Sept semaines déjà. Sept semaines seulement.
Sept semaines que la population suisse est en quasi-confinement. Les week-ends printaniers passent et se ressemblent. Malgré les recommandations des autorités suisses et médicales, malgré les mesures punitives mises en place, malgré la culpabilité sociale induite, certains individus continuent de sortir. Certains continuent de se rencontrer. Certains continuent de se toucher.
Soignants et professionnels de la santé s’étonnent encore du non-respect de ces consignes, les amenant à demander dans un premier temps des mesures plus restrictives, puis face au risque de 2e vague, une prolongation des mesures en cours.
Nombreuses ont été les demandes de soutien et de signature à de multiples pétitions proposant le confinement total. Le risque d’une propagation rapide du virus est une surcharge du système de santé, avec impossibilité de soigner les malades gravement atteints ou toute personne nécessitant un accès aux soins. Éviter une contamination exponentielle représente donc un enjeu lourd de conséquences.
Et pourtant « Pas de confinement total », a décidé le Conseil Fédéral, au grand désarroi de plusieurs acteurs de la santé.
Ici n’est peut-être pas la scène pour justifier, discuter et débattre de la pertinence ou non du confinement, ou de la suffisance de ces mesures pour un contrôle efficace de la contagion. Mais ce qui est sûr, c’est que le respect de ces règles – que ce soit un confinement total ou partiel – est primordial. A quoi servirait un confinement total si l’individu le refuse ? Du reste, avec une politique de répression et de punition appliquée en cas de non-respect, les individus ont-ils réellement la possibilité de refuser ces consignes ?
La question ici est peut-être plutôt de réfléchir à ce qui fait qu’un individu choisit de respecter le confinement ou non. Car accepter ces mesures, c’est consentir à une restriction de ses libertés propres et personnelles.
Interrogeons-nous alors sur les réflexions qui mènent à de telles décisions dont les conséquences, autant sur la communauté que sur l’individu, ne sont ni négligeables ni encore entièrement identifiables.
À ce jour, les décisions du confinement et des mesures prises pour réguler la contagion émanent avant tout des instances politiques, sur les conseils d’experts de la santé publique. Or imposer une restriction des droits des individus est une décision difficile. A priori, ces limitations sont contraires aux droits fondamentaux tels qu’énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Jusqu’à quel point cette restriction est-elle légitime ? Que faut-il privilégier : l’autonomie des individus ou la sécurité de la population ?
Le Conseil fédéral a tranché. La sécurité de la communauté a exigé que les libertés – aussi bien de mouvement, de choix, de volonté – des individus soient restreintes. La majorité des individus ont accepté, semble-t-il, cette primauté du bien de la communauté.
Cette question des « mesures de contrainte » et de leur légitimité, déjà abordée en 1793 par Pinel, est bien connue des soignants, notamment de psychiatrie. Cependant, l’élargissement de la réflexion à un niveau social et politique à l’échelle nationale, voire internationale est inédit. En effet, il s’agit dans ce cas de restreindre des personnes ayant leur capacité de discernement, soit capables d’un choix libre et éclairé, chose normalement contraire à la législation. Alors, au nom de quoi une personne accepte-t-elle sciemment la restriction de ses droits personnels ?
En acceptant ces mesures, apparaît un soulagement de l’angoisse. Respecter les règles, respecter l’autorité, se laisser guider efface hésitations et incertitudes que provoque une crise. L’angoisse existentielle et le poids de la responsabilité, surtout face à la question de la mort et de l’atteinte à la santé, la sienne et celle des autres, s’en trouvent apaisés.
Le pendant est un effet dépressiogène, avec diminution de l’accès aux plaisirs, à la liberté de mouvements, aux choix possibles. D’autre part, « L’être humain est un animal politique » – à comprendre « social » –, disait Aristote. Il a besoin des autres. L’isolement, la limitation des contacts sociaux, autant émotionnels que physiques, ont un impact sur soi et dans les relations interpersonnelles. Dépression, sentiment de solitude, colère et agressivité surgissent.
Ainsi, le non-respect des mesures par les individus pourrait s’inscrire dans un mouvement interne visant à soigner cette symptomatologie dépressive, pour retrouver ce qui manque : contact à l’autre, éléments de vie. Plus l’ampleur des restrictions augmente, plus l’impact sur l’individu s’intensifie, accentuant la difficulté à respecter ces mesures.
Malgré tout, les mesures de confinement sont globalement bien respectées. Les individus acceptent de se couper de l’Autre. Pour le protéger ou pour se protéger soi-même ?
« Au nom de la solidarité » est leur réponse.
Cette notion est cependant ébranlée par ce qu’elle provoque. Actuellement, solidarité ne signifie plus « être là pour l’autre » mais bien « ne pas être là pour l’autre ». En nous isolant, nous sommes solidaires et paradoxalement absents. Une relation sans relation.
Peut-être que se trouve là-derrière une nouvelle forme de solidarité, en accord avec notre monde actuel et ce qu’il traverse. Dans un monde hyperconnecté, la relation virtuelle induit le « ne pas être là pour l’autre ».
Peut-être aussi que se cache là-derrière une réelle absence de solidarité. Ce terme significatif de « don à l’autre, pour l’autre » n’est peut-être que la couverture de son contraire. Sous l’égide de l’empathie et de la préoccupation de l’autre se trouve peut-être une préservation égotique la plus fondamental qui soit : l’autoconservation. En étant solidaire, l’individu s’isole, mais pour se protéger lui. De par le soulagement personnel qu’offre cette protection, il est adéquat de questionner sa motivation.
Autrement dit, un intérêt altruiste cache peut-être toujours déjà un intérêt égoïste sous-jacent.
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