Cette synthèse de la littérature porte sur les aspects principaux de la prise en charge des patients atteints d’un lupus érythémateux systémique dans le contexte de la pandémie Covid-19. Nous abordons les risques d’infection par le SARS-CoV-2, la sévérité des symptômes comparée à la population générale, le rôle des anticorps antiphospholipides dans les complications thrombotiques et les stratégies de traitement.
La pandémie de Covid-19 a eu et continue d’avoir un grave impact sur les patients avec une maladie autoimmune systémique chronique en général, dont ceux ayant un lupus érythémateux systémique (LES) en particulier. Ces patients ont été confrontés à des obstacles d’accès aux soins et de disponibilité des médicaments, notamment l’hydroxychloroquine (HCQ)ou les biothérapies en milieu hospitalier. De plus, dans une enquête auprès de 417 patients lupiques en Lombardie lors de la première vague pandémique, 10 % ont rapporté avoir réduit ou interrompu au moins un traitement immunosuppresseur de fond en raison de la crainte de contagion.1 Des retards d’hospitalisation, une hausse des admissions aux soins intensifs, ainsi qu’une maladie plus active à l’admission ont également été observés.2
La prise en charge du LES en ce contexte de pandémie représente donc un défi qui doit prendre en considération plusieurs aspects. Cependant, plusieurs questions restent sans réponses définitives. Nous en aborderons certaines, basées sur les données publiées au moment de la rédaction de cet article, en décembre 2020.
L’expérience sur le terrain, la connaissance des mécanismes pathogéniques du LES et les résultats d’études observationnelles confirment tous une susceptibilité accrue aux infections des patients qui en sont atteints, en particulier en cas d’activité élevée de la maladie, de corticothérapie à des doses ≥ 7,5 mg/jour d’équivalent prednisone, ainsi qu’en cas de traitement antérieur par rituximab ou cyclophosphamide.3
Plusieurs mécanismes ont été incriminés concernant le risque accru de Covid-19 dans le LES. L’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ECA2) est un récepteur fonctionnel cible de la glycoprotéine de spicule qui permet l’entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules. L’expression de l’ECA2 est régulée par des modifications épigénétiques, dont la méthylation de l’ADN. Dans le lupus, un défaut de méthylation pourrait entraîner une surexpression de l’ECA2 dans les cellules mononucléaires du sang périphérique, favorisant ainsi l’infection à SARS-CoV-2.4 En outre, un risque accru d’infection pourrait être expliqué par d’autres facteurs tels que la lymphopénie, l’activité dérégulée des cellules B et T et/ou du complément, en plus des défauts de barrières dans le contexte d’inflammation de la peau et des muqueuses, et finalement par l’utilisation de corticostéroïdes et d’immunosuppresseurs. Ces hypothèses semblent confirmées par les données observationnelles résumées dans une méta-analyse publiée en octobre dernier.5 Dans cette étude, la prévalence d’infection à SARS-CoV-2 a été estimée à 3,4 % chez les patients atteints de connectivite (LES, syndrome de Sjögren et sclérodermie systémique), légèrement supérieure à celle d’autres maladies autoimmunes.5 À son tour, le risque de Covid-19 chez les patients connus pour des maladies autoimmunes a été démontré significativement supérieur (OR: 2,19) à celui des groupes contrôles.
Le tableau clinique du Covid-19 chez les patients atteints de maladies inflammatoires autoimmunes n’est pas différent de celui de la population générale : fièvre (79 %), toux (77 %), dyspnée (50 %), myalgies (45 %) et maux de gorge (37 %) sont les manifestations cliniques les plus rapportées.6 Les symptômes moins fréquents sont représentés par les diarrhées (10 %), la conjonctivite (9 %), l’anosmie ou l’agueusie (5 %) ainsi que les douleurs rétrosternales (5 %).7
Globalement, la littérature ne semble pas suggérer une sévérité accrue du Covid-19 chez les patients avec des maladies systémiques rhumatismales, notamment en ce qui concerne le taux de mortalité chez les sujets hospitalisés, la durée du séjour et des symptômes,8 ou le taux d’admission en milieu de soins intensifs et de ventilation invasive. Toutefois, certains facteurs de risque d’infection plus sévère ont été identifiés : l’âge, certaines comorbidités (en particulier le diabète et l’hypertension), l’utilisation des stéroïdes et du rituximab.9,10
Comme l’ont souligné plusieurs études, le risque de maladie thromboembolique veineuse est augmenté chez les patients hospitalisés pour une infection à SARS-CoV-2, de l’ordre de 1 patient sur 5 ou 6 (22,6 % présentent une thrombose veineuse et 16,4 % une embolie pulmonaire dans l’étude de Sirdharan et coll.).11 Ce risque est d’autant plus élevé lors d’une présentation sévère avec le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), avec 25 % d’embolies pulmonaires mises en évidence lors d’une étude prospective multicentrique.12
Le mécanisme prothrombotique du virus est présumé d’origine multifactorielle, via son effet de coagulopathie et d’endothélite.13 En outre, un allongement du temps partiel de thromboplastine activée (aPTT), compatible avec la présence d’anticorps antiphospholipides, a été décrit dans un pourcentage élevé de patients avec un Covid-19, suggérant un rôle prépondérant de ces anticorps dans l’étiologie des thromboses observées.14 Il faut néanmoins relever que l’aPTT est influencé par plusieurs facteurs, dont l’administration d’héparine et une réponse inflammatoire systémique. De plus, malgré quelques études contradictoires, il semblerait que la positivité des anticorps antiphospholipides n’est pas associée à un excès de thrombose chez les patients avec un Covid-19.15,16 Dans les études principales sur le sujet,15,16 aucune différence du taux d’événements thrombotiques entre les patients avec ou sans anticorps antiphospholipides n’a été retrouvée. Une des possibles explications a été suggérée par Borghi et coll., qui ont montré qu’au contraire de ce qui est observé lors d’un syndrome des anticorps antiphospholipides primaire, les anticorps anti-bêta-2-glycoprotéine 1 (anti-B2GP1) retrouvés chez les patients atteints de Covid-19 ciblent des épitopes différents (fragment C-terminal D4-D5 de la B2GP1).15 Ces anticorps spécifiques (anti-B2GP1 versus D4-D5) sont connus pour ne pas être associés à des événements thrombotiques, ni à de fausses couches spontanées.
À l’heure actuelle, le risque thrombotique d’une infection à SARS-CoV-2 chez les patients lupiques avec des anticorps antiphospholipides n’a pas été systématiquement étudié. Dans l’attente, nous suivons les recommandations d’usage concernant l’anticoagulation prophylactique ou thérapeutique pour les patients infectés par le SARS-CoV-217 et ceux avec syndrome des anticorps antiphospholipides.18
L’HCQ est un médicament communément utilisé pour traiter le LES, en raison de sa capacité de contrôler l’inflammation et de réduire la probabilité de rechutes au long cours. Pendant la première vague de la pandémie, l’HCQ a fait l’objet d’un grand intérêt et plusieurs chercheurs ont proposé son usage comme traitement préventif et thérapeutique du Covid-19. Cet intérêt était issu des résultats de quelques études in vitro qui avaient décrit une inhibition de l’invasion et de la réplication virale par l’HCQ et la chloroquine. Cependant, les études in vivo ont infirmé cette hypothèse.19,20 De récents essais randomisés et contrôlés ont démontré que l’HCQ n’a aucun impact sur la survie des patients avec Covid-19 hospitalisés, ni sur le risque d’admission aux soins intensifs ni s’est avérée utile pour la prévention de l’infection chez les sujets sains.19-21 En ce qui concerne le lupus, les études ne montrent aucune différence de taux d’hospitalisation ni de la sévérité de la maladie22 ou de survie23 chez les patients traités ou non par l’HCQ. Enfin, l’utilisation de ce médicament à but prophylactique n’a pas non plus démontré de réduction de l’incidence d’infection à SARS-CoV-2 chez les patients avec maladies autoimmunes systémiques, y compris le LES.22
En conclusion, il n’existe aucune évidence en faveur de l’utilisation d’HCQ à but préventif ou pour réduire la sévérité de l’infection à SARS-CoV-2 chez les patients lupiques. Il n’est donc pas recommandé d’introduire ou modifier le dosage de ce traitement pour avoir un avantage potentiel sur le risque d’infection à SARS-CoV-2 ou pour mitiger son évolution.
Pendant la première vague, l’utilisation des corticostéroïdes pour les patients avec une infection à SARS-CoV-2 a été très controversée au vu du manque de données sur leur efficacité et surtout de la crainte d’effets pouvant, en théorie, favoriser une mauvaise évolution de l’infection. Par la suite, les résultats d’essais randomisés et contrôlés ont permis de démontrer que l’utilisation des corticostéroïdes, chez les patients Covid-19 hypoxémiques hospitalisés, permet d’améliorer la survie24 ou de réduire le risque de ventilation mécanique chez ceux avec un SDRA.25
Concernant les patients atteints de LES, les études disponibles semblent indiquer que la prise chronique de > 10 mg/jour de prednisone représente un facteur de risque d’hospitalisation.9 Cependant, les sociétés savantes recommandent de poursuivre ce traitement, tant chez les patients à risque que chez ceux avec une infection à SARS-CoV-2.26 L’utilisation de hautes doses de corticostéroïdes chez les patients à risque d’être infectés mais sans infection active doit être minutieusement évaluée. En cas de nécessité (atteinte rénale ou neurologique sévères), elle n’est pas contre-indiquée.
L’utilisation des traitements de fond conventionnels synthétiques (csDMARD) ou biologiques (bDMARD) chez les patients avec une maladie autoimmune systémique à risque ou avec une infection à SARS-CoV-2 a été l’objet de discussions ces derniers mois. Une des plus grandes études, conduite sur un échantillon de 600 patients Covid-19 positifs recrutés dans 40 pays, a mis en évidence que l’utilisation de csDMARD en monothérapie ou en combinaison avec les bDMARD n’augmentait pas le risque d’hospitalisation.9 Les experts partagent l’opinion que les cs ou bDMARD ne devraient pas être arrêtés chez les patients à risque de Covid-19, au vu de la probabilité élevée de rechutes de la maladie.26 En cas d’infection à SARS-CoV-2, le choix de poursuivre le traitement doit être évalué au cas par cas, avec une prise en charge multidisciplinaire dans les cas plus sévères, et devrait prendre en considération l’avis du patient, le risque lié à une réactivation du LES et la sévérité de l’infection.26 Concernant le rituximab, compte tenu de sa longue durée d’action et son association à un risque accru de Covid-19 sévère dans quelques études, il serait prudent – si possible – de différer son instauration ou d’allonger les intervalles d’administration chez les patients déjà traités.10
Nous avons brièvement résumé les concepts clés pour la prise en charge des patients lupiques au cours de cette pandémie, bien conscients que l’évolution rapide des connaissances sur le sujet pourrait modifier nos points de vue futurs et ouvrir de nouveaux scénarios. Le partage des informations disponibles avec les patients représente un important outil afin d’optimiser l’adhésion au traitement et d’atténuer les retentissements psychologiques de la gestion déjà compliquée de cette maladie chronique.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• Les patients lupiques semblent avoir une susceptibilité accrue d’infection à SARS-CoV-2 dont le pronostic n’est toutefois pas différent que celui de la population générale
• Il n’y a pas d’évidence que l’hydroxychloroquine réduise le taux d’infection ou la sévérité du Covid-19 chez les patients lupiques
• En cas d’infection à SARS-CoV-2, le choix de poursuivre les traitements de fond conventionnels synthétiques doit être évalué au cas par cas, avec une prise en charge multidisciplinaire dans les cas plus sévères, et devrait prendre en considération l’avis du patient, le risque lié à une réactivation du LES et la sévérité de l’infection à SARS-CoV-2
Cette synthèse de la littérature porte sur les aspects principaux de la prise en charge des patients atteints d’un lupus érythémateux systémique dans le contexte de la pandémie Covid-19. Nous abordons les risques d’infection par le SARS-CoV-2, la sévérité des symptômes comparée à la population générale, le rôle des anticorps antiphospholipides dans les complications thrombotiques et les stratégies de traitement.
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