ISO 690 Benedetto, L., D., Sangsue, J., Cheseaux, J., Depallens, S., COVID-19: la fin du semi-confinement rime-t-elle avec le début des révélations de mauvais traitements envers les enfants ?, Rev Med Suisse, 2020/701 (Vol.16), p. 1459–1461. DOI: 10.53738/REVMED.2020.16.701.1459 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2020/revue-medicale-suisse-701/covid-19-la-fin-du-semi-confinement-rime-t-elle-avec-le-debut-des-revelations-de-mauvais-traitements-envers-les-enfants
MLA Benedetto, L., D., et al. COVID-19: la fin du semi-confinement rime-t-elle avec le début des révélations de mauvais traitements envers les enfants ?, Rev Med Suisse, Vol. 16, no. 701, 2020, pp. 1459–1461.
APA Benedetto, L., D., Sangsue, J., Cheseaux, J., Depallens, S. (2020), COVID-19: la fin du semi-confinement rime-t-elle avec le début des révélations de mauvais traitements envers les enfants ?, Rev Med Suisse, 16, no. 701, 1459–1461. https://doi.org/10.53738/REVMED.2020.16.701.1459
NLM Benedetto, L., D., et al.COVID-19: la fin du semi-confinement rime-t-elle avec le début des révélations de mauvais traitements envers les enfants ?. Rev Med Suisse. 2020; 16 (701): 1459–1461.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2020.16.701.1459
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COVID-19
5 août 2020

COVID-19: la fin du semi-confinement rime-t-elle avec le début des révélations de mauvais traitements envers les enfants ?

DOI: 10.53738/REVMED.2020.16.701.1459

During the semi-confinement period linked to the COVID-19 pandemic, the CHUV’s Child Abuse and Neglect Team observed a decrease in cases of child abuse. Has confinement made it easier for families to avoid violence or, on the contrary, to hide it? Within the framework of this second hypothesis, we propose that the relaxation of the measures be an opportunity for professionals to explore in families the possible occurrence of domestic abuse.

Résumé

Au CHUV, durant la période de semi-confinement liée à la pandémie Coronavirus Disease 2019, le Child Abuse and Neglect Team a observé une baisse des cas de maltraitance. Le confinement a-t-il permis aux familles d’avoir moins recours à la violence ou, au contraire, de la cacher ? Dans le cadre de cette seconde hypothèse, nous proposons que l’assouplissement des mesures soit une opportunité pour les professionnels d’explorer dans les familles la possible survenue de maltraitances intrafamiliales.

Introduction

Le 11 mai 2020 marque la deuxième étape de l’assouplissement des dispositions exceptionnelles entrées en vigueur en mars de la même année. Pour rappel, la propagation rapide du Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) a amené le Conseil fédéral à fermer les écoles et à appliquer des règles de semi-confinement à l’ensemble de la population suisse.

Dans le canton de Vaud, 120 000 élèves1 sont donc restés à domicile. Les écoliers et étudiants se sont adaptés rapidement à des mesures nécessaires pour l’intérêt public de notre pays. Celles-ci ont changé leur routine tant d’un point de vue scolaire qu’éducatif, social et sanitaire.

La dynamique familiale a également été modifiée par la présence quasi permanente de tous les membres de la famille sous le même toit, mais aussi par le climat de peur, de deuil ou encore, dans certaines situations, par l’impact finan cier du Coronavirus Disease (COVID) sur les familles.

Quelques donnees de recherche

Bien que peu nombreuses, les études liées à des pandémies ou à d’autres événements humanitaires majeurs démontrent des répercussions psychologiques et psychosociales considérables, à court et moyen termes.

Dans leur brève revue de littérature, Brooks et coll.2 mettent en exergue des conséquences psychologiques et comportementales; les plus fréquentes seraient la détresse émotionnelle, des symptômes de stress post-traumatique, l’anxiété, la confusion et la colère; les personnes adopteraient également des comportements d’évitement (par exemple, des lieux publics, des rassemblements). Ces manifestations seraient apparentes durant la quarantaine, engendrées par divers facteurs de stress (par exemple, frustration, ennui, pertes financières, manque d’informations et stigmatisation de certaines catégories de la population), et dureraient parfois plusieurs mois après le confinement.

Les bouleversements amenés par le confinement seraient aussi susceptibles d’augmenter les risques de violences intrafamiliales. Selon The Alliance,3 l’imposition des mesures de quarantaine, la suspension de revenus réguliers, d’activités éducatives et sociales peuvent créer des tensions au sein du foyer. Une revue systématique de 33 études a relevé quatre prédicteurs de la violence interpersonnelle à domicile dans un contexte de crise ou d’urgence humanitaire.4 Ces indicateurs sont:

  • La consommation d’alcool et de drogues.
  • Les troubles liés à la santé mentale et les stratégies d’adaptation des personnes.
  • La situation économique ou le revenu des personnes.
  • Et le réseau social limité.

Une augmentation des violences conjugales a par ailleurs été observée, particulièrement celles commises envers les femmes, après des désastres naturels.5-7 Elle serait attribuable entre autres:

  • À l’isolement social.
  • Aux conséquences économiques de la crise.
  • Et à la réduction du revenu.

Chez les enfants, la fermeture des établissements scolaires et/ou l’arrêt des activités extrafamiliales occasionneraient un risque accru de maltraitances subies en période d’urgence ou de crise humanitaire.8,9 Selon Fischer, Elliott et Bertrand,3 les enfants qui ne peuvent pas aller à l’école ou jouer avec leurs amis se mettraient plus facilement en colère envers leurs parents qui souffrent eux-mêmes d’un stress important. Ainsi, pendant l’épidémie d’Ebola en Sierra Leone, les enfants auraient reçu plus de coups pour avoir désobéi à leurs parents.3 L’analyse multicentrique de Berger et coll.10 montre, quant à elle, un risque d’augmentation des cas de syndrome du bébé secoué lors de récession économique. Les difficultés des parents sur les plans personnel, familial et social contribueraient à l’émergence de pratiques parentales coercitives par effet de débordement.11

Facteurs de risque a considerer

On sait peu de choses sur les mécanismes liant les catastrophes sanitaires et la violence intrafamiliale. Les résultats des recherches ne mènent pas à des conclusions homogènes. Selon certains auteurs, il n’y a pas de certitude que les catastrophes naturelles augmentent la fréquence et la gravité des violences envers les enfants.12,13 Rubenstein et Stark9 suggèrent que cette causalité est influencée par la présence de facteurs de risque.

Les facteurs de risque généralement associés à la maltraitance infantile peuvent concerner l’enfant lui-même (par exemple, troubles internalisés ou externalisés, problèmes médicaux, faibles compétences sociales), ses parents (par exemple, psychopathologie, consommation d’alcool ou de drogues, attentes parentales inappropriées, antécédents de maltraitance dans l’enfance), la famille (par exemple, violence conjugale, séparation) ou être en relation avec des aspects socio-économiques (par exemple, monoparentalité, précarité financière et chômage, faible soutien social).14-16

Dans les contextes sanitaires extrêmes, certains facteurs de risque pourraient être exacerbés, comme la précarité économique, les consommations de substance ou encore l’isolement social. Rubenstein et Stark9 notent que les animations communautaires (activités parascolaires et sportives, rassemblements religieux) et les réseaux sociaux et familiaux seraient affaiblis, que les conséquences économiques compromettraient parfois même la possibilité de répondre aux besoins de base de la famille (alimentation, logement) et que les conditions de vie difficiles généreraient du stress et de l’anxiété chez les parents. De même, Clément, Gagné et Hélie17 suggèrent que le stress, l’anxiété, les difficultés de concilier le travail et les obligations familiales, la détérioration des conditions de vie et l’isolement des familles augmenteraient la probabilité de violences envers les enfants.

Inquietudes et propositions du child abuse and neglect team

Durant les semaines de semi-confinement, le Child Abuse and Neglect Team (CAN Team) a constaté une baisse des annonces de cas de maltraitance suspectée et/ou avérée. La probabilité que la violence ait diminué en cette période où se sont cumulés de multiples facteurs de stress et de risque dans la plupart des familles est pourtant faible.

De ce fait, l’assouplissement des mesures et la reprise des consultations pourraient devenir une opportunité pour les professionnels d’explorer la dynamique familiale durant cette période. Nous partons du principe que les soignants ont un rôle important à jouer dans la détection de la maltraitance intrafamiliale.

Différents questionnaires standardisés18,19 existent et peuvent être employés comme outils pratiques; ils sont des guides d’entretien utiles au professionnel en contact avec des familles, des enfants ou des adolescents. Nous donnons ci-dessous quelques exemples de base de discussion et de questions:

À l’intention des enfants – adolescents

  • Comment se sont passés ces 2 mois chez toi durant le semi-confinement ? Comment se déroulaient tes journées ? Qu’est-ce qui t’a plu ? Qu’est-ce qui a été difficile ?
  • Des parents m’ont expliqué que la situation était stressante pendant le semi-confinement même s’ils avaient plus de temps. À ton avis, comment les tiens/beaux-parents/famille d’accueil ont vécu ces 2 mois ? Et comment se sont-ils comportés avec toi ?
  • D’autres jeunes m’ont expliqué que cette période était difficile et stressante pour eux, aussi parce qu’ils n’ont plus pu voir leurs amis, comment cela s’est passé pour toi ? Et pour tes frères et sœurs ? Comment se passait l’entente entre vous ?
  • Qui était le plus inquiet des conséquences du coronavirus dans ta famille ? Comment réagissait-il/elle ?
  • Pendant cette période de semi-confinement, est-ce qu’il y a eu des moments où tu as eu besoin de parler à quelqu’un d’autre que ta famille ? Est-ce que tu as pu le faire ou qu’est-ce qui t’en as empêché ? Qu’est-ce qui était important de lui dire ?
  • Des parents m’ont expliqué s’être sentis en difficulté par rapport à l’éducation de leurs enfants car ils avaient beaucoup de préoccupations (argent, travail). Comment se sont comportés les tiens envers toi ? Comment réagissais-tu ? Est-ce que tu as l’impression que tes parents/beaux-parents/famille d’accueil étaient plus irritables et qu’ils criaient plus facilement ou, au contraire, l’atmosphère était-elle plus détendue ?
  • Y a-t-il eu d’autres types de violences envers toi (insultes, violences physiques ou sexuelles) ? T’es-tu senti mal à l’aise par rapport aux comportements d’adultes vivant avec toi ?
  • Les médias ont relayé les inquiétudes des autorités concernant les violences conjugales. Que penses-tu de ces craintes ? Comment cela s’est passé entre tes parents/beaux-parents/famille d’accueil ? Qu’as-tu vu/entendu ? Comment te protégeais-tu ?

À l’intention des parents

  • Comment se sont passés ces 2 mois chez vous durant le semi-confinement ? Comment se déroulaient vos journées ? Qu’est-ce qui a été positif ? Qu’est-ce qui a été difficile ?
  • Avant le semi-confinement, votre enfant se rendait un week-end sur deux chez son/sa père/mère, comment vous êtes-vous organisés pendant cette période ?
  • Qui était le plus inquiet des conséquences du coronavirus dans votre famille ? Comment réagissait-il/elle ? Qu’en pensaient les autres membres de la famille ? Comment y avez-vous répondu ?
  • Il est connu que dans des périodes de crise comme celle que nous venons de vivre, certains parents peuvent être en difficulté par rapport à l’éducation car ils ont beaucoup de préoccupations légitimes (argent, travail). Certains disent avoir été moins patients avec leurs enfants et avoir crié plus facilement ? Qu’en est-il pour vous ? Comment vos enfants réagissaient-ils ?
  • Les médias ont relayé les inquiétudes des autorités concernant les violences conjugales. Dans une période de confinement, il est en effet démontré un risque d’augmentation des violences de couple; en avez-vous subi ? De quelle nature ? Les enfants étaient-ils présents ? Que pensez-vous qu’ils ressentaient ?

Au-delà des questions toutes faites, c’est surtout l’intérêt que montre le soignant pour le quotidien du jeune en interaction avec sa famille et ses pairs, quel que soit son âge, qui permet d’identifier des réactions interpellantes, voire dysfonctionnelles. En pédiatrie, il est en outre important de tenir compte que les patients mineurs peuvent avoir peur de représailles de la part de leurs parents et/ou être pris dans des conflits de loyauté.

Discussion — recommandations

À l’heure où le masque est supposé protéger les plus vulnérables, il ne faudrait pas qu’il profite aux auteurs pour cacher leur violence. Il est donc primordial d’enrichir la connaissance du contexte de vie des enfants et adolescents suivis dans les lieux de soins. Cet intérêt pour leur quotidien pourrait renforcer la confiance mutuelle entre le patient, la famille et le soignant. Cette confiance est indispensable pour percevoir des signes de maltraitances autres que ceux visibles sur le corps.

Conflit d’intérêts :

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements :

Les auteurs remercient M. Alexandre Racine pour sa relecture attentive.

Implications pratiques

Tout professionnel de la santé devrait:

▪ Profiter de chaque consultation d’un enfant/adolescent pour effectuer un examen complet qui s’avère plus que jamais nécessaire

▪ Explorer les ressources et vulnérabilités du patient et de sa famille

▪ Garder en tête le diagnostic différentiel de négligence ou de maltraitance face à des symptômes ou à des signes cliniques peu clairs

Auteurs

Laurence Di Benedetto

Child Abuse and Neglect Team (CAN Team), Département femme-mère-enfant (DFME), CHUV
1011 Lausanne
laurence.di-benedetto@chuv.ch

Janique Sangsue

Psychologues, Child Abuse and Neglect Team (CAN Team), Service de pédiatrie, Département femme-mère-enfant, Centre hospitalier universitaire vaudois
1011 Lausanne
janique.sangsue@chuv.ch

Jean-Jacques Cheseaux

Child Abuse and Neglect Team (CAN Team), Département femme-mère-enfant (DFME), CHUV
1011 Lausanne
jean-jacques.cheseaux@chuv.ch

Sarah Depallens

Service de pédiatrie, Département femme-mère-enfant, Centre hospitalier universitaire vaudois
1011 Lausanne
sarah.depallens@chuv.ch