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ISO 690 Kiefer, B., Injonctions paradoxales, Rev Med Suisse, 2009/193 (Vol.5), p. 552–552. DOI: 10.53738/REVMED.2009.5.193.0552 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2009/revue-medicale-suisse-193/injonctions-paradoxales
MLA Kiefer, B. Injonctions paradoxales, Rev Med Suisse, Vol. 5, no. 193, 2009, pp. 552–552.
APA Kiefer, B. (2009), Injonctions paradoxales, Rev Med Suisse, 5, no. 193, 552–552. https://doi.org/10.53738/REVMED.2009.5.193.0552
NLM Kiefer, B.Injonctions paradoxales. Rev Med Suisse. 2009; 5 (193): 552–552.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2009.5.193.0552
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4 mars 2009

Injonctions paradoxales

DOI: 10.53738/REVMED.2009.5.193.0552

Il est étrange, le message de notre époque. Ou plutôt, terriblement contradictoire. A longueur de journée c’est un double discours qui s’entend dans les médias, qui habite la bouche de nos politiciens, qui sous-tend les débats de société. D’un côté, on nous dit que notre façon de vivre n’est pas tenable sur le long terme, qu’il nous faut radicalement changer de comportement, entrer dans une restriction volontaire. On nous explique que les options politiques et économiques doivent viser un respect de la planète et de ses ressources limitées. On nous affirme que la crise économique résulte d’un fonctionnement du marché qui n’est pas fondé sur un modèle durable. On nous assure que, c’est fini, nous ne pourrons plus rouler avec nos voitures comme nous l’entendons, voyager sans limites, gaspiller la matière, l’énergie, continuer dans notre fascination collective pour la chaleur et l’explosion (celle des moteurs thermiques en particulier).

Et de l’autre côté, dans la même « prière quotidienne » que représente la lecture des journaux (selon l’expression de Hegel), que nous demande-t-on de croire ? Que, pour sortir de la terrible crise qui ébranle l’économie mondiale, nous devons absolument consommer, gaspiller, acheter sans compter, même ce qui ne sert à rien. Qu’économiser, recycler, ne pas se jeter à la moindre incitation publicitaire sur le futile à la mode relève du comportement anti-citoyen. Tous les chefs de gouvernement, Obama compris, tiennent ce propos. La crise à laquelle elle a conduit a beau se montrer de plus en plus radicale, les plus experts des experts (genre Attali) ont beau dire que le pire est encore à venir, rien n’y fait : la grande vertu prêchée par le clergé politique reste l’hyperconsommation.

Ces exigences contradictoires adressées aux populations, cette schizophrénie de société qui se joue dans le moment présent, Jean-Claude Guillebaud, dans sa chronique du Nouvel Observateur de la semaine dernière, explique qu’elle relève de « l’injonction paradoxale » – traduction de l’expression « double bind » forgée par Gregory Bateson et les comportementalistes de l’école de Palo Alto. Comment définir l’injonction paradoxale ? Il s’agit de deux contraintes à la fois obligatoires et mutuellement exclusives, donc impossibles à satisfaire. Aucune solution ne peut s’en dégager, puisque toutes celles qui sont proposées – qu’elles visent le changement ou la continuation du modèle en cours – sont frappées du sceau de la contradiction. Il y a donc obligation de faire faux. Ce qui entraîne un trouble systémique. Pour Bateson, qui réfléchit à partir de la clinique, c’est l’injonction paradoxale au sein d’une famille où domine une communication pathologique qui finit par entraîner une schizophrénie chez le membre « victime émissaire », qui tente de faire vivre l’impossible cohésion des membres familiaux.

Le phénomène de l’injonction paradoxale ne touche pas que la famille ou la société dans sa relation à l’économie et au futur. Il s’insinue partout. En particulier, il se trouve au cœur de la crise actuelle de la médecine. Observez le discours médical dominant. Vous y verrez un superbe exemple de duplicité. D’un côté, s’impose un mouvement qui depuis, disons, les années 80, demande que les patients soient mieux reconnus, considérés selon une vision holistique et non comme de simples porteurs d’une maladie. Main dans la main avec ce mouvement progresse une éthique de l’autonomie, selon laquelle il n’existe pas de « mieux », ni de « normal », ni de « santé » qui vaille absolument, toute donnée biologique, physique ou psychique devant être interprétée à l’aune de la personne. Cette éthique impose de pratiquer des soins intégrés, où le bien-être compte autant que la santé, où les options de soins se négocient entre soignants et patients et où la prévention fait partie intégrante de ce que la médecine doit à chaque individu.

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Et puis, de l’autre côté, prenant aussi son origine dans le dernier quart du vingtième siècle, s’affirme avec force une tendance contraire : celle du management centralisé. On n’y parle pas de patients, mais d’« itinéraires cliniques », de « coûts-efficacité », de « disease management » ou encore de « total quality management ». Le conflit ne découle pas du rôle du management – distribuer au mieux des fonds et décider de choix globaux visant l’efficience– il vient de ce que le management se prétend seul à même de piloter le système de santé. Plus encore que contrarier la médecine basée sur la personne, il l’ignore. Considérez l’approche des assureurs : il n’y a, chez eux, que marché, assuré, fournisseur de prestation, sélection, contrôle et punition. Prenez un des chevaux de bataille de la gestion hospitalière, les DRG. Leur logique repose sur la maxime : « same prize for same product ». Leur centre, c’est le « produit-soin » qui est standardisé pour être vendu et acheté. Aux yeux des DRG, la personne et la médecine psychosociale restent invisibles. Prenez encore evidence-based medicine (EBM). Voilà un outil scientifique et clinique précieux, permettant de clarifier certains aspects de l’incertitude liée au savoir médical. Mais c’est un outil très partiel, ne pouvant s’exprimer que dans les rares domaines où de grandes études ont été menées, et dont les conclusions doivent toujours être individualisées. Or le management l’a sorti de son contexte scientifique pour l’utiliser à des fins de rationalisation et de rationnement. Désormais, de manière croissante, EBM sert de justification pour éviter de rembourser les champs de la médecine qui n’arrivent pas à entrer dans sa logique. Epistémologiquement, c’est un non-sens. Mais surtout, les médecins qui, avec leur science, l’ont élaborée, se sont fait prendre au piège. Leur outil est détourné. Son utilisation finit par aller contre leur liberté thérapeutique et l’intérêt de leurs patients. Seulement voilà : EBM a désormais force de norme.

Et c’est bien dans pareil affrontement d’obligations qu’il faut placer le problème actuel des tarifs de laboratoires. Le discours politique s’y montre contradictoire jusqu’à la caricature. Si, en effet, on écoute les demandes officielles, qu’entend-on simultanément ? D’un côté : « vous devez développer une approche complexe, seule capable de répondre aux besoins de la société ». De l’autre : « vous ne pouvez pas refuser de soumettre votre laboratoire à un tarif industriel ». Impossible de se montrer bon élève. Les médecins se trouvent coincés dans une contradiction de plus en plus pénible à supporter, d’autant que le monde politique fait semblant de ne pas la voir.

Comment ne pas se laisser emporter par la perversion d’un pareil système ? Comment continuer à travailler, et à trouver une motivation, lorsqu’on est acculé à une situation d’obligations impossibles à remplir, à laquelle s’ajoute une méta-obligation elle aussi hors d’atteinte, celle de dépasser l’absurdité (car c’est ainsi que le piège se referme) ?

Bateson disait qu’on ne sort de l’injonction paradoxale qu’en identifiant des repères stables, extérieurs à la contradiction. Il s’agit d’abord de communiquer, de parler de la double contrainte, de l’accompagner de mots, de l’inclure dans un langage. C’est ce que les médecins font, ces jours. Par leurs manifestations, ils vont dire à la société, au-delà de la question du laboratoire, qu’il y a une impossibilité à vivre la contradiction qui leur est imposée. Et qu’ils ne lâcheront pas l’éthique de la personne. C’est donc le cadre et les repères politiques qui doivent être renouvelés en profondeur.

Auteurs

Bertrand Kiefer

Médecine et Hygiène Chemin de la Gravière 16
1225 Chêne-Bourg
bertrand.kiefer@medhyg.ch

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