Durant la première vague de Covid-19, les professionnel·le·s hospitalier·ère·s ont dû rapidement adapter leur façon de travailler et introduire de nombreux changements dans l’organisation du travail et la prise en charge des patient·e·s. Dans cette étude, nous nous sommes intéressées à la façon dont ces changements avaient été vécus par les professionnel·le·s de 11 hôpitaux romands. Les résultats soulignent l’importance de l’entraide entre collègues et entre services, dans cette situation de crise qui semble avoir été marquée par une amélioration de la coordination et de la collaboration interprofessionnelle. Le soutien des responsables direct·e·s semble également avoir été crucial mais largement dépendant du leadership des responsables. Les répondant·e·s ont souligné la nécessité d’avoir une communication institutionnelle transparente.
À travers le monde, la pandémie de Covid-19 a forcé les services de santé à s’adapter et faire preuve de résilience.1 Les professionnel·le·s hospitalier·ère·s ont dû faire face à de nouveaux modes de fonctionnement et parfois à de nouvelles activités, dans le cadre de réaffectations au sein de leurs institutions. Au-delà de la réorganisation du travail, ils/elles ont également été confronté·e·s à des situations émotionnellement difficiles et à l’incertitude imposée par la pandémie.2 Plusieurs études ont fait état de répercussions de la crise pandémique sur la santé de ces professionnel·le·s, avec un niveau accru de détresse émotionnelle, de symptômes dépressifs, d’anxiété et de fatigue.3 Lors des épidémies de SARS et de H1N1 en 2003 et 2009, des constats similaires avaient été posés, parfois jusqu’à 2 ans après l’épidémie.4 À la différence des précédents épisodes épidémiques, la pandémie de Covid-19 a également été l’occasion d’instaurer de nouvelles pratiques et de nouvelles façons de travailler.5 Face à une potentielle troisième vague, faire un bilan de ce qui a fonctionné ou non dans les changements de pratiques peut être important pour maintenir des prises en charge optimales, tout en préservant le bien-être des équipes. Dans cette optique, tenir compte de l’expérience des professionnel·le·s est essentiel ;6 c’est ce que nous proposons dans cette étude transversale réalisée au sein de 11 hôpitaux romands.
Un questionnaire portant sur l’expérience du premier pic pandémique a été proposé en juillet 2020 à 8645 professionnel·le·s de 11 établissements hospitaliers de Suisse romande. Il incluait des questions sur des aspects organisationnels, psychologiques et psychosociaux de l’expérience des professionnel·le·s, ainsi qu’une question ouverte sur les changements liés à la pandémie dans le travail : « Quels sont les changements positifs et négatifs dans votre travail qui sont apparus à l’occasion de la première vague de Covid-19 et qui devraient être maintenus ou non à l’avenir ? » Les résultats présentés dans cet article concernent l’analyse de cette question. Ces analyses ont été effectuées avec le logiciel IRaMuTeQ7 qui permet de traiter de larges corpus de textes et a déjà été utilisé pour l’analyse de commentaires libres dans le cadre d’enquêtes sur l’expérience de patient·e·s et de professionnel·le·s.8
Sur les 8645 professionnel·le·s contacté·e·s, 2811 ont complété le questionnaire (32,5 % de taux de réponse), dont 1256 ayant répondu à la question ouverte (tableau 1). L’analyse de cette dernière a permis d’extraire 10 thématiques que nous avons pu regrouper sous 5 grands thèmes (figure 1).
Le premier grand thème concernait le matériel de sécurité. L’incertitude quant au manque de matériel, sa qualité ou la façon de l’utiliser, du fait des changements récurrents dans les consignes d’utilisation, a généré un sentiment d’insécurité global quant au fait d’être contaminé ou de contaminer des proches.
Le deuxième grand thème concernait l’organisation des prises en charge. Tout d’abord, certaines personnes ont relevé les apports des changements : pour les soignant·e·s non impliqué·e·s dans les filières Covid-19, la diminution de l’activité dans certains services aurait permis de mettre en place des prises en charge de meilleure qualité ; pour les personnes réaffectées, la découverte de nouvelles façons de travailler et parfois l’acquisition de nouvelles compétences ont globalement été vécues comme un enrichissement. Ensuite, d’autres répondant·e·s, en particulier celles et ceux impliqué·e·s dans les filières Covid-19, ont souligné les difficultés qu’elles/ils avaient eu à gérer les nombreux ajustements, avec un fort sentiment que les services avaient été livrés à eux-mêmes. La bonne coordination et l’entraide spontanée entre services ont été perçues comme une ressource importante pour gérer ces difficultés. Enfin, les répondant·e·s ont globalement critiqué un manque d’anticipation, qui selon eux a surtout eu un impact sur la sécurité des patient·e·s : plus d’erreurs liées au stress, plus de manquements au niveau de l’hygiène et parfois au niveau des règles de quarantaine pour les professionnel·le·s.
Le troisième grand thème concernait le travail d’équipe. Les répondant·e·s ont été marqué·e·s par la solidarité entre collègues et une cohésion d’équipe qui s’est renforcée durant la crise et qui a, pour certain·e·s, permis de gérer l’incertitude de la situation. L’amélioration de la collaboration interprofessionnelle a également été soulignée, se manifestant par plus de respect et de soutien entre groupes professionnels et une reconnaissance plus visible des compétences et complémentarités interprofessionnelles.
Le quatrième grand thème concernait la hiérarchie. Les répondant·e·s ont regretté une communication institutionnelle peu claire, caractérisée par de nombreux changements induisant des contradictions et une impression de non-transparence. Cette perception était accentuée par le sentiment, surtout exprimé par les professionnel·le·s impliqué·e·s dans les filières Covid-19, de ne pas avoir été écouté·e·s ou impliqué·e·s dans les prises de décision de leur hiérarchie. Le soutien des responsables direct·e·s a été jugé central dans le vécu de cette période. Cependant, la présence de commentaires à la fois positifs et négatifs à ce sujet suggère que le soutien fourni par les responsables a été inégal selon les endroits et était dépendant de leur personnalité.
Le cinquième grand thème concernait les changements dans les modalités du travail. Pour les personnes non impliquées dans les soins, la généralisation du télétravail a été le changement positif de la période avec néanmoins quelques bémols : l’isolement, l’empiétement du travail sur l’espace privé ou le manque de matériel informatique adapté. Les professionnel·le·s impliqué·e·s dans les prises en charge ont critiqué la gestion des horaires, en particulier les changements de dernière minute, ainsi que les décisions jugées injustes concernant la gestion des heures négatives ou l’obligation de devoir reprendre les heures supplémentaires même en période de forte charge.
La crise du Covid-19 a demandé aux professionnel·le·s hospitalier·ère·s d’importantes capacités d’adaptation et la gestion de nombreuses incertitudes. Les points marquants de cette expérience semblent, selon nos résultats, s’être concentrés autour de 3 aspects : un fort sentiment d’entraide sur le terrain, une organisation improvisée du travail et des prises en charge, et une gestion institutionnelle de la crise parfois éloignée des réalités du terrain.
L’entraide dans les équipes a été vécue comme une ressource essentielle pour les professionnel·le·s, ce qui confirme de précédents résultats.9 Il semble également que la crise ait induit des modes de collaboration plus efficaces, que ce soit à travers une répartition différente des rôles et des responsabilités ou l’apparition d’une réelle collaboration interprofessionnelle.5 L’urgence et l’aspect inédit de la situation ont sans doute permis de dépasser certaines barrières liées aux questions de rôles ; l’enjeu sera, à l’avenir, de conserver ces modes de collaboration.10
Concernant l’organisation concrète du travail, d’autres études ont relevé le besoin pour les professionnel·le·s d’avoir une organisation et des plannings clairs, de même qu’une vision globale des dotations.11,12 Dans notre étude, ce sont surtout les changements récurrents ou les incohérences qui ont été soulignés, et non forcément le fait d’avoir dû travailler plus. Dans ce sens, la demande des équipes concerne surtout l’utilisation rationnelle et cohérente des ressources déjà à disposition et l’anticipation de l’organisation du travail plutôt qu’une augmentation des effectifs, même si cette dernière est également souhaitée.13
Pour ce qui est de la gestion institutionnelle de la crise, les changements et contradictions dans la communication ont sans doute donné une impression d’un manque de préparation ou d’opacité dans les prises de décision, ce qui a également été commenté dans la littérature.14 L’inclusion dans les prises de décisions, de même que la capacité des responsables hiérarchiques à soutenir et inclure les équipes dans les réflexions – y compris dans l’urgence – semblent cruciales pour assurer le lien entre les équipes et la hiérarchie.15 Renforcer la formation des cadres hospitaliers en ce sens pourrait sans doute constituer une amélioration notable pour la gestion d’équipes en temps de crise.
La situation pandémique a exacerbé des problématiques déjà existantes dans l’organisation hospitalière ;16 l’urgence globale de la situation a toutefois accéléré la recherche de solutions qui pour certaines se sont avérées efficaces. Il est important pour la gestion des crises à venir, mais également pour un retour à la normale, que cette dynamique de changement soit maintenue au-delà de la crise épidémique actuelle.17
Les auteures n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Nous remercions l’ensemble des professionnel·le·s qui ont participé à notre étude pour l’intérêt et le temps qu’ils y ont consacré, en particulier dans un contexte difficile pour elles/eux. Nous remercions Anthony Staines et Patricia Albisetti pour leur aide sur le projet et les précieux conseils sur le questionnaire.
• Réduire l’incertitude entourant la situation pandémique, notamment par rapport au matériel de protection et aux procédures, permettrait de diminuer l’insécurité perçue par les équipes. Pour ce faire, il faudrait favoriser une communication institutionnelle transparente et constante
• Certaines solutions sont venues du terrain, il est important de maintenir des processus décisionnels impliquant le terrain (bottom-up) et de développer le système d’apprentissage organisationnel (boucle de retour d’information aux décideurs) pour ajuster rapidement les approches, stratégies et besoins durant une crise
• La cohésion des équipes et la collaboration interprofessionnelle doivent être valorisées car elles constituent des ressources essentielles pour les équipes dans les situations de crise
• La formation des cadres à la gestion des situations de crise doit être renforcée
During the first wave of Covid-19, hospital professionals had to quickly adapt their practices and introduce several changes in the organization of work and patient care. In this study, we were interested in how these changes were experienced by the professionals of 11 hospitals in French-speaking Switzerland. The results underline the importance of support between colleagues and between services in this crisis, which seems to have been marked by an improvement in interprofessional coordination and collaboration. The support of direct managers also seems to have been crucial but largely dependent on their leadership skills. Respondents emphasized the need for a transparent institutional communication.