La pandémie Covid-19 reste un grave problème de santé publique tant que l’on ne disposera pas de médicaments et/ou d’un vaccin efficaces. Peut-on expliquer pourquoi de si nombreuses personnes restent asymptomatiques mais néanmoins hautement contagieuses expliquant la rapidité avec laquelle la pandémie s’est répandue dans le monde ? Pourquoi le syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) apparaît-il tardivement mais peut rapidement avoir une issue fatale ? Dans le poumon, la clairance muco-ciliaire (CMC) et la clairance alvéolaire (CA) dépendent du transport de sodium à travers la membrane plasmique des cellules épithéliales. Ce transport est médié par un canal ionique hautement sélectif pour le sodium (Epithelial Sodium Channel = ENaC), qui pourrait être un élément clé de la physiopathologie pulmonaire de l’infection à SARS-CoV-2
Plusieurs membres de la famille des Coronavirus circulent dans la population et de façon générale ne causent que des maladies bénignes des voies respiratoires: rhume et trachéo-bronchite qui guérissent rapidement. Depuis 2002, de nouveaux coronavirus sont apparus et ont causé des maladies sévères en particulier des syndromes de détresse respiratoire aiguë (SDRA; ARDS des anglo-saxons) avec un taux de mortalité élevé (10 % et plus) tant pour le SARS-CoV-1 apparu en Chine en 2002 que pour le MERS apparu au Moyen-Orient en 2012. Heureusement, ces épidémies ont pu être contenues par des mesures de santé publique simples. Ce n’est hélas pas le cas avec la pandémie de SARS-CoV-2 qui cause une maladie systémique nouvelle et qui étonne par la variété de ses présentations cliniques: bénigne chez les jeunes, grave chez les personnes âgées avec ses facteurs de risque habituels: obésité, diabète, hypertension. Si l’on arrivait à comprendre la physiopathologie de la maladie, une partie du chemin vers un traitement rationnel serait tracée. C’est la perspective de cet article, qui examine en particulier le rôle du transport trans-épithélial de sodium au cours de l’infection, du développement du SDRA et finalement de la maladie systémique souvent fatale. Notre intérêt dans ce domaine vient du fait que le transport de sodium médié par le canal épithélial à sodium (ENaC) joue un rôle-clé non seulement dans le contrôle de la balance sodique par le rein mais aussi dans le contrôle de la fine couche de liquide (quelques microns) qui recouvre l’épithélium nasal, celui des bronches et des alvéoles pulmonaires. Or l’infection par inhalation dans les voies aériennes est la plus fréquente et la plus redoutée.
Les virus ont adopté de subtiles stratégies pour tromper et infecter leur hôte en utilisant la machinerie cellulaire normale de la cellule. Ceci est vrai pour l’infection (pénétration de l’épithélium), pour la réplication du matériel génétique et pour la production des protéines du virus. Grâce à une stratégie d’imitation moléculaire (molecular mimickry), le virus SARS-CoV-2 peut pénétrer dans la cellule de l’hôte en utilisant ACE2, un récepteur endogène, distinct de ACE1, cible classique d’une classe d’antihypertenseurs dont le prototype est le captopril. ACE2 est une enzyme exprimée dans de nombreux tissus et organes (tableau 1) et en particulier dans la membrane apicale des cellules épithéliales des voies aériennes, qui coexpriment une sérine protéase membranaire (TMPRSS2)1 (figure 1). TMPRSS2 est capable de scinder la protéine virale de l’enveloppe S (spike protein) dont le clivage est indispensable pour la pénétration du virus dans la cellule et pour la fusion du virus avec les membranes de la cellule de l’hôte. La coexpression d’ACE2 et TMPRSS21 représente donc les récepteurs de l’hôte essentiels pour la pénétration du virus dans la cellule. Or il semble qu’une particularité de SARS-CoV-2 soit l’acquisition d’une séquence de 8 acides aminés qui correspond à un site de clivage par une sérine protéase endogène,2 la furine, présente dans l’appareil de Golgi. Un récent article3 montre que cette séquence est identique à celle trouvée sur l’une des trois sous-unités (a, b et g) d’ENaC.4 Cet article de bio-informatique n’établit qu’une corrélation. Celle-ci est-elle fortuite ou représente-t-elle un avantage sélectif pour ce virus ? À première vue une telle identité de 8 acides aminés ne semble pas pouvoir être due au hasard. Une telle étude strictement in silico ne permet pas de trancher mais a le mérite de suggérer des hypothèses de travail qui peuvent maintenant être testées expérimentalement.
Mécanismes de l’œdème pulmonaire
Les questions qui se posent sont:
Dans cet article, nous discuterons de la porte d’entrée du virus, en nous focalisant sur le poumon. Puis nous discuterons de la clairance muco-ciliaire au cours de la première phase de l’infection (phase 1), puis de la clairance alvéolaire lors du développement du SDRA (phase 2). Finalement nous évoquerons brièvement le rôle potentiel d’ENaC dans le développement de la maladie systémique (phase 3) pour conclure par quelques spéculations sur les avantages sélectifs conférés par l’acquisition de cette séquence de huit acides aminés par le virus.
Une façon simple de répondre à la première question est d’identifier les portes d’entrée du virus, c’est-à-dire les cellules épithéliales qui coexpriment le récepteur viral ACE2, TMPRSS2 et ENaC et d’examiner l’effet de l’infection sur le transport de sodium dans ces cellules. Le tableau 1 résume les principales portes d’entrée et leur corrélation physiopathologique et clinique: œil (conjonctive), épithélium nasal (cilié) et olfactif, langue (kératinocyte), bourgeon gustatif, épithélium trachéo-bronchique, pneumocyte alvéolaire, et colonocyte. Le virus peut ainsi circuler (virémie souvent indétectable) et pénétrer l’endothélium5 des vaisseaux provoquant une atteinte systémique de nombreux organes (phase 3) tels le poumon, le rein, le cœur, les muscles, le cerveau.
Il est clair que la voie d’entrée par l’arbre trachéo-bronchique reste la plus fréquente et que la toux sèche est un signe fréquent de la présentation initiale de la maladie. Tout peut rentrer dans l’ordre en quelques jours, mais on observe parfois une aggravation brutale 6 à 7 jours après le premier symptôme: on constate alors une pneumonie virale aiguë bilaté rale avec au CT-scan des infiltrats périphériques dits en verre dépoli suggérant un œdème pulmonaire qui peut rapidement entraîner une baisse de la pO2 nécessitant apport d’oxygène et parfois ventilation assistée. Que se passe-t-il pendant ces deux phases de la maladie ?
La première phase est assez banale et l’on en comprend le mécanisme si l’on se rappelle quelques principes physiologiques régissant les fonctions de l’épithélium respiratoire.6 L’arbre trachéo-bronchique est équipé d’une magnifique machinerie permettant d’éliminer poussières, allergènes et pathogènes grâce à la clairance muco-ciliaire. Ce sont les cellules épithéliales ciliées qui, par leur mouvement synchronisé rapide vers la trachée, créent un véritable « tapis roulant » pour la couche mucus qui avance des bronches vers le pharynx à raison de 60 microns/seconde. Les plus grosses particules inhalées (bactéries, virus, poussières) seront éliminées en une vingtaine de minutes depuis l’extrémité des grosses bronches jusqu’au pharynx. Normalement ce tapis roulant ne cause aucune toux car les sécrétions sont simplement avalées sans que l’on en ait conscience. Gros avantage mais petit désavantage, des pathogènes avalés peuvent alors infecter le tractus gastro-intestinal… ce qui pourrait expliquer les diarrhées, un des symptômes précoces de la maladie.
Pour que ce « tapis roulant » fonctionne, il est absolument nécessaire de maintenir une couche de liquide avec une épaisseur fixe à la surface de l’épithélium. Il s’agit en fait de deux couches: le liquide périciliaire (LPC; quelques microns, la longueur du cil) qui est aqueux et très fluide pour permettre la mobilité ciliaire (figure 1). Le LPC est surmonté par une couche de liquide contenant de la mucine sécrétée par des cellules spécialisées (cellules caliciformes ou cellules à mucus). Qu’est-ce qui permet de contrôler la hauteur de ces deux couches liquidiennes à 1 micron près ? C’est le travail d’une autre cellule spécialisée, la cellule en forme de canne de golf (la club cell des Anglo-Saxons) autrefois appelée Clara cell. La cellule club ou cellule exocrine bronchiolaire est spécialisée dans la production d’une solution ressemblant au surfactant alvéolaire. De plus, elle est impliquée dans la sécrétion de fluide dépendant d’un canal chlore et dans l’absorption sélective de sodium par ENaC, entraînant la réabsorption d’eau vers le compartiment vasculaire. Depuis l’identification du gène du canal chlore en 1989, le CFTR,7 dont les mutations perte-de-fonction causent la mucoviscidose, et celle d’ENaC en 1994,4 on a réalisé l’importance de ces deux canaux dans la clairance muco-ciliaire. Ainsi l’absence de sécrétion causée par l’inactivation génique de CFTR s’accompagne d’une augmentation de la réabsorption (ENaC) entraînant une diminution dramatique de la clairance muco-ciliaire, avec surinfection et inflammation chroniques caractéristiques de la mucoviscidose. À l’inverse, la perte de fonction d’ENaC, observée dans le pseudo-hypoaldostéronisme de type 1 (PHA-1), provoque une augmentation de la clairance muco-cilaire8 aussi bien au niveau de l’arbre trachéo-bronchique que de la muqueuse nasale (« nez qui coule »). La CMC est donc contrôlée par un équilibre parfait entre sécrétion (CFTR) et réabsorption (ENaC). Les cellules club sont-elles infectées par le virus ? Si oui, la CMC pourrait être fortement affectée, dans le cas contraire on n’observerait qu’un effet modeste sur la CMC. Des études expérimentales récentes9 utilisant une méthode génétique novatrice ont clairement démontré la porte d’entrée du virus dans l’arbre respiratoire: les cellules épithéliales ciliées sont primairement infectées alors que les cellules club semblent être épargnées. On s’attend donc à un ralentissement de la CMC (figure 1) mais pas à un arrêt comme on l’observe dans la mucoviscidose. Il semble bien que la présence d’une toux sèche sans expectoration muqueuse s’explique bien par ce mécanisme physiopathologique. Ce qui semble important de retenir est le fait que la CMC étant peu affectée au début de l’infection, le malade peut rester asymptomatique et néanmoins contaminer un grand nombre de personnes. La transmission par des por teurs asymptomatiques semble bien distinguer cette pandémie des autres infections à SARS-CoV-1 ou MERS qui étaient contagieuses seulement à l’apparition des symptômes. Le ralentissement de la CMC va cependant peu à peu s’accentuer et ainsi favoriser l’infection des bronches distales, des bronchioles, pour finir par toucher les alvéoles et là, la situation devient rapidement problématique comme décrit ci-dessous.
La situation dans l’alvéole est très différente (figure 2). L’alvéole est tapissée par une cellule extrêmement mince, le pneumocyte de type 1 (Alveolar cell Type 1: AT-1), dont on connaît mal les capacités de transport. Environ 10 % de ces cellules alvéolaires sont constituées de pneumocytes de type 2 (AT-2) exprimant ENaC, responsables de la réabsorption du fluide alvéolaire qui est passé à travers les pneumocytes de type 1. De plus, les pneumocytes de type 2 sécrètent le surfactant, essentiel pour le déplissement des alvéoles. Les ARN messagers codant pour les 3 sous-unités d’ENaC (a, b et g) sont transcrits dans le noyau (figure 3A) pour être exportés dans le cytoplasme et être traduits en leur protéine respective dans le réticulum endoplasmique. Le trajet qui conduit ENaC à la membrane apicale de la cellule épithéliale comporte au moins deux clivages par deux sérine protéases distinctes (la furine et CAP-110) indispensables pour l’activation du canal.11 D’abord au niveau du Golgi, la furine clive la sous-unité a ce qui permet l’export du canal (inactif) à la membrane apicale où un deuxième clivage de la sous-unité g par CAP-1 permet l’activation complète du canal.12,13
Modèle de la clairance alvéolaire
L’histologie indique clairement que les pneumocytes de type 2 peuvent être infectés par SARS-CoV-214 et ainsi causer un œdème alvéolaire (figure 2). Trois facteurs synergiques peuvent expliquer la gravité de l’œdème pulmonaire en inactivant totalement ENaC (figure 3). D’abord, les cytokines produites par l’inflammation de l’endothélium capillaire peuvent déjà fortement diminuer l’activité d’ENaC à la membrane.15 Ensuite, la multiplication des copies du virus avec une protéine S exprimant la même séquence de clivage qu’ENaC par la furine va interférer dans le Golgi avec la maturation et l’export d’ENaC vers la membrane apicale (antagonisme compétitif). Et si cela n’était pas suffisant, la transcription des messagers de l’hôte (y compris ENaC) est bloquée par le virus pour son propre bénéfice. Donc durant la phase 2, contrairement à la phase asymptomatique où le virus épargne le transport de sodium, le virus compromet totalement la réabsorption de sodium dans les cellules alvéolaires conduisant à un SDRA souvent fatal.
Mécanismes de l’œdème pulmonaire
Si le SDRA peut rapidement être fatal, c’est que le virus pénétrant dans la circulation sanguine va infecter l’endothélium (endothélite aiguë) de pratiquement tous les vaisseaux et ainsi conduire à une dysfonction endothéliale majeure et une défaillance de nombreux organes. Or, il se trouve qu’ENaC est exprimé dans les cellules endothéliales où il joue un rôle important. Un article récent16 a démontré l’importance d’ENaC dans la fonction endothéliale en utilisant un modèle de souris transgénique conditionnelle qui permet d’inactiver la sous-unité a d’ENaC uniquement dans l’endothélium. Le phénotype est saisissant: la suppression du canal sodique endothélial (inactivation génique de aENaC endothélial) altère la vasodilatation de l’endothélium et l’intégrité de la barrière endothéliale lors d’endotoxémie in vivo. Les auteurs concluent que l’activité de l’ENaC endothéliale in vivo contribue à la vasodilatation endothéliale dans les conditions physiologiques et à la préservation de l’intégrité de la barrière endothéliale dans l’endotoxémie. Voilà qui pourrait bien correspondre à l’endothélite décrite ci-dessus. Comme dans la cellule alvéolaire, SARS-CoV-2 pourrait totalement supprimer l’activité endothéliale d’ENaC et ainsi contribuer à la sévérité de la maladie systémique. À noter que l’atteinte de l’intégrité de la barrière endothéliale dans l’alvéole permet le passage de liquide dans celle-ci. Ce liquide ne pourra pas être réabsorbé par les pneumocytes type 2, et un cercle vicieux est enclenché.
Ce virus a développé une stratégie diabolique: dans un premier temps (phase 1), il préserve l’intégrité des cellule club. Cela lui permet de se multiplier à bas bruit, sans symptôme et ainsi favoriser les porteurs du virus asymptomatiques mais déjà contagieux; dans un deuxième temps (phase 2), le virus infecte les pneumocytes de type 2 qui, physiologiquement, produisent non seulement le surfactant, mais réabsorbent aussi le liquide alvéolaire grâce à ENaC. L’activité d’ENaC est rapidement abolie par trois facteurs synergiques (figure 3). Finalement (phase 3), le virus compromet la fonction de pratiquement tous les organes en infectant les endothéliums des vaisseaux où ENaC joue aussi un rôle important, provoquant inflammation et libération de cytokines (« tempête de cytokines »).
Quel est l’avantage sélectif de l’acquisition d’un site de clivage par la furine qui, rappelons-le, est une enzyme du Golgi ? La question reste pour le moment sans réponse. Apparemment personne n’a pu démontrer que ce clivage avait lieu à la membrane apicale, ce qui impliquerait que la furine soit exprimée dans cette membrane. Certains pensent que la fonction du site furine dans le SARS-CoV-2 a été surinterprétée. Des souches de SARS-CoV-2 sans cette séquence ont été identifiées dans des échantillons de patients et des données obtenues en culture avec ce virus suggèrent que sa fonction est indispensable pour l’infection. Cependant, une étude sur le hamster montre qu’un SARS-CoV-2 sans site de furine peut toujours infecter l’animal mais provoque une maladie plus bénigne. Une explication pourrait être que les protéines virales passent du réticulum endoplasmique dans le Golgi pour être scindées par la furine, permettant la libération d’un grand nombre de particules virales déjà clivées et prêtes à infecter directement d’autres cellules sans nécessité de clivage par TMPRSS2. Une stratégie vraiment diabolique…
L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Je remercie vivement les Prs J.-P. Guignard, C. Bron, J.-P. Kraehenbuhl et B. Pelet d’avoir relu le manuscrit et pour leurs suggestions constructives. Ma profonde reconnaissance aux Prs Richard C. Boucher et Jack Stutts (UNC, Chapel Hill, USA) pour avoir partagé données et réflexions sur la physiopathologie pulmonaire secondaire au Covid-19. Finalement, mes remerciements à mon épouse Michelle Rossier pour sa relecture attentive de la version finale du texte et à Alain Meystre pour l’infographie.
La pandémie Covid-19 reste un grave problème de santé publique tant que l’on ne disposera pas de médicaments et/ou d’un vaccin efficaces. Peut-on expliquer pourquoi de si nombreuses personnes restent asymptomatiques mais néanmoins hautement contagieuses expliquant la rapidité avec laquelle la pandémie s’est répandue dans le monde ? Pourquoi le syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) apparaît-il tardivement mais peut rapidement avoir une issue fatale ? Dans le poumon, la clairance muco-ciliaire (CMC) et la clairance alvéolaire (CA) dépendent du transport de sodium à travers la membrane plasmique des cellules épithéliales. Ce transport est médié par un canal ionique hautement sélectif pour le sodium (Epithelial Sodium Channel = ENaC), qui pourrait être un élément clé de la physiopathologie pulmonaire de l’infection à SARS-CoV-2
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