Ce printemps, j’ai publié une chronique relatant le vécu des soignants lors de la préparation de l’hôpital de Sion à l’accueil des patients intubés atteints du coronavirus. En voici la suite et fin.
Notre salle de réveil avec huit lits et notre bloc opératoire qui dispose en temps normal de sept salles d’opération avaient été dédiés en grande partie à l’accueil des malades intubés. Après une semaine de travail titanesque effectué de concert entre anesthésistes et intensivistes, nous avions 20 lits à disposition dans la zone « bloc opératoire ». Trois des sept salles d’opération restaient disponibles pour les chirurgies urgentes et vitales.
Le lundi 22 mars est arrivé le premier patient en salle de réveil, tournant décisif qui nous a permis de passer concrètement à l’action. Pour moi qui ne suis pas intensiviste, il s’est agi de me mettre à jour et de prendre connaissance des protocoles, très complets, qui avaient entretemps été préparés par nos collègues des soins intensifs.
J’avais évoqué la peur de ne pas réussir à bien m’occuper de ces malades en manquant de compétences en soins intensifs. Cette crainte s’est avérée injustifiée grâce à la présence continue d’un cadre de soins intensifs qui nous a supervisés avec tact. Ces intensivistes ont également traqué inlassablement les surinfections, prévenu les thromboses, soigné les complications, réglé les ventilateurs. Je salue ici avec admiration le travail qu’ils ont accompli.
La salle de réveil s’est rapidement remplie, chaque jour arrivaient un, deux, voire trois malades intubés. Nos tournus de garde ont été doublés, puis triplés. Du tournus standard de nuit qui prévoit pour les médecins anesthésistes un·e cadre et un·e interne nous sommes passés à trois cadres et trois internes. Comme nous essayions de grappiller de ci et de là quelques instants de repos, plus personne ne savait qui se reposait où ; une nuit, une collègue qui s’était levée à trois heures du matin pour une entrée a retrouvé dans son lit une interne d’anesthésie, qui, épuisée, s’était étendue quelques instants. Fallait-il se fâcher ? Elles ont choisi d’en rire.
J’ai fait beaucoup de gardes de nuit durant cette période. Quand la salle de réveil a été complète, les salles d’opération se sont progressivement remplies. Chaque fois que je revenais à l’hôpital, je trouvais des nouveaux patients dont s’occupaient ensemble les infirmières et infirmiers anesthésistes et intensivistes. Le contexte était totalement irréel – les salles d’opération, dont l’utilisation première avait été détournée, étaient méconnaissables – le silence était presque assourdissant, le décor de salle de bain déplacé –, heureusement que nos patients étaient endormis !
Une fois les repères pris, tout ce travail s’est fait dans la bonne humeur. L’organisation était globalement bonne, les tournus nous ont permis d’avoir des temps de repos acceptables et nous avons eu peu de malades dans l’équipe. Après la pénurie initiale de masques – un masque FFP 2 devait durer 8 heures et il fallait le mettre à sécher sur un étendard « fait maison » entre chaque utilisation – nous avons bénéficié de matériel de protection en suffisance.
Nous avons reçu un soir un patient intubé transféré d’un département en pleine crise sanitaire. Il a été pris en charge par une équipe d’infirmiers motivés et au petit matin il était transformé : il avait été lavé, rasé, coiffé, et j’ai ainsi pu apprécier la qualité du nursing qu’il est possible, quand on dispose de suffisamment de ressources, d’offrir à nos malades.
On a toujours parlé de vague et ce qui s’est passé chez nous s’y apparente vraiment. Inexorablement, les salles d’opération se sont remplies de malades intubés. Vers mi-avril, le rythme des entrées s’est ralenti, puis stabilisé, et petit à petit les salles d’opération se sont vidées, suivies de la salle de réveil. Nous avons pu voir nos patients se remettre lentement, être extubés les uns après les autres et quitter notre service. Quelle joie de les voir s’en sortir !
À la fin du mois d’avril, des salles d’opération avaient pu rouvrir, on parlait de la reprise des écoles. Comme à la fin d’une course de vélo, nous avons pu lever la tête du guidon, essayer de réaliser ce qui s’était passé, et recommencer à nous projeter vers l’avenir.
Pour moi la question lancinante était de savoir si j’étais prête à retourner à la vie d’avant. Les conflits sans fin au bloc opératoire, où la pression économique est telle qu’elle déteint sur les comportements de ses utilisateurs.
Les contraintes liées au manque de temps pour la préparation des cours, congrès, articles et autres activités accessoires à la clinique. La vie de famille qui ne s’arrête jamais, dictée par les multiples activités extrascolaires.
A l’heure où j’écris ces lignes, la question semble réglée : la tension au bloc opératoire est de nouveau palpable, mon agenda se remplit de dates de congrès, symposiums et autres, et mon mari et moi avons recommencé les réunions d’état-major pour synchroniser au mieux nos activités et celles de nos quatre enfants.
Sans avoir eu le temps de nous remettre de cette grosse secousse, nous sommes déjà revenus à la vie « d’avant », celle du « tout, tout de suite ». Dommage.
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