Rédiger un éditorial est rarement une entreprise facile. Le faire en octobre 2020 pour une publication en janvier 2021 est définitivement compliqué. En effet, à l’heure où ces quelques mots sont rédigés, il ne subsiste plus aucun doute concernant la possibilité d’une deuxième vague d’infections à SARS-CoV-2 en Suisse. Plus particulièrement, la Suisse romande est à nouveau frappée par une incidence élevée de cas et d’hospitalisations, y inclus d’admissions aux soins intermédiaires et intensifs. Des clusters sont identifiés dans divers établissements et, même si le semi-confinement n’est pas (encore) déclaré, dans certains cantons, les rassemblements de plus de 5 personnes sont désormais interdits dans les espaces publiques ou privés et les restaurants fermés à partir de 22 ou 23 heures. La deuxième vague est bien là et son ampleur pourrait être plus forte encore que la première que nous avons connue, rappelons-le encore, dans un contexte de semi-confinement.
une prise en charge assez générale, mais ceci dans une société qui aura rarement été aussi spécialisée
Comme d’autres acteurs, la médecine interne générale, ambulatoire et stationnaire, évalue son action face à cette pandémie sanitaire aux nombreuses conséquences directes et indirectes. Après s’être arrêtés un instant pour faire le bilan de ce que la première vague aura appris à la médecine interne générale suisse,1 nous voilà déjà à nous demander ce que cette nouvelle vague va nous apprendre.
Un élément qui marque, c’est le contraste entre la simplicité de l’infection et la complexité de ses conséquences. En 2020, notre société est en effet globalement frappée par un virus provoquant une infection aspécifique des voies respiratoires supérieures. Le diagnostic de la maladie Covid-19 repose sur la mise en évidence du virus par analyse PCR tout à fait standard d’un échantillon nasopharyngé et/ou oropharyngé collecté à l’aide d’un simple écouvillon. La prise en charge, ambulatoire et stationnaire, est générale (antipyrétiques pour l’ambulatoire et le stationnaire ; antipyrétiques, oxygène, corticostéroïdes et prophylaxie antithrombotique pour le stationnaire). Une simple antibiothérapie par amoxicilline-clavulanate viendra compléter la prise en charge en cas de surinfection bactérienne. Si des populations vulnérables sont spécifiquement identifiées pour ce qui concerne les complications de la maladie Covid-19, l’ensemble de la population est, en fait, à risque d’infection. Bref, un virus, une infection, une prise en charge et une population assez générales, mais ceci dans une société qui aura rarement été aussi spécialisée.
Difficile de ne pas (re)penser à la théorie présentée dans le dernier ouvrage de David Epstein publié quelques mois avant la pandémie et dont le titre, Range : Why generalists triumph in a specialized world,2 aura certainement retenu l’attention de beaucoup de généralistes, même si l’ouvrage n’aborde pas spécifiquement le domaine médical. Le lecteur intéressé découvrira comment David Epstein y décrit pourquoi, après des décennies de culte de la spécialisation (la règle des 10 000 heures, se focaliser sur un seul objectif, l’entraînement délibéré, etc.) pour parvenir à la « réussite », le monde actuel semble désormais plus propice au généralisme. Le lecteur intéressé mais pressé pourra, lui, apprécier un délicieux chapitre intitulé : « When less of the same is more ».
Sans d’aucune manière déclarer le triomphe de la médecine interne générale, force est de constater que la réponse à la pandémie a reposé et repose de facto beaucoup sur la médecine interne générale ambulatoire et stationnaire, publique et privée. Mais force est de constater aussi que, pour pallier cet extraordinaire afflux de patients à orienter, tester, prendre en charge, soigner et en assurer la convalescence, la condition sine qua non est de pouvoir compter non seulement sur une solidarité entre généralistes de l’ambulatoire et du stationnaire, de l’enfant, de l’adulte et de la personne âgée, mais également sur une solidarité entre généralistes et spécialistes. À l’instar des médecins généralistes de l’ambulatoire (en policliniques ou installés) venus renforcer les équipes du stationnaire, des collègues spécialistes (radiologues, chirurgiens, oncologues…) sont venus renforcer la médecine interne générale stationnaire au plus fort de la pandémie. Cela sans compter les autres sacrifices de ces médecines spécialisées, comme l’interruption des chirurgies électives et des consultations oncologiques en présentiel pour n’en citer que deux. Dans une société très spécialisée, le généralisme a confirmé sa plus-value dans la réponse à la pandémie Covid-19. Faisons en sorte que la solidarité observée pendant la pandémie entre généralistes et spécialistes nous rende plus forts encore après cette crise et que de notre côté, généralistes du public et du privé, nous soyons encore plus inspirés pour donner aux jeunes médecins l’envie d’être généralistes, délibérément généralistes.
Faisons en sorte que la solidarité nous rende plus forts encore après cette crise
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