(tiré de RMS 2016 : 612-617)
Une fois le diagnostic d’embolie pulmonaire (EP) posé, et nous avons vu la part importante que les scores de Wells et de Genève, qu’ils soient révisés, simplifiés ou non, y ont jouée, la question du pronostic se pose, et cela pour deux raisons: 1) quel est le risque vital de l’EP ? 2) Y a- t-il une catégorie de patients avec EP qu’il est possible de traiter en dehors du milieu hospitalier avec une sécurité suffisante ?
Pendant longtemps, les données de Barritt et Jordan en 1960(1), ainsi que les chiffres proposés par Dalen et Alpert en 1975 (2), laissaient entrevoir une mortalité de 25 à 30% pour les EP non traitées. Ces estimations provenaient d’études et de compilation de rapports où la stratégie diagnostique de l’EP différait considérablement de celle qui prévaut actuellement, basée qu’elle était surtout sur la clinique, avec une forte possibilité de biais en faveur des cas les plus sévères. Depuis lors, il n’y a eu que de très rares études traitant du pronostic naturel de l’EP, personne n’osant traiter des patients avec EP par un placebo ! Il y a cependant eu une courte série, issue de l’étude PIOPED où 20 patients avec EP avaient accidentellement échappé à tout traitement(3). Leur mortalité à 3 mois était de 5%. Dans une revue publiée en 2005, Calder et a (4) font état de 5 publications où nombre de patients avec une faible probabilité d’EP à la scintigraphie ventilation/perfusion ne furent pas traités, avec des taux de mortalité oscillant entre 2 et 20%, mais aucune de ces morts ne résultait apparemment de l’EP elle-même.
Il est clair que ces études sont l’expression de tableaux cliniques différents et qu’il est difficile de proposer un chiffre standard de mortalité pour l’EP non traitée, mais il est vraisemblable qu’elle se situe en dessous des 25 à 30% généreusement attribués dans le passé. De toute manière, la mortalité globale dans cette situation clinique dépend essentiellement, à côté des répercussions hémodynamiques de l’EP, des co-morbidités du patient, de leur nombre et de leur gravité. La description des scores pronostiques de l’EP qui va suivre, illustrera ce point.
Les patients présentant une instabilité hémodynamique secondaire à l’EP sont en général exclus de ces scores pronostiques, car ils relèvent d’un autre type de prise en charge. Il sera donc essentiellement question du pronostic des EP sans atteinte hémodynamique que l’on aimerait qualifier de « normales » si ce qualificatif ne souffrait pas d’un certain discrédit, dans la vie politique d’un pays voisin tout au moins.
Le suivi des patients traités pour EP a montré qu’une majorité de patients avaient une évolution favorable, sans complication majeure, ce qui permettait d’assumer qu’ils pourraient aussi bien être pris en charge en milieu ambulatoire, avec, comme conséquences, un moindre coût financier et un confort accru pour les malades, cela à sécurité égale. C’est sans doute la raison principale pour la mise au point de scores cliniques pronostiques capables d’identifier, parmi tous les sujets atteints d’EP, stables sur le plan hémodynamique, ceux qui pourraient bénéficier d’un maintien à domicile, une fois le diagnostic posé en salle d’urgence.
Cet objectif revêt un intérêt particulier puisqu’il suggèrerait que l’utilisation de de tels scores pronostiques a des implications pratiques bénéfiques sur la gestion des patients, une condition qui n’est que trop rarement satisfaite pour l’immense majorité des scores alors même qu’elle leur confère le plus haut niveau hiérarchique en termes de qualité.
1. Barritt DW, Jordan SC. Anticoagulant drugs in the treatment of pulmonary embolism. A controlled trial. Lancet 1960;1:1309-12.
2. Dalen JE, Alpert JS. Natural history of pulmonary embolism. Prog Cardiovasc Dis 1975;17:259-70.
3. Stein PD, Henry JW, Relyea B. Untreated patients with pulmonary embolism. Outcome, clinical, and laboratory assessment. Chest 1995;107:931-5.
4. Calder KK, Herbert M, Henderson SO. The mortality of untreated pulmonary embolism in emergency department patients. Ann Emerg Med 2005;45:302-10.