Face au SARS-CoV-2, faute de disposer, avant longtemps, d’un vaccin, c’est un premier espoir thérapeutique à l’échelon du Vieux Continent. Dénommé Discovery, un essai clinique sans précédent visant à évaluer l’efficacité de plusieurs traitements de la maladie Covid-19 vient d’être lancé. « Tout est prêt, nous n’attendons plus que les médicaments » expliquait, il y a quelques jours, le Pr Yazdan Yazdanpanah (Service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Bichat, Paris) qui coordonne cet essai au sein du consortium « REACTing ».
Ce consortium multidisciplinaire rassemble « les groupes de recherche français d’excellence ». Il ne cible aucune maladie en particulier et peut intervenir sur toutes les émergences infectieuses, notamment zoonotiques. Son domaine d’action est large, allant de la recherche fondamentale aux sciences humaines et sociales – et ce tout en privilégiant une approche transversale. Il vise à préparer « en temps de paix » le volet recherche de la réponse aux crises sanitaires. Créé au lendemain de la pandémie de grippe H1N1, ce consortium dispose désormais d’un fonds d’amorçage d’un million d’euros pour couvrir les premiers frais des programmes de recherche lancés en urgence, en attendant que des sources de financement classiques comme l’Agence nationale française de la recherche prennent le relais.
Il s’agit aujourd’hui, avec Discovery,d’une étude multicentrique prévue pour inclure 3200 patients hospitalisés pour des formes graves de la maladie en Europe – dont 800 en France. Randomisée, elle comprendra quatre bras de traitement. Le premier quart des malades bénéficiera de la prise en charge actuelle : traitements non spécifiques et symptomatiques (standard of care). Le deuxième recevra le remdesivir, un antiviral de Gilead Sciences qui fait déjà l’objet de plusieurs essais cliniques contre le SARS-CoV-2. Le troisième sera traité par Kaletra (ritonavir/lopinavir, AbbVie, déjà indiqué dans le traitement de l’infection par le VIH) et le dernier par une association de Kaletra et d’interféron bêta. Bien évidemment, les trois derniers groupes bénéficieront également des traitements non spécifiques et symptomatiques
En France, cet essai clinique est porté par deux structures. D’une part, le Centre international de recherche en infectiologie de Lyon (Inserm, Université Claude Bernard, École normale supérieure de Lyon et CNRS). D’autre part le centre méthodologique du consortium « REACTing » coordonné par l’Inserm. Cet essai clinique est dit « évolutif » : si une molécule apparaît comme inefficace, elle sera abandonnée. À l’inverse, si un candidat thérapeutique semble présenter un intérêt, il pourra être testé dans le cadre de l’essai. « Nous n’excluons pas la possibilité de recours à l’usage compassionnel de ces traitements » explique en outre le Pr Florence Ader, l’une des responsables de cet essai. Le choix des molécules employées dans l’étude « est motivé par l’avis de l’OMS » précise d’autre part le Pr Yazdanpanah.
Même en situation d’urgence, les pratiques de la recherche impliquant l’être humain doivent respecter le cadre éthique et déontologique
Quid de la chloroquine qui est depuis peu au centre d’une controverse, en France, après les propos tenus par le Pr Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire de Marseille) ?1 Cette molécule n’a pas été retenue par le comité scientifique du consortium REACTing présidé par le Pr Jean-François Delfraissy. « Nous aurions pu l’inclure, cela a été sérieusement envisagé, mais nous avons considéré qu’elle présentait trop de problèmes d’interactions médicamenteuses », précise ce spécialiste. Un essai clinique évaluant la chloroquine, portant sur vingt-quatre malades atteints du Covid-19, devrait toutefois être prochainement mené à l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille, par le Pr Didier Raoult et son équipe.
L’essai clinique Discovery sélectionné fait partie des vingt projets2 retenus par REACTing pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Ces projets sont répartis en quatre catégories : trois projets de recherche en épidémiologie, avec notamment des travaux de modélisation mathématique permettant d’anticiper le risque d’importation du SARS-Cov-2, sept de recherche fondamentale, six de recherche clinique (dont la mise au point d’un modèle animal), sans oublier quatre de recherche en sciences sociales et politiques.
« Concernant ce dernier axe nous allons faire des recherches sur deux aspects, détaille Daniel Benamouzig, chercheur au centre de sociologie des organisations à Sciences Po. En premier lieu, nous allons évaluer les effets de la circulation scientifique dans un contexte de science ouverte. On assiste en effet à la diffusion d’informations très risquées, voire de fake news. Notre autre sujet est l’étude comparée des réactions de régimes autoritaires ou plus démocratiques dans leur gestion de l’information et de la crise. »
Ces annonces coïncident, en France, avec la publication, à la demande du gouvernement, d’une « contribution »3 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur les enjeux éthiques de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Ce comité aborde notamment (assez rapidement) la question de « la responsabilité de l’industrie pharmaceutique ». « L’industrie pharmaceutique européenne et singulièrement française doit participer aux efforts de recherche académique en mettant à disposition des équipes d’éventuels candidats médicaments ou candidats vaccins, écrit-il. Le CCNE recommande aussi que les compagnies pharmaceutiques intègrent dans leurs pratiques une vision collective, attendue, dans ce contexte de pandémie, de toutes les parties prenantes concernées, en dépassant les considérations strictement économiques. »
Le CCNE rappelle aussi que, « même en situation d’urgence », les pratiques de la recherche impliquant l’être humain doivent respecter le cadre éthique et déontologique, notamment à l’égard des patients qui sont inclus dans les protocoles de recherche clinique.
Et ce même CCNE de souligner « une exigence à respecter » : celle des « données de santé ». « Des personnes à l’étranger et plus récemment en France ont choisi de révéler publiquement leur état de santé, observe-t-il. De telles situations entraînent des élans de solidarité, d’empathie visibles sur les réseaux sociaux. Elles peuvent participer à dédramatiser certaines expériences de confinement à domicile, dans une sorte “d’éducation par le vécu”. Ces décisions doivent en tous les cas être prises en toute connaissance de cause (des propos malveillants peuvent aussi être tenus), sans pression sociale. »
Pour autant, le CCNE recommande qu’il soit rappelé impérativement à tous les acteurs, particuliers, soignants, acteurs publics et médias qu’il existe des textes de loi concernant le respect de la confidentialité des données médicales et l’identité des personnes atteintes et qu’ils doivent prévaloir en situation d’épidémie et de menace pour la santé. On ajoutera, enfin, une autre production, scientifique, concernant le rôle possible de la transmission du SARS-CoV-2 via les animaux domestiques et l’alimentation.4 Le cas échéant, nous y reviendrons.
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