A l’heure où nous écrivons ces lignes, dans les premiers jours du mois de mai, une nouvelle alerte sanitaire vient d’être lancée en France ainsi que dans plusieurs pays européens. C’est une alerte en marge de l’épidémie de Covid-19 témoignant de l’inquiétude de plusieurs catégories des soignants sans que rien ne permette encore de conclure quant à un lien de causalité avec le SARS-CoV-2 ou, a fortiori de fournir une lecture à un décryptage physiopathologique. C’est la dernière et troublante interrogation en date face à une nouvelle infection virale qui en comporte déjà beaucoup.
Cette inquiétude tient à l’observation, d’une augmentation des cas d’une maladie rare affectant le muscle cardiaque chez des enfants ayant été en contact avec le SARS-CoV-2. Alors qu’on les tenait généralement comme naturellement protégés contre le Covid-19, la question soulevée est de savoir si certains sont ou non menacés par une entité pathologique proche de la maladie de Kawasaki (MK), du nom du pédiatre japonais qui l’a identifiée il y a plus d’un demi-siècle.1
La MK est une maladie fébrile de l’enfant caractérisée par une vasculite touchant les artères de taille moyenne, notamment les artères coronaires. Son étiologie est mal identifiée. C’est aussi la première cause de maladie cardiovasculaire acquise chez l’enfant et la deuxième vasculite la plus fréquente en pédiatrie après le purpura rhumatoïde. 80 % des patients atteints sont âgés de moins de 5 ans. Sa distribution est inhomogène, avec une prédilection pour les enfants d’origine japonaise (264,8/100 000 enfants de moins de 5 ans). En Europe, en Amérique du Nord et en Australie, l’incidence est évaluée à 4 25/100 000 enfants.
Fin avril, avant la France, la première alerte avait été lancée en Grande-Bretagne par Matt Hancock, ministre de la Santé. « C’est une nouvelle maladie qui, selon nous, peut être causée par le coronavirus, avait-il déclaré publiquement, sans nullement cacher son inquiétude. Nous ne sommes pas sûrs à 100 % parce que certaines des personnes qui l’ont contractée n’ont pas été testées positives au nouveau coronavirus. Nous faisons donc actuellement beaucoup de recherche. Mais c’est quelque chose qui nous préoccupe ».
Dans un premier temps, les autorités sanitaires britanniques se sont bornées à évoquer « un petit nombre de cas ». On apprenait peu après que le même phénomène avait été observé en France, notamment dans certains services parisiens de réanimation. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, se disait alors « préoccupé ». Une alerte fut d’abord adressée aux autorités sanitaires par les cinq services de réanimation pédiatrique d’Ile-de-France, le 27 avril. Puis les sociétés savantes, dont la Société française de pédiatrie, la Société francophone de rhumatologie et de médecine interne pédiatrique, le Groupe francophone de réanimation et urgences pédiatriques (GFRUP) adressèrent également peu après une alerte aux professionnels de santé. » Une vingtaine de cas, touchant des enfants âgés de 2 à 15 ans, avaient alors été recensés en France.
Les spécialistes du centre de référence des malformations cardiaques de l’hôpital Necker de Paris (M3C-Necker) expliquaient alors que depuis trois semaines un nombre croissant d’enfants de tous âges avaient été hospitalisés « dans un contexte d’inflammation multi-systémique associant fréquemment une défaillance circulatoire avec des éléments en faveur d’une myocardite ». « La présentation clinique peut parler pour une forme incomplète de la maladie de Kawasaki, ce d’autant que certains ont des dilatations coronaires » expliquaient-ils.
Aucun enfant heureusement n’est mort de ces complications
La vingtaine de cas identifiés dans les unités de cardiologie et de réanimation à Necker présentaient selon eux certaines particularités : présentation initiale respiratoire, hémodynamique, septique ou digestive ; phase initiale pouvant évoquer un orage cytokinique éventuellement avec des signes d’activation macrophagique ; collapsus est fréquent et dysfonction systolique du ventricule gauche variable mais parfois profonde ; élévation de la troponine modérée ; modifications de l’ECG ténues. Quant à la co-infection par le Covid-19, elle était selon eux documentée pour un certain nombre de cas.
« Cette alerte à caractère épidémique est à notre avis cruciale dans une période où l’activité programmée est susceptible de reprendre et à l’heure du dé-confinement, expliquaient encore ces spécialistes à l’attention de leurs confrères. Nous ne comprenons pas encore pourquoi le démarrage de cet afflux de jeunes patients est retardé par rapport à celui de la pandémie en Ile-de-France. Nous n’affirmons pas qu’il y a une causalité entre l’infection par le Covid-19 et ces tableaux cliniques. Nous sommes préoccupés du caractère épidémique des cas sur nos réanimations parisiennes de vingt-cinq au moins en trois semaines et de neuf sur Necker ces deux derniers jours. D’autre part, le contact pris avec nos collègues londoniens, espagnols et belges confirme ce problème émergent. »
Ces spécialistes qualifiaient « d’impor tance sanitaire majeure » le fait que tous les cas soient recensés, et ce même s’ils sont douteux « puisque le cadre nosologique est imprécis ». « Les modalités de ce recensement sont encore à définir mais il faut conserver toutes les informations qui semblent pertinentes, ajoutaient-ils. Il est également essentiel de donner toutes les chances de faire la preuve de l’infection. Le test par PCR pouvant être faussement négatif, nous recommandons la pratique du scanner thoracique, beaucoup plus sensible pour la détection des infections par le Covid-19. Il peut être aussi utile de rechercher le virus dans les selles et si possible de prélever une sérologie Covid-19. »
Ils ajoutaient enfin qu’un traitement par immunoglobulines intraveineuses après réalisation des examens à visée diagnostique semblait améliorer l’état clinique – état qui s’améliore le plus souvent assez vite même si un décès a été identifié à Londres et que plusieurs enfants ont requis des inotropes et/ou vasopresseurs à la phase initiale.
« Les enfants présentent des symptômes de fièvre, des symptômes digestifs et une inflammation vasculaire assez générale qui peut provoquer une défaillance cardiaque, a pour sa part expliqué le ministre français des Solidarités et de la Santé. A ma connaissance, aucun enfant heureusement n’est mort de ces complications. Je prends ça très, très, au sérieux, a-t-il souligné. Nous n’avons absolument pas d’explication médicale à ce stade. Est-ce qu’il s’agit d’une réaction inflammatoire qui vient déclencher une maladie préexistante chez des enfants atteints par ce virus ou une autre maladie infectieuse ? Il y a beaucoup de questions ».
Ces cas sont liés, et si oui de quelle manière, à l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2 ? « Tous ont été en contact avec le virus à un moment ou à un autre », a affirmé le Pr Sylvain Renolleau, chef du service de réanimation de l’hôpital Necker, lors d’une conférence de presse organisée par l’AP-HP jeudi 30 avril. Les tests sérologiques ont révélé la présence d’anticorps à la suite de l’infection au coronavirus SARS-CoV2. Ainsi, pour la plupart des spécialistes interrogés il existe bel et bien une corrélation entre cette infection virale et ce nouveau tableau clinique. Pour autant, est-ce la manifestation directe du caractère pathogène du virus ou, l’une des conséquences des perturbations qu’il induit au sein du système immunitaire du jeune organisme qu’il a infecté ?
En toute hypothèse, ce ne serait pas la première découverte d’une manifestation initialement inattendue de ce cette infection virale. On découvre en effet progressivement depuis trois mois qu’elle peut, outre l’appareil pulmonaire, toucher différents organes, comme le système nerveux central, le foie, le cœur, les yeux ou le système digestif.
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