L’année 2020 a été marquée par la pandémie de Covid-19. Un certain nombre d’enseignements de cette pandémie ont pu être tirés également en gastroentérologie et en hépatologie. D’autre part, des progrès importants ont aussi été réalisés en dehors du Covid-19, dont une sélection est présentée dans cet article.
L’année 2020 a été marquée par la pandémie du Covid-19 due au SARS-CoV-2, avec à ce jour plus de 65 millions d’infections et 1,5 million de décès documentés au niveau mondial. En Suisse, cela représente plus de 300 000 infections et 5000 décès (coronavirus.jhu.edu, site consulté le 4 décembre 2020). Ce nouveau virus a sollicité les efforts conjoints de l’ensemble de notre système de santé, médecins, personnel soignant et chercheurs. Leurs efforts soutenus et coordonnés se focalisent notamment sur la recherche de nouveaux moyens thérapeutiques et sur le développement de vaccins efficaces.
Pour les premiers enseignements acquis en gastroentérologie et en hépatologie, concernant le Covid-19, nous nous référons aux articles cités ci-après.1-7
En résumé, nous savons aujourd’hui que:
Des questions importantes restent à clarifier, par exemple si une transmission du SARS-CoV-2 par des matières fécales, théoriquement possible, contribue d’une manière significative à la pandémie. La physiopathologie de l’hépatite souvent observée chez les patients avec Covid-19 reste également à éclaircir. En plus, l’impact de la pandémie sur les programmes de dépistage précoce du cancer colorectal et du carcinome hépatocellulaire (CHC) ainsi que la prise en charge des lésions cancéreuses précoces du tube digestif et hépato-pancréatico-biliaires sont encore difficiles à estimer.
Des progrès importants ont aussi été réalisés en dehors du Covid-19. Ils sont décrits ci-après.
Le timing de l’endoscopie pour les hémorragies digestives hautes reste controversé. Les recommandations internationales proposent de réaliser une endoscopie diagnostique et thérapeutique dans les 24 heures, suivant l’hémorragie ou l’admission à l’hôpital (8 et références citées dans cet article), ceci sans qu’un niveau de preuve élevé ait permis de confirmer le bénéfice sur la mortalité et la durée d’hospitalisation de cette attitude. La décision du timing de l’endoscopie est actuellement basée essentiellement sur une évaluation avant l’examen qui permet de classer les patients à haut et bas risques de mortalité et de récidive hémorragique, en s’appuyant en particulier sur le score de Glasgow-Blatchford.9 Chez les patients à haut risque, le bénéfice d’une endoscopie très précoce est remis en question en raison d’un risque accru causé par l’absence d’optimisation hémodynamique et l’absence de contrôle des comorbidités, avant l’examen endoscopique qui peut être gêné par la quantité de sang frais. Jusqu’à présent, les études publiées ne permettent pas, du fait de biais méthodologiques, de répondre à cette question importante.
Lau et coll. ont inclus dans leur étude prospective 516 patients à haut risque de décès et de récidive hémorragique (score de Glasgow-Blatchford ≥ 12).10 Les patients étaient randomisés en 2 bras: endoscopie urgente réalisée dans les 6 heures suivant la consultation de gastroentérologie et endoscopie précoce réalisée entre 6 et 24 heures suivant la consultation. Les patients hospitalisés pour choc hémorragique et ceux dont l’instabilité hémodynamique persistait après remplissage initial étaient exclus de l’étude. Les résultats principaux étaient: 1) l’absence de bénéfice de survie à 30 jours dans le groupe endoscopie urgente (23 décès, 8,9 %) en comparaison au groupe endoscopie précoce (17 décès, 6,6 %; p = 0,34); et 2) l’absence de différence de récidive hémorragique.
Cette étude suggère que, même chez les patients à haut risque de mortalité et de récidive hémorragique, il n’est pas utile de réaliser un geste dans les heures immédiates suivant le diagnostic, ce qui permet ainsi d’optimiser la prise en charge médicale de l’hémorragie et des comorbidités. Le délai de 24 heures pour la réalisation d’un geste d’hémostase endoscopique, mis à part les patients en choc hémorragique ou toujours instables après prise en charge médicale, semble donc être confirmé par cette étude de haute qualité méthodologique.
Durant cette période de pandémie, l’évolution des procédures en endoscopie interventionnelle s’est poursuivie dans ce domaine en constante progression. Afin d’illustrer ces développements, une étude parue dans le courant 2020 vient confirmer un nouveau paradigme de prise en charge de la cholécystite aiguë chez les patients non éligibles à une prise en charge chirurgicale.11 Cet essai contrôlé et randomisé multicentrique consistait à comparer le drainage de la vésicule biliaire par endosonographie (EUS-GBD) au drainage traditionnel par voie percutanée (PT-GBD). La plupart des drainages endoscopiques ont été effectués au niveau du duodénum avec des stents métalliques d’apposition. Les résultats obtenus, sur une analyse de 80 patients, montrent une supériorité clinique de l’EUS-GBD comparé au PT-GBD pour les patients qui ne sont pas candidats à une cholécystectomie. En effet, le taux d’événements indésirables s’est révélé de 25,6 versus 77,5 % à 1 an en faveur de l’EUS-GBD (p < 0,001), avec un taux de réintervention après 30 jours de 2,6 versus 30,0 % (p = 0,001), de nombre de réadmissions de 15,4 versus 50,0 % (p = 0,002) et de cholécystite récidivante de 2,6 versus 20,0 % (p = 0,029). Le confort des patients était aussi meilleur dans le groupe EUS-GBD, pour des taux de succès technique, clinique et de mortalité à 30 jours identiques.
Ces résultats concernant l’EUS-GBD, réalisée pour la première fois en 2007,12 confirment d’autres données précédentes, rétrospectives, qui ne retrouvaient également pas de différence statistique pour le taux de conversion en chirurgie ouverte.13,14 En se basant sur la littérature actuelle, complétée par les guidelines de Tokyo de 2018,15 l’EUS-GBD a le potentiel pour devenir la procédure de choix dans le drainage de la vésicule biliaire chez les patients non candidats à une chirurgie, à condition d’être effectuée dans un centre expert, après évaluation multidisciplinaire.
Un highlight incontestable de l’année 2020 a été l’attribution du prix Nobel de médecine à Harvey J. Alter, Michael Houghton et Charles M. Rice, honorant ainsi un succès majeur de la médecine moderne. L’hépatite C chronique est une des premières causes d’hépatite chronique, de cirrhose et de CHC au niveau mondial. Elle touche aujourd’hui environ 70 millions d’individus et cause 500 000 décès chaque année. Harvey J. Alter a reconnu, dans les années 1970, l’existence d’une forme d’hépatite, notamment post-transfusionnelle, distincte des hépatites A et B (« non-A, non-B hepatitis »),16-18 et a préparé le terrain qui a permis à Michael Houghton et ses collègues d’identifier le VHC, par une approche moléculaire novatrice, et de développer un premier test diagnostique pour l’hépatite C.19,20 Le VHC est ainsi le premier agent infectieux à avoir été découvert grâce à des méthodes moléculaires, sans avoir été visualisé ou cultivé préalablement. Cette découverte a permis de diminuer le risque d’hépatite post-transfusionnelle de 1:15-1:100 unités transfusées à 1:2 000 000-1:10 000 000 en quelques années. Charles M. Rice et ses collègues ont créé le premier clone infectieux de ce virus et ont formellement démontré qu’il était la cause de l’hépatite C.21 Ces travaux, ainsi que le système de replicon établi par Volker Lohmann et Ralf Bartenschlager, ont permis le développement des nouveaux antiviraux à action directe qui ont révolutionné la prise en charge de l’hépatite C chronique et qui permettent aujourd’hui une guérison avec des traitements oraux bien tolérés de 8 à 12 semaines.22 Des défis majeurs persistent néanmoins dans ce domaine, notamment en ce qui concerne l’identification des personnes infectées et leur accès aux soins.23
Les porphyries hépatiques représentent un groupe de maladies rares, caractérisées par des attaques neuroviscérales, des symptômes chroniques incapacitants et des complications à long terme.24 L’induction de l’acide aminolévulinique synthase 1 (ALAS1) est centrale à leur physiopathologie, résultant de l’accumulation d’intermédiaires neurotoxiques de la synthèse de l’hème, l’ALA et la porphobilinogène, responsables des manifestations cliniques de la maladie.
Une étude de phase 3 a investigué le givosiran, un small interfering RNA (siRNA) bloquant la synthèse de l’ALAS1.25 94 patients avec une porphyrie hépatique aiguë, dont la majorité était atteinte d’une porphyrie aiguë intermittente, ont été randomisés à une administration sous-cutanée mensuelle de givosiran versus placebo pour 6 mois. Le traitement par givosiran a réduit l’occurrence de crises de porphyrie de 74 %, a amélioré plusieurs issues secondaires et a eu un impact bénéfique significatif sur la qualité de vie des patients. Les données de la prolongation de l’étude en mode ouvert ont été présentées récemment et confirment ces observations. Il est néanmoins important de noter la survenue d’effets indésirables rénaux et hépatiques chez certains patients, dont le mécanisme reste à étudier.
Cette étude représente une avancée importante pour une maladie rare, avec des alternatives thérapeutiques limitées, et a permis, après le patisiran, pour le traitement de l’amyloïdose héréditaire à transthyrétine, l’approbation d’un deuxième traitement systémique par RNA interference (RNAi).
Dans le contexte d’urgence et de mise sous pression de notre système de santé dues au Covid-19, alors que certains gestes médicaux non urgents ont pu aisément être reportés, à l’inverse, les soins apportés à nos patients souffrant de maladies chroniques n’ont pu être suspendus. Un exemple concret, celui du dépistage précoce du CHC et de sa prise en charge multidisciplinaire qui nécessite l’expertise conjointe de gastroentérologues et d’hépatologues, chirurgiens, radiologues, oncologues, radiothérapeutes et pathologistes.26
Le CHC se développe majoritairement sur un terrain de cirrhose avec une incidence en augmentation constante et marquée sur ces dernières années. Il représente l’une des premières causes de mortalité par cancer, avec plus de 800 000 décès annuels au niveau mondial.27 La stratégie de dépistage par imagerie abdominale semestrielle vise un diagnostic à un stade précoce, ce qui permet une approche curative, avec comme principales options la chirurgie, la transplantation hépatique ou la thermoablation. Malheureusement, un grand nombre de patients est encore diagnostiqué à un stade avancé, lorsque seule une approche palliative reste possible. Les options thérapeutiques systémiques de première ligne restaient jusqu’à présent limitées au sorafénib28 et, plus récemment, au lenvatinib.
Une étude parue en 2020 a défini un nouveau palier dans le traitement systémique de première ligne du CHC avancé.29 Dans cette étude randomisée multicentrique et prospective, deux groupes similaires de patients ont été comparés. Seuls des patients présentant une cirrhose compensée (Child-Pugh A) étaient inclus et tous ont eu une évaluation endoscopique préalable (varices ?). Le premier groupe (n = 135) bénéficiait d’une approche thérapeutique conventionnelle par sorafénib. Il était comparé à un second collectif de patients bénéficiant d’une approche thérapeutique associant l’atézolizumab, un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur PD-L1 exprimé à la surface des cellules tumorales, et le bévacizumab, un anticorps anti-VEGF, utilisé de longue date en oncologie (n = 336). L’atézolizumab bloque l’interaction de PD-L1 avec son récepteur PD1 situé à la surface lymphocytaire T. Il s’ensuit une augmentation de la réponse lymphocytaire T antitumorale. Le bévacizumab agit sur la néoangiogenèse et donc sur la progression tumorale.
Finn et coll. démontrent une augmentation statistiquement significative de la survie globale à 12 mois des patients ayant bénéficié de la combinaison atézolizumab et bévacizumab (67,2 %), en comparaison avec le sorafénib seul (54,6 %). De manière tout aussi importante, la survie sans progression tumorale ainsi que la qualité de vie des patients ont été impactées de manière favorable par le traitement combiné. L’effet secondaire majeur et le plus fréquemment constaté a été la survenue d’une hypertension artérielle de grade 3 à 4 chez 15 % des patients traités par atézolizumab et bévacizumab.
En conclusion, l’approche combinée par anti-PD-L1 et anti-VEGF se présente comme prometteuse pour les patients souffrant d’un CHC à un stade avancé. Néanmoins, dans la situation sanitaire actuelle et face au pronostic sombre des patients avec CHC avancé, il reste primordial de continuer d’assurer une stratégie de diagnostic précoce du CHC par imagerie abdominale semestrielle pour tout patient à risque.30
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Les auteurs souhaitent remercier vivement Mme Malika Salhi pour son excellente assistance éditoriale.
▪ Le Covid-19 peut être accompagné de symptômes digestifs et de perturbations des tests hépatiques
▪ Les procédures en endoscopie peuvent être adaptées en cette période de pandémie, afin de garantir une prise en charge sécuritaire pour les patients ainsi que pour les équipes médicales et de soins
▪ En cas d’hémorragie digestive haute, mis à part les patients en choc hémorragique ou toujours instables après prise en charge médicale, un geste d’hémostase endoscopique doit être réalisé dans les 24 heures
▪ Le drainage de la vésicule biliaire par endosonographie représente une alternative intéressante au drainage traditionnel par voie percutanée, pour les patients avec une cholécystite aiguë non éligibles à une prise en charge chirurgicale
▪ Le givosiran représente un traitement prometteur de la porphyrie aiguë intermittente
▪ L’association de l’atézolizumab et du bévacizumab définit un nouveau palier dans le traitement systémique de première ligne du CHC avancé
The year 2020 has been dominated by the coronavirus disease 2019 (COVID-19) pandemic, with important lessons learned also in gastroenterology and hepatology. Major advances, however, have also been made in other areas, a selection of which is highlighted in this article.