Nous avons tous entendu l’annonce des assistants de vol nous rappeler : « Veuillez d’abord mettre votre propre masque à oxygène avant d’aider les autres. » Malheureusement, à l’instar de nombreux passagers aériens, les médecins ne reconnaissent pas facilement leurs symptômes d’épuisement professionnel ou de dépression et demandent encore moins souvent de l’aide.1 En plus de la peur des conséquences pour leur carrière, les médecins prétextent souvent de ne pas avoir de temps pour consulter un confrère et craignent la stigmatisation associée au traitement pour une affection psychiatrique.2
Pourtant, plusieurs données suggèrent qu’un médecin sur deux expérimentera des symptômes de burnout au cours de sa vie professionnelle et que, dans notre catégorie professionnelle, le taux de prévalence de ce syndrome est d’environ deux fois celui de la population générale active.3
Un médecin épuisé est irritable, impatient, il commet plus d’erreurs et est plus souvent absent
Parmi les facteurs à l’origine de l’épuisement professionnel chez les médecins, on cite souvent une bureaucratie excessive et l’informatisation croissante de la pratique. Le stress lié aux technologies de l’information est omniprésent et, chez les docteurs, il prédit la survenue de symptômes de burnout indépendamment d’autres causes.4 En revanche, de longues journées de travail sont moins souvent considérées comme contribuant à l’épuisement professionnel par rapport au temps consacré à des tâches non cliniques. Et ce n’est pas surprenant ; ce qui motive nos étudiants à devenir médecins est de soigner les patients, non de passer du temps à répondre à des demandes de facturation ou d’expliquer à une compagnie d’assurances pourquoi telle ou telle investigation est nécessaire.5
Un médecin épuisé est irritable, impatient, sa productivité et la qualité de ses soins, comme la satisfaction de ses patients, sont diminuées, il commet plus d’erreurs et présente plus d’absentéisme.6
Nous savons aussi que chez les étudiants en médecine, il y a un niveau répandu de détresse psychologique, d’anxiété, de dépression et d’épuisement professionnel.7 À son tour, cela entraîne une baisse des performances universitaires, un abandon des cours et une diminution de l’empathie, attitude fondamentale à acquérir pour les futurs professionnels de la santé. De plus, les mêmes étudiants en souffrance pendant les études, continueront à signaler des niveaux élevés de stress, d’épuisement professionnel et de suicide par rapport à la population générale dès qu’ils seront dans leur vie professionnelle active.8
Historiquement, la formation des médecins a accordé relativement peu d’intérêt au bien-être des professionnels, malgré le fait que de nombreux rapports signalent que la négligence de soi-même a un impact néfaste sur sa propre santé ainsi que sur les soins prodigués aux patients.9 Dans les curricula de la plupart des facultés de médecine, il y a un grand écart entre l’enseignement médical formel, centré sur l’acquisition de connaissances techniques, et l’acquisition de compétences visant à développer l’empathie, la résilience et la gestion du stress chez le futur médecin. Les conséquences qui en résultent peuvent influencer négativement les valeurs et les comportements des étudiants en formation envers les patients et leurs futurs collègues.10
La plupart des facteurs de stress associés à la vie universitaire et aux stages cliniques sont également présents dans la formation de tous les professionnels de santé (infirmières, psychologues, travailleurs sociaux, physiothérapeutes, etc.). Par ailleurs, les étudiants des universités de notre pays connaissent des difficultés similaires, comme l’indiquent les résultats d’une enquête longitudinale sur la santé des étudiants menée en 2019 par l’Observatoire de la vie étudiante de l’Université de Genève, à laquelle ont participé 1544 étudiants (N = 914 de l’Université de Genève et N = 640 de la Haute École de Santé – HES-SO – Haute École Spécialisée de Suisse Occidentale de Genève).11
Aujourd’hui, en Suisse et dans la plupart des universités du monde, la formation des médecins vise à promouvoir une vision holistique de la pratique de la médecine (voir PROFILES12 et « Les sept rôles CanMEDS »13). Ces directives soulignent qu’un bon médecin devrait associer à ses connaissances techniques des compétences en communication, le professionnalisme, la capacité de collaboration interprofessionnelle, mais également des compétences dans la gestion de la (« sa ») santé mentale et de la résilience. Or, l’attention au soin de soi-même n’est pas toujours intégrée parmi les priorités de la formation des médecins de demain.14
Une méta-analyse récente15 montre que les approches cognitivo-comportementales et les interventions basées sur la pleine conscience seraient les interventions les plus efficaces pour réduire le stress chez les étudiants en médecine et les médecins. Cependant, peu de données suggèrent qu’une intervention particulière et isolée assure des bénéfices à long terme dans la prévention des symptômes d’épuisement professionnel et dans la gestion du stress. Ce sont des interventions systémiques, plutôt que (ou en complément de) celles exclusivement ciblées sur les personnes touchées, qui permettent d’obtenir les meilleurs résultats.16
D’un côté, il semble donc nécessaire de mettre à disposition des étudiants en médecine et des médecins des interventions individuelles pour une meilleure gestion du stress, pour prêter une plus grande attention à la prise en soin de soi-même et faciliter ainsi le recours à de l’aide en cas de détresse psychologique. De l’autre côté, ces actions individuelles devraient être associées également à des interventions sur l’organisation du travail.
Ce sont les interventions systémiques qui permettent d’obtenir les meilleurs résultats
Les facultés de médecine, les institutions de formation et les hôpitaux qui accueillent étudiants et médecins pendant leur formation pré et postgraduée, jouent indiscutablement un rôle clé dans la promotion d’une culture du bien-être chez des professionnels de la santé qui, in fine, bénéficie aux patients également.
En effet, sans notre propre masque à oxygène en place, nous ne pouvons pas aider ceux qui nous entourent.