Première femme présidente de la FMH, Yvonne Gilli arrive à la tête de la fédération au moment où les sujets chauds s’accumulent. Budget global, numérisation, fin de l’obligation de contracter : comment la généraliste saint-galloise, ancienne conseillère nationale verte, va-t-elle empoigner ces différents dossiers ? Quelle marque veut-elle imprimer à la FMH ? Voici les réponses qu’elle a données par écrit aux questions de la Revue Médicale Suisse.
Oui, elle l’est. Et je suis très heureuse de voir qu’il est enfin possible, en 2020, qu’une femme soit élue à la tête de la FMH. Cela fait des années que les femmes sont majoritaires dans les facultés de médecine. Et des années qu’elles sont minoritaires dans les positions de cadre, y compris en médecine. Dans ce sens-là, oui, j’estime qu’il était important qu’une femme soit élue à la présidence de l’organisation, même si je suis résolument d’avis qu’en médecine aussi, ce n’est qu’ensemble, hommes et femmes réunis, que nous pourrons mener les réformes importantes qui nous attendent.
Les femmes sont fortement sous-représentées aux postes de cadre
Difficile à ce propos de faire l’impasse sur la question du fameux « plafond de verre ». Les femmes sont fortement sous-représentées aux postes de cadre, tout particulièrement dans la hiérarchie hospitalière. Nombre de décisions en matière de carrière se font en même temps que celles touchant à la famille. Il subsiste beaucoup de problèmes structurels empêchant de concilier vie professionnelle et vie privée, et les jeunes hommes sont eux aussi nombreux à chercher un équilibre entre les deux. N’oublions pas par ailleurs tous les stéréotypes qui empêchent les femmes de parvenir aux postes de direction, qu’ils relèvent de la discrimination patente ou de comportements inhérents aux genres dans les situations de concurrence pour un poste de cadre.
La numérisation et l’eHealth sont appelées à révolutionner la pratique de la médecine. Si elles me tiennent bien évidemment à cœur et qu’elles seront parmi les thèmes phares de mon mandat de présidente, je laisserai la responsabilité de ce dossier à mon collègue nouvellement élu, Alexander Zimmer. La politique et la communication seront les deux domaines dont je m’occuperai au premier chef.
La numérisation ouvre des perspectives prometteuses pour les patients comme pour les médecins. Le dossier électronique du patient, tel que le définit la législation, a pour fonction de conserver des documents importants relatifs aux patients, en donnant à ces derniers le choix des documents qu’ils entendent mettre à disposition des professionnels de la santé. Les médecins ne se basent pas sur le DEP pour leur travail, car il n’est pas conçu pour cela. Ils doivent pouvoir communiquer directement entre eux et saisir les données de manière structurée. Ils utilisent par ailleurs toujours plus d’outils numériques d’aide à la décision, autant de fonctions que la loi ne prévoit pas pour le DEP. La transformation numérique est appelée à changer en profondeur l’exercice de la médecine et l’utilisation des outils numériques sera bientôt une condition nécessaire au maintien d’une prise en charge de qualité.
Les fonds publics destinés à la numérisation doivent être fortement augmentés. Aucun autre pays dit « avancé » n’a offert aussi peu de soutien à la numérisation que la Suisse, et le retard accumulé est sensible. Il concerne toutefois plutôt la mise en place des conditions-cadres nécessaires, qui est du ressort de l’État : protection et sécurité des données, interopérabilité, définition de standards nationaux, identité électronique pour les patients et pour les professionnels de la santé. Le dossier électronique du patient tel que défini par la législation est un produit spécifique qui, pour convaincre les médecins comme les patients, devra apporter une utilité concrète.
Le corps médical a effectivement mis sur pied une communauté au sens de la LDEP (Loi fédérale sur le dossier électronique du patient), dans le but explicite de mettre en évidence cette utilité et de fournir aux professionnels de la santé divers outils numériques comme un système d’ordonnances électroniques ou des plans de médication. Le patient bénéficie ainsi de traitements plus sûrs et de meilleure qualité.
Cela fait plusieurs années que cette tendance se maintient. Un tiers environ des patients sont en demande de médecines complémentaires. Et avec l’arrivée du Covid-19, l’intérêt pour ces approches a encore très fortement progressé. Il est d’autant plus important que l’on mette en place des filières solides, basées sur les données scientifiques, et que l’on renforce la recherche universitaire. C’est là une condition nécessaire à une collaboration accrue entre les disciplines, dotées chacune de perspectives et de limitations qui lui sont propres.
La collaboration interprofessionnelle est elle aussi toujours plus importante et plus intense. C’est ce que montre la multiplication des cheffes infirmières dotées d’une formation académique et de spécialisations poussées, et qui exigent plus d’autonomie dans leur pratique professionnelle.
Aucun autre pays dit « avancé » n’a offert aussi peu de soutien à la numérisation que la Suisse
De par les différents rôles que j’ai tenus au cours de ma carrière, je suis à même d’observer les évolutions selon plusieurs perspectives à la fois, et je connais les codes de socialisation des divers métiers de la santé. En tant que présidente, j’estime qu’il est important d’instaurer des conditions-cadres favorisant la collaboration interprofessionnelle, parmi celles-ci, la délimitation claire des compétences et des domaines de responsabilité propres à chacun des métiers de la santé.
La possibilité d’organiser tant sa vie privée que professionnelle selon les principes de la durabilité revêt une importance croissante, mais elle est toujours plus perçue comme une évidence. C’est un enjeu important non seulement pour les médecins, mais pour l’entier de la société, dont le corps médical fait partie. Pour ce qui est des compétences, il faut que nous élargissions notre manière d’appréhender la santé, par exemple selon la vision proposée dans le modèle de Meikirch.a
Oui, et pas seulement du point de vue de l’écologie mais de celui de l’économie aussi. Lorsqu’on dote un centre hospitalier d’une bonne enveloppe thermique, les ressources ainsi libérées peuvent être investies dans la qualité des soins.
Durant mon mandat de conseillère nationale, nombre de mes collègues avaient conscience qu’il fallait créer des conditions-cadres de nature à améliorer la qualité de la prise en charge médicale, et ainsi influer sur les coûts de manière indirecte. La prévention des erreurs de traitement, des doublons dans les investigations médicales et des antibiorésistances, pour ne citer que trois pistes à suivre, permettrait à elle seule d’économiser des millions de francs. Cette conscience s’est depuis étiolée chez les parlementaires, qui ne pensent plus qu’en termes de mesures d’économie, sans bien saisir toute la complexité de la prise en charge médicale. Or, un pilotage des coûts qui ne tiendrait pas compte des spécificités du domaine risque de nous coûter très cher, et de faire le lit d’une médecine à deux vitesses. Il faut que nous parvenions à remettre la qualité de la prise en charge au centre du débat politique, et à proposer des modèles de financement qui éliminent les incitatifs négatifs. Je pense notamment au financement unifié des soins stationnaires et ambulatoires, ou à l’autonomie tarifaire dans le secteur ambulatoire.
Nous nous opposerons dans tous les cas à un budget global et lancerons un référendum.
Nous devrons travailler sans relâche et avec détermination. Pas de manière rigide, mais avec habileté et passion, et toujours avec l’objectif commun d’offrir au patient la meilleure prise en charge possible. Nous devons donner à l’extérieur une image unie des médecins suisses, alors même qu’en tant qu’organisation faîtière, il nous faut tenir compte de sensibilités et de besoins très différents en notre sein. Notre toute première priorité doit être de défendre les intérêts des patients et d’élaborer des solutions qui convainquent les politiques. En Suisse, cela veut dire trouver des alliés sur l’entier du spectre politique et dans toutes les branches d’activité en rapport avec notre secteur, et nous montrer prêts au compromis.
Le corps médical en a apporté la preuve, en collaboration avec la majorité des assureurs, en soumettant le projet au Conseil fédéral pour approbation. J’ai le plus grand respect pour le travail accompli par mes consœurs et confrères de toutes les spécialités. Il manque toutefois encore la volonté du conseiller fédéral Alain Berset de reconnaître cet accomplissement. Mais tout vient à point à qui sait attendre.
Je placerais des professionnels de la santé hautement qualifiés aux postes-clés de l’Office fédéral de la santé publique, sur le modèle de l’Office fédéral de l’agriculture, dont les postes de cadres sont occupés par des agronomes, avec le succès que l’on sait.