base peuvent être attendus, à plus ou moins long terme selon l’impact de l’événement, les systèmes de défense antérieurs, la résilience de la personne. En revanche, si un effort de compréhension, d’introspection – nécessitant en général une aide extérieure – de la signification de cet événement dans la vie particulière du sujet est effectué, il peut en résulter une meilleure compréhension du sujet de lui-même, de ses parts d’ombre, de ses blessures passées. Le « Deviens ce que tu es » de Socrate semble s’inscrire dans un mouvement inéluctable de traversées de crises. Il se pourrait bien que l’humanité y soit appelée aussi.
À l’heure actuelle, nous cheminons vers un déconfinement, le soulagement de l’angoisse se fait déjà sentir. La métabolisation de cette crise aura-t-elle pour résultat un retour à la normale ou servira-t-elle de catalyseur à un épanouissement individuel, pour l’humanité ?