Durant la crise Coronavirus Disease 2019 (COVID-19), la télémédecine a été au cœur des dispositifs de gestion de la crise sanitaire dans le canton de Genève en contribuant au tri et au suivi des patients suspects de COVID-19 et à une meilleure coordination du parcours des patients. Une collaboration inédite entre les différents acteurs du réseau de soins genevois et un recours sans précédent aux outils de télémédecine ont permis ainsi d’assurer une prise en charge des patients, notamment les plus vulnérables, tout en préservant les soignants de première ligne. La télémédecine a bénéficié d’un assouplissement temporaire des réglementations encadrant sa pratique, favorisant son déploiement durant cette crise. Cependant, celle-ci devrait faire partie intégrante de nos systèmes de soins.
Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie de pandémie la crise liée au coronavirus 2019 (Coronavirus Disease 2019 (COVID-19)).1 La Suisse, comme d’autres pays du monde, adopte la stratégie de distanciation sociale afin de briser la chaîne de transmission entre individus.2 Avec cette nouvelle pandémie, le personnel médical se trouve confronté à une situation sans précédent par son ampleur, avec plus de 16 millions de personnes infectées dans le monde et plus de 600 000 décès au 30 juillet 2020.3
Les hôpitaux et les cabinets médicaux deviennent des lieux de contamination potentielle et doivent s’organiser afin de limiter l’infection du personnel, absorber la vague d’hospitalisations de patients atteints du COVID-19 et continuer à prendre en charge ceux atteints de maladies chroniques. La télémédecine connaît un essor sans précédent, les professionnels de la santé en première ligne adoptent rapidement de nouvelles technologies permettant également de se prémunir du virus. Cet article expose l’ensemble des dispositifs de télémédecine mis en place aux HUG et dans le canton de Genève, qui ont contribué à la gestion de la crise du COVID-19.
Très tôt dans la gestion de la crise épidémique, la Direction générale de la santé (DGS) met en place une cellule médico-infirmière au sein du service du médecin cantonal (SMC) qui au pic de son activité compte 150 collaborateurs. Cette cellule a pour missions de surveiller l’évolution épidémiologique de la crise, de rapporter les résultats aux cas positifs au Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) du canton, d’annoncer et contrôler les mesures d’isolement (pour les cas index) et de quarantaine (pour les contacts), ainsi que de conduire les enquêtes d’entourage. Elle s’appuie sur des appels téléphoniques.
Afin de mener au mieux ces différentes missions, des centaines d’appels téléphoniques sont faits quotidiennement, permettant non seulement de renforcer les mesures d’isolement et de quarantaine, mais aussi d’évaluer les éventuels critères de gravité, de rassurer les patients, et de pallier leur isolement d’un minimum de 10 jours.
Au pic de la crise épidémique fin mars 2020, une équipe se crée aux HUG pour le suivi clinique des patients, et le dispositif Covicare HUG est né. Des algorithmes sont mis en place (disponibles en français, anglais et espagnol sur www.covicare24.com). L’équipe médico-soignante est composée d’étudiants en médecine, d’infirmiers et de médecins-chefs de clinique du service de médecine de premier recours et du service de médecine tropicale et humanitaire. Elle œuvre 7 jours sur 7 et assure le suivi des patients sur le plan clinique et psychosocial, tout en renforçant les messages d’isolement (pour les cas index) et de quarantaine (pour les contacts).
Pour cette mission, l’équipe Covicare s’appuie sur plusieurs modes de téléconsultation et de télésurveillance dans un processus résumé dans la figure 1. Dans un premier temps, les suivis se réalisent par téléphone, pour son accès large dans la population et son infrastructure technique nécessaire minimale. En cas d’identification d’une situation compliquée, somatique ou psychique, la téléconsultation bascule en vidéoconsultation sécurisée via HUG@home avec un médecin cadre. L’utilisation de la vidéo a plusieurs avantages : meilleure appréciation clinique, en particulier en cas de dyspnée,4,5 orientation médicale plus ciblée et pertinente. Elle permet également de faciliter la création d’une relation thérapeutique malgré la distance et le caractère ponctuel de l’appel, favorisant le contact visuel et l’expression de l’empathie, particulièrement importante dans les consultations de soutien psychologique.6 Les évaluations psychosociales ainsi que l’orientation adéquate dans le réseau permettent aux patients ainsi qu’à leurs familles de mieux vivre les périodes d’isolement et de quarantaine, de surmonter les moments d’angoisse liés à l’incertitude, la survenue de nouveaux symptômes et la solitude entre autres.
Cette activité a aussi pour but de désengorger les urgences et l’hôpital avec un premier tri et une prise en charge à distance. Ce modèle de préservation du système de santé a aussi été décrit dans différentes institutions, prévoyant ainsi une capacité de personnel médico-soignant à distance, s’ils étaient eux-mêmes amenés à être en quarantaine ou isolement, ou s’ils présentent eux-mêmes des maladies ou critères de vulnérabilité.7
Finalement, grâce au soutien de la Fondation privée des HUG, une application de Patient-Reported Outcomes, PRO-COVID, a été développée, permettant la télésurveillance des patients positifs au SARS-CoV-2 testés aux HUG. Ce type d’application permet la participation active des individus dans leur suivi médical, et est déjà utilisé par d’autres institutions dans le monde afin de suivre cliniquement des populations vulnérables, notamment des patients oncologiques.8 Après leur passage aux HUG, les patients sont invités par un flyer à s’inscrire sur une plateforme sécurisée, par laquelle ils reçoivent ensuite quotidiennement un questionnaire portant sur les symptômes potentiellement graves. En cas de réponse positive, une alerte est générée auprès de l’équipe des cadres de Covicare, qui rappellent ensuite le patient dans les 24 heures. L’équipe a également accès à toutes les réponses des patients pour évaluer leur évolution sur le dossier informatisé (DPI) des HUG. Cette télésurveillance est complétée par des appels téléphoniques tous les 4 jours pour le suivi psychologique et social. L’application PRO-COVID permet d’augmenter le nombre de patients suivis à ressources humaines constantes. Covicare a assuré plus de 200 consultations téléphoniques par jour au pic de la pandémie et plus de 5700 appels ayant concerné 1200 patients.
Rapidement, les médecins de ville sont encouragés par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et les associations de médecins à privilégier le recours à des outils de télémédecine dans leur cabinet. Pour les médecins de ville, la stratégie de tri et de suivi des patients repose également sur la consultation par téléphone ou par vidéo. Un algorithme basé sur les recommandations de l’OFSP est élaboré par l’Unité des internistes généralistes et pédiatres à Genève (UIGP) et l’Institut de médecine de premier recours (IMPR) avec des liens utiles pour les différentes étapes de prise en charge (annexe 1). L’accueil téléphonique est privilégié dans les cabinets, qu’il soit assuré par le médecin ou délégué à son assistante. Cette évaluation a pour objectifs :
Algorithme de prise en charge par les médecins internistes généralistes/pédiatres de Genève
(Adaptée de réf. 16)
Afin de mener au mieux cette mission, l’outil de vidéoconsultation docteur@home, développé par l’équipe du service de cybersanté et télémédecine des HUG, est mis à disposition des médecins, permettant l’évaluation à distance et le suivi des patients. Au-delà de l’importance d’un contact visuel pour le tri et l’évaluation d’éventuels critères de gravité, il rassure les patients et personnalise la prise en charge.
À tout moment, les médecins genevois peuvent solliciter une équipe mobile pour consultation à domicile, ou le 144 en présence de critères d’urgence. En cas de test positif et en l’absence de critères d’hospitalisation, le patient reçoit le résultat par téléphone ou par SMS. Les mesures d’auto-isolement sont transmises. Un certificat médical d’arrêt de travail est envoyé au patient et son retour au travail n’est envisagé qu’après 10 jours, dont 48 heures sans symptômes.
En l’absence de signes de suspicion pour le COVID-19, le médecin apprécie si une consultation médicale est nécessaire et doit privilégier une téléconsultation à une consultation au cabinet. La visite à domicile n’est envisageable qu’en dernier recours. Près de 2200 vidéoconsultations sont ainsi réalisées via docteur@home durant la période de pic épidémique, essentiellement pour le suivi des patients chroniques.
Aux HUG, les téléconsultations sont également privilégiées pour les consultations ne nécessitant pas d’examen physique ni prise de sang. Avec un total de près de 4000 vidéoconsultations via HUG@home (figure 2) et plus de 430 000 minutes de consultations téléphoniques facturées aux HUG au 26 mai 2020, on observe une hausse de plus de 60 % par rapport à l’ensemble de l’année 2019. Les départements ayant le plus plébiscité l’accès à HUG@home sont ceux présentant des patients fragiles : oncologie, femme et enfant, psychiatrie et médecine.
Évolution du nombre de vidéoconsultations via HUG@home aux HUG
Le recours à la télémédecine, encouragée par l’OMS, permet de relever plusieurs défis auxquels sont confrontés les systèmes de santé en réponse à la pandémie du COVID-19. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains et les autorités de santé publique de plusieurs pays d’Europe et de Chine ont assoupli les réglementations existantes pour faciliter le recours à des services de télémédecine et ont promu la télémédecine dans le cadre de la réponse à cette crise.9-11
Les outils de télémédecine peuvent ainsi améliorer considérablement le triage et la coordination du parcours de soins pour les patients positifs pour le COVID-19, en particulier dans les régions à faibles ressources. Ils permettent d’atténuer et prévenir le surpeuplement des services d’urgence et des cabinets tout en rassurant et en orientant les patients. Ils peuvent également apporter des services de soins spécialisés aux patients avec limitation d’accès aux soins, tant au niveau national qu’international. Des rapports indiquent par exemple que les taux de mortalité liés au COVID-19 dans les populations chinoises qui ont un faible accès aux ressources de santé ont dépassé ceux dans les régions de Chine où l’accès est plus élevé.12
Enfin, la télémédecine permet de réduire l’exposition des personnes (aussi bien les professionnels en première ligne que les patients vulnérables) à bien des maladies transmissibles.13 Toutefois, pour qu’elle soit efficace dans la gestion des situations d’urgences sanitaires, elle doit faire partie intégrante de notre service de santé et être mieux ancrée dans la pratique quotidienne des professionnels de la santé. De nombreux aspects juridiques, réglementaires et de remboursement subsistent, l’épidémie de COVID-19 devrait inciter les autorités à soutenir une adoption plus généralisée de la télémédecine.14,15
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Les auteurs remercient les Dres Johanna Sommer et Noëlle Junod-Perron ainsi que l’équipe de l’UIGP pour leur permission de diffuser l’algorithme de prise en charge des patients par les médecins internistes généralistes/pédiatres de Genève durant la crise COVID.
• Les outils de télémédecine permettent d’assurer le tri et renforcent la coordination du parcours des patients dans le réseau de soins. Ils facilitent l’accès aux soins des populations vulnérables ou dans les régions à faibles ressources sanitaires
• Ils ont un rôle majeur dans la gestion des épidémies en limitant l’exposition des professionnels de la santé en première ligne et la contamination des patients
• Même si la télémédecine a été promue à l’échelle mondiale par les autorités de santé durant cette crise, il est urgent qu’elle soit ancrée dans la pratique quotidienne des soignants et intégrée dans l’offre de soins de nos systèmes de santé
Durant la crise Coronavirus Disease 2019 (COVID-19), la télémédecine a été au cœur des dispositifs de gestion de la crise sanitaire dans le canton de Genève en contribuant au tri et au suivi des patients suspects de COVID-19 et à une meilleure coordination du parcours des patients. Une collaboration inédite entre les différents acteurs du réseau de soins genevois et un recours sans précédent aux outils de télémédecine ont permis ainsi d’assurer une prise en charge des patients, notamment les plus vulnérables, tout en préservant les soignants de première ligne. La télémédecine a bénéficié d’un assouplissement temporaire des réglementations encadrant sa pratique, favorisant son déploiement durant cette crise. Cependant, celle-ci devrait faire partie intégrante de nos systèmes de soins.
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