La manifestation oculaire la plus fréquente du SARS-CoV-2 est une conjonctivite. Elle est retrouvée dans 1 à 3 % des cas et est généralement d’évolution bénigne. Dans le cas de conjonctivite mais aussi chez les patients asymptomatiques au niveau oculaire, le virus peut être retrouvé par PCR dans les larmes/le frottis conjonctival. Une transmission par la conjonctive reste toutefois incertaine. Par mesure de précaution, le port de lunettes de protection est recommandé. Les atteintes ophtalmologiques sévères de type thromboembolique peuvent être retrouvées dans le cadre de la coagulopathie liée au Covid-19. Dans ces cas, une prise en charge pluridisciplinaire est nécessaire. Des événements oculaires graves peuvent également être indirectement liés au Covid-19 chez les patients sous ventilation aux soins intensifs.
Le Covid-19 a très certainement bouleversé l’année 2020 avec probablement des conséquences sur les années prochaines. Ce virus couronné, en raison de sa forte contagiosité, aura réussi à s’immiscer dans les relations humaines, dans les contacts médecin-patient, et a imposé une adaptation des pratiques médicales. Depuis le début de l’année, plus de 50 000 articles scientifiques ont été publiés sur le sujet. Et malgré cette profusion d’articles, la compréhension du Covid-19 est très largement lacunaire. Les ophtalmologues étant particulièrement exposés, comme tous les médecins travaillant à proximité de la sphère ORL, cette maladie a fait l’objet d’une surveillance particulière. Quelques points méritent notre attention et seront discutés dans cet article.
Le SARS-CoV-2, responsable du Covid-19, est un virus de la famille des coronavirus. Il existe quatre coronavirus humains endémiques (HCoV-229E, -OC43, -NL63 et -HKU1) responsables de près de 15 à 30 % des infections communes des voies respiratoires.1 Cependant, les trois coronavirus responsables des épidémies récentes (le SARS-CoV-1 pour le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003, le MERS-CoV pour le syndrome respiratoire du Moyen-Orient dès 2012 et le SARS-CoV-2 pour l’épidémie actuelle de Covid-19) ne partagent pas les caractéristiques génétiques des coronavirus humains endémiques. Leurs origines seraient animales, plus précisément d’un virus endémique chez la chauve-souris avec lequel ils partagent 96 % de leur génome.2 Le transfert du pathogène zoonotique à l’être humain s’est fait par des hôtes intermédiaires. Alors que l’hôte intermédiaire a pu être identifié pour le MERS-CoV et le SARS-CoV-1 (le chameau pour l’un et la civette masquée pour l’autre), celui du SARS-CoV-2 reste incertain. Le pangolin a été suspecté comme hôte intermédiaire car le coronavirus l’infectant présente cinq acides aminés identiques au SARS-CoV-2 et responsables de l’interaction avec le récepteur 2 de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA2).3 La liaison à ce récepteur étant considérée comme la clé pour l’infection humaine.
La contamination par le SARS-CoV-2 se fait principalement par contact direct (gouttelettes ou aérosol) ou indirect (par le contact de surface infectée) avec les muqueuses des voies respiratoires. Devant l’observation de rougeurs oculaires chez des patients Covid-19, une contamination par la conjonctive a été évoquée. Une méta-analyse regroupant plus de 1000 patients décrit la présence d’une hyperémie conjonctivale chez 1,1 % de ceux présentant un Covid-19, le taux de conjonctivite étant plus important en cas de Covid-19 sévère (3% dans les Covid-19 sévères versus 0,7 % dans les modérés).4
Les conjonctivites en lien avec le Covid-19 associent les signes d’hyperémie conjonctivale, chémosis, augmentation des sécrétions et épiphora. Il n’y a pas de signe permettant de distinguer une conjonctivite à SARS-CoV-2 d’une autre étiologie virale.5
Suite à la description clinique de conjonctivites dans le Covid-19, des PCR (réactions en chaîne de la polymérase) ont été effectuées sur les larmes et des frottis conjonctivaux. Bien que des cas de PCR positives aient été démontrés autant chez des patients présentant une conjonctivite que chez d’autres n’ayant aucun symptôme oculaire, le rendement de cette investigation reste faible.6,7 Une méta-analyse regroupant les résultats de PCR effectuées sur les larmes ou le frottis conjonctival de 298 patients présentant un Covid-19 retrouve un taux de positivité de 1 %.8
La présence du virus dans la conjonctive ne suffit toutefois pas à prouver une contamination par cette membrane. En effet, des analyses immunohistochimiques faites sur des conjonctives saines et malades ne montrent pas d’expression de l’ECA2 ni de ces corécepteurs supposés être nécessaires à la pénétration cellulaire par le virus.9 Il est donc peu probable que le virus puisse pénétrer directement la conjonctive. La présence du virus dans les PCR pourrait être expliquée dans un contexte de virémie ou alors par la contamination directe d’une gouttelette. A contrario, une étude rétrospective démontre une proportion plus faible de porteurs de lunettes chez les patients hospitalisés pour Covid-19 par rapport à la population générale (5,8 versus 31,5 %) et argumente donc qu’une protection oculaire diminue le risque de contagion.10 La compréhension du virus étant pour l’instant encore incomplète, le principe de précaution prévaut actuellement et il est recommandé de porter des lunettes de protection lors d’un contact avec une personne contaminée.11
Dans le contexte de la pandémie, le nombre de consultations pour sécheresse oculaire s’est accru. L’étiologie de cette sécheresse oculaire semble multifactorielle. L’augmentation du temps d’écran en lien avec le télétravail et le confinement semble jouer un rôle important.12 Un masque mal porté peut créer un jet d’air dans la région oculaire et favoriser l’évaporation des larmes. L’infection par le SARS-CoV-2 a également été évoquée dans une étude rétrospective comme source de sécheresse oculaire même en l’absence de conjonctivite.13
Il faut être attentif aux complications oculaires des patients sous ventilation aux soins intensifs. Les kératites d’exposition et par extension les kératites infectieuses sont des atteintes sévères potentiellement cécitantes. Une sensibilisation du personnel des soins intensifs et la mise en place de protocoles de soins avec lubrification, fermeture des paupières et détection précoce des atteintes cornéennes permettent de prévenir ces complications.
La position ventrale, beaucoup utilisée dans la prise en charge des patients Covid-19, est associée à des risques supplémentaires. Des cas de neuropathies optiques ischémiques antérieures, de glaucomes aigus par fermeture de l’angle ou encore d’occlusions vasculaires ont été décrits.14
Plusieurs types d’atteintes oculaires vasculaires ont été décrits en association avec le Covid-19 : des occlusions de la veine centrale de la rétine (OVCR), une papillophlébite et une occlusion de l’artère centrale de la rétine.15-18 Ces atteintes entrent dans le cadre de la coagulopathie associée au Covid-19 (CAC). En effet, jusqu’à 30 % des patients hospitalisés aux soins intensifs présentent des complications thromboemboliques, multipliant ainsi leur risque de mortalité par 5,4.19 La pathophysiologie de la CAC repose sur plusieurs facteurs : premièrement, le SARS-CoV-2 infecte directement les cellules endothéliales vasculaires par l’intermédiaire de l’ECA2. Cette infection directe induit l’inflammation, l’apoptose et une diminution de l’activité antithrombotique endothéliale. De plus, dans les formes sévères du Covid-19, le SARS-CoV-2 induit un choc cytokinique et un syndrome d’activation macrophagique (MAS). Dans cet état d’hyperactivation des cellules immunitaires, de grandes quantités de cytokines pro-inflammatoires (TNF, interleukines 6 (IL-6), 1bêta (IL-1b)) sont sécrétées et une réaction inflammatoire systémique majeure est déclenchée.20 Ces cytokines pro-inflammatoires, en induisant entre autres des facteurs tissulaires, provoquent un état procoagulant. Le bilan biologique révèle classiquement une augmentation des D-dimères, du facteur VIII et du facteur von Willebrand (VWF).21 Contrairement à la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) (classiquement décrite dans les sepsis sévères), la CAC se distingue par l’absence de thrombocytopénie et par un temps de prothrombine normal.21 L’apparition d’un événement thromboembolique oculaire dans le cadre d’un Covid-19 doit faire suspecter à l’ophtalmologue la présence d’une CAC. Dans ce contexte, il est recommandé d’effectuer un bilan à la recherche d’hypercoagulabilité. Le peu de cas décrits dans la littérature ne permet pas d’établir des recommandations thérapeutiques. Une prise en charge interdisciplinaire et discutée au cas par cas semble être nécessaire.
Bien que le Covid-19 monopolise des milliers de chercheurs au niveau mondial, ce virus reste largement incompris. Une conjonctivite est retrouvée chez 1 à 3 % des patients infectés. Malgré le fait que la présence du virus dans la conjonctive ait été démontrée par PCR, une transmission par la conjonctive n’est pas encore prouvée. Pourtant, le port de lunettes de protection reste, par mesure de précaution, indiqué. Au niveau oculaire, le Covid-19 peut créer des événements thromboemboliques, bien que ces manifestations soient rares. Elles peuvent entrer dans le cadre de la coagulopathie associée au Covid-19 et nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire. Les effets à long terme de l’infection sont encore inconnus.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• Au vu de l’absence de récepteurs à l’enzyme de conversion de l’angiotensine au niveau conjonctival, une transmission du virus par la conjonctive est peu probable mais ne peut être exclue. Par précaution, le port de lunettes de protection reste recommandé
• En présence d’un événement thromboembolique, un bilan à la recherche d’hypercoagulabilité doit être effectué. Celui-ci comprend les dosages suivants : D-dimères, facteurs VIII et von Willebrand, thrombocytes, temps de prothrombine. Une prise en charge pluridisciplinaire doit être faite
La manifestation oculaire la plus fréquente du SARS-CoV-2 est une conjonctivite. Elle est retrouvée dans 1 à 3 % des cas et est généralement d’évolution bénigne. Dans le cas de conjonctivite mais aussi chez les patients asymptomatiques au niveau oculaire, le virus peut être retrouvé par PCR dans les larmes/le frottis conjonctival. Une transmission par la conjonctive reste toutefois incertaine. Par mesure de précaution, le port de lunettes de protection est recommandé. Les atteintes ophtalmologiques sévères de type thromboembolique peuvent être retrouvées dans le cadre de la coagulopathie liée au Covid-19. Dans ces cas, une prise en charge pluridisciplinaire est nécessaire. Des événements oculaires graves peuvent également être indirectement liés au Covid-19 chez les patients sous ventilation aux soins intensifs.
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