Les patients obèses souffrantde troubles du comportement alimentaire ont des résistances à la perte de poids et à son maintien. Nous avons expérimenté une approche thérapeutique centrée sur la mise en évidence des mécanismes de défense de ces patients. Selon nos résultats, il y a une relation entre la diminution des troubles du comportement ali-mentaire, la prise de conscience des mécanismes d'évitement et la perte de poids.
La difficulté de perdre du poids pour nos patients obèses et, surtout, de maintenir le bénéfice de leur perte de poids, est en grande partie due aux troubles du comportement alimentaire associés.1,2 Proposer des régimes sévères et obtenir des résultats trop rapidement ne fait qu'aggraver les troubles du comportement alimentaire.
Depuis plusieurs années, nous avons traité les troubles des conduites alimentaires de nos patients obèses par une approche cognitivo-comportementale classique. En accord avec la littérature, nous faisions l'hypothèse que les troubles alimentaires étaient responsables de la prise de poids, des variations en yo-yo et surtout rendaient difficile une perte pondérale. Grâce à ces thérapies, nous avons obtenu des améliorations significatives du comportement alimentaire et de la symptomatologie anxieuse et dépressive qui leur était associée.3 Malheureusement, ces thérapies sont habituellement utilisées pour des patients boulimiques non obèses. Nos patients souffrant d'obésité ne perdaient que peu de poids, malgré une nette amélioration des troubles psychiques.
Pour dynamiser le patient à perdre du poids nous avons associé au programme de traitement classique, une approche nutritionnelle associée à une approche basée sur l'importance de la dépense énergétique par l'exercice physique.4,5 Nous avons observé une perte de poids modérée d'environ 3 kg/3 mois qui se maintenait à long terme chez la plupart de nos patients. Pour certains les combinaisons d'approche nutritionnelle et psychologique ne suffisent malheureusement pas. Nous élaborons des stratégies propres aux patients et nous constatons qu'ils ne les mettent pas en pratique.
Confrontés à ce constat, nous nous sommes fixés un objectif thérapeutique autre : faire pren-dre conscience au patient de ses mécanismes d'auto-sabotage, ceci dans le but de le sortir de sa passivité afin qu'il puisse utiliser efficacement les stratégies acquises.
Afin d'améliorer nos thérapies associées et de mobiliser la motivation du patient à perdre du poids, nous nous sommes inspirés des techniques de confrontation.
H. Davanloo6 a développé une méthode qui consiste à confronter le patient de manière active et systématique à son système de défense et aux résistances qu'il met en place.
Le travail thérapeutique est dirigé sur les mécanismes de défense, résistances qui asservissent le patient et le maintiennent dans l'incapacité d'avoir accès aux émotions et sentiments profonds.
H. Davanloo schématise ce processus thérapeutique par deux triangles : le triangle des conflits (fig. 1) et le triangle des personnes (fig. 2).
Lors de cette première phase (fig. 1), le thérapeute essaye de clarifier les mécanismes de défense du patient, ce qui augmente son anxiété. Les défenses ainsi mobilisées deviennent plus visibles pour lui. Lors de la seconde phase, le thérapeute canalise l'angoisse et l'agressivité du patient dans sa relation avec lui, c'est-à-dire dans le transfert. Ceci va permettre au patient de réactiver des émotions, des sentiments douloureux enfouis au fond de lui et de les partager avec le thérapeute (fig. 2).
A l'issue d'un traitement de groupe cog-nitivo-comportemental de douze se-maines, nous avons expérimenté une approche thérapeutique centrée uniquement sur la mise en évidence et la clarification des mécanismes de défense de patientes résistantes à la perte de poids malgré une appro-che conventionnelle. Ce travail avait comme objectif de rendre la patiente plus consciente de son fonctionnement d'auto-sabotage.
Habituellement, les patients mettent en place des mécanismes d'évitement pour ne pas ressentir d'angoisse. Le fait de pointer ces mécanismes de défense augmente l'anxiété et mobilise les résistances qui deviennent alors plus conscientes.
Savoir quand cette angoisse a commencé, qu'est-ce qui l'a déclenchée, comment elle est ressentie physiquement, va augmenter la capacité du patient à identifier les signes de l'angoisse. La plupart du temps, ces patientes s'anesthésient en mangeant pour ne pas ressentir l'angoisse.
Bruch7 soulignait que les patientes obèses sont dans l'incapacité de distinguer les sensations de faim (comme stimulation à se nourrir) avec d'autres signes d'angoisse venant de graves conflits qui ne pouvaient avoir aucun accès à la conscience. Comme si ces tensions émotives pouvaient prendre l'apparence de fausses sensations de faim.
Par ce travail précis sur les signes de l'angoisse, la patiente prend conscience que ses résistances se mettent en place pour éviter de ressentir une proximité émotionnelle avec le thérapeute.
La patiente prend conscience que l'angoisse est liée à une réaction d'agressivité et, pour éviter de la ressentir, elle se met dans une position passive et soumise qui renforce le fait qu'elle se sabote.
Le fait d'expérimenter, dans le contexte d'un groupe, que l'agressivité ressentie envers le thérapeute se retourne immédiatement contre elle, peut l'aider à prendre conscience des mécanismes d'auto-sabotage.
Nous avons étudié un groupe de cinq patientes qui a suivi, au préalable pendant trois mois, une thérapie cognitivo-comportementale classique avec une approche nutritionnelle associée. Elles ont reçu une approche centrée sur les mécanismes de défense pendant six séances supplémentaires.
La mise en évidence des mécanismes de défense a permis une perte de poids supplémentaire. En effet, nos patientes avaient perdu 2 ± 0,5 kg pendant leur thérapie conventionnelle cognitivo-comportementale-nutritionnelle. Avec les six séances supplémentaires focalisées sur les mécanismes de défense, les patientes ont perdu 2,5 ± 0,6 kg supplémentaires (fig. 3). Nous avons mesuré les troubles du comportement alimentaire par l'EDI 2. La figure 4 indique les scores totaux obtenus par les patientes au questionnaire avant le traitement (93 ± 4), après la thérapie cognitivo-comportementale de groupe (85 ± 3) et enfin après le travail de groupe sur les mécanismes de défense (57 ± 3).
La sévérité des troubles du comportement après la thérapie cognitivo-comportementale est diminuée d'environ 8%, correspondant à nos travaux antérieurs. Le résultat après le traitement sur les mécanismes de défense indique une nette diminution supplémentaire d'environ 31%. Les troubles du comportement alimentaire diminuent en même temps que les patientes prennent conscience de leur résistance. Il semble donc qu'il y ait une relation directe entre la diminution des troubles du comportement alimentaire et la prise de conscience de leurs mécanismes d'évitement. Ce type d'approche mérite une étude à plus long terme chez un plus grand nombre de patients. Son indication est posée chez les patients obèses résistant à une approche cognitivo-comportementale-nutritionnelle conventionnelle.