Nous évoquons certains travaux publiés récemment qui établissent l'impact de traitements médicamenteux dans la thérapeutique cancérologique. Nous soulignons l'importance de plus en plus évidente de la chimio-radiothérapie simultanée. L'application de nouveaux médicaments a déjà un impact dans le traitement de la maladie métastatique et devrait bientôt modifier la survie de nombreux malades atteints de diverses formes de tumeurs solides.
Quand vient le moment de faire le choix des commentaires à présenter, l'auteur d'un article comme celui-ci se dit toujours qu'il va encore oublier un papier important, en général écrit par une connaissance qui lui en voudra pour toujours. Il est probable qu'une revue de l'année puisse être «exhaustive», basée sur les critères de «l'evidence-based medicine», donnant une appréciation objective des articles évalués. Mais est-ce que ce genre d'exercice est vraiment supérieur à une approche biaisée par la nécessité d'apporter des messages pratiquesau non-oncologue ? Ce collègue désire trouver dans ces pages une information qui lui soit utile, faisant confiance aux experts qu'il consultera quant à l'appréciation des subtiles différences entre les diverses anti-aromatases et des chimiothérapies les plus complexes. Et penser qu'en plus la rédaction du journal demande que l'on donne des «notes» aux articles cités, selon qu'ils doivent absolument ou pas absolument être lus. Quand on sait que cette revue représente déjà un choix ultra-limité des milliers d'articles parus, ce choix devient artificiel. C'est donc avec ces modulateurs habituels que nous invitons le lecteur à partager notre opinion positive ou sceptique par rapport à quelques-unes des contributions marquantes de 1999 en cancérologie.
Le développement constant de nouvelles molécules actives dans le traitement de l'un des cancers les plus fréquents pose un certain nom-bre de questions, dont la moindre n'est pas celle du rapport coût-bénéfice de certains produits. Avons-nous vraiment fait des progrès dans ce domaine ? Oui, certainement. Nous n'évoquerons pas ici en détail les données sur le trastuzumab (Herceptine ®). Cet anticorps est dirigé contre le domaine extracellulaire d'un récepteur appelé c-erbB-2, ou neu, ou HER2, (Human epithelial growth factor receptor 2). La surexpression (par altération ou transcription augmentée du gène) de ce récepteur est un facteur péjoratif du pronostic. L'anticorps actuellement commercialisé, l'Herceptine®, a une activité anti-tumorale propre, mais a surtout montré un effet important d'augmentation des réponses à la chimiothérapie, avec un avantage en termes de survie. L'application de ce produit en combinaison avec la chimiothérapie demande des précautions, car elle peut aussi en augmenter la toxicité cardiaque. Etant donné que ce produit semble (logiquement) être surtout actif si la tumeur de la patiente surexprime le récepteur, son emploi est actuellement limité aux 20-30% des patientes dont l'évaluation de la tumeur par le pathologue confirme cette surexpression. D'après l'Office intercantonal de contrôle des médicaments l'Herceptine® est indiqué dans le traitement du cancer du sein métastatique avec surexpression tumorale de HER2 :
a) en monothérapie chez des patientes ayant préalablement reçu une ou plusieurs chimiothérapies pour leur maladie métastatique ;
b) en association avec le paclitaxel chez des patientes qui n'ont pas encore reçu de chimiothérapie pour leur maladie métastatique. Le spécialiste devra bien évidemment, dans l'intérêt des malades, tenir compte des données de Slamon sur l'effet synergique avec le docétaxel et les dérivés du platine. La surexpression du récepteur aurait aussi des implications importantes quant au choix de la chimiothérapie, et même de l'hormonothérapie. Le rôle de ce produit en thérapie adjuvante (pour éviter l'apparition de métastases cliniquement significatives) est actuellement testé et d'autres produits semblables sont développés. L'Herceptine®jouera un rôle important dans le traitement des tumeurs du sein, avec des indications précises limitées par sa spécificité d'action et son coût.
L'hormonothérapie du cancer du sein joue un rôle important, tant par l'efficacité que par la bonne tolérance des produits utilisés. L'apport des deux inhibiteurs de l'aromatase de troisième génération est discuté de façon critique dans une revue qui souligne certaines difficultés d'interprétation des études. La conclusion des auteurs est que le tamoxifène reste le produit de première ligne, d'autant qu'il peut s'utiliser aussi chez la femme préménopausique, ce qui n'est pas le cas des inhibiteurs de l'aromatase. Les auteurs soulignent que le létrozole et l'anastrozole sont supérieurs à de multiples égards aux autres thérapies hormonales de deuxième ligne. Dans l'attente des résultats des études qui comparent ces deux agents, le clinicien décidera, sur la base de sa propre interprétation des travaux publiés.1De surcroît, le clinicien voit arriver le troisième larron de la bande, l'exemestane, qui est un inhibiteur irréversible de l'aromatase. Ce produit est-il encore meilleur ? Rien ne permet de le penser, mais indiquons qu'il reste actif dans quel-ques cas qui rechutent après emploi des autres inhibiteurs de l'aromatase. Le praticien a donc le choix entre trois produits, qui sont tous incorporés dans des études visant à déterminer leur importance dans le traitement adjuvant du cancer du sein.
L'emploi du tamoxifène à très large échelle a permis de mettre en évidence le risque de développement de cancers de l'endomètre sous l'ef-fet de ce médicament. Ce risque, même modeste, et la mortalité liée au cancer de l'endomètre chez ces patientes (moins de 15% des patientes chez lesquelles un cancer de l'endomètre est diagnostiqué), ont conduit de nombreux spécialistes à recommander une surveillance de l'épaisseur de l'endomètre par ultrasonographie transvaginale chez la femme post-ménopausique. Mais quelle est la valeur limite où l'épaisissement de l'endomètre devient pathologique ? En admettant une épaisseur limite de 6 mm, 41% des patientes sous tamoxifène sont «anorma-les», et si celles-ci sont soumises à une hystéro-scopie, dans 46% le résultat pathologique indi-que en fait un endomètre atrophique. Tous les autres cas de l'étude commentée par l'éditorial que nous citons révélèrent des résultats bénins. Il est donc actuellement difficile de proposer une surveillance systématique par ultrasonographie transvaginale chez ces patientes. Le meil-leur choix, en l'état actuel de nos connaissan-ces, est de recommander aux patientes de demander immédiatement un avis médical en cas de saignement vaginal ou modification des sécrétions vaginales. L'examen gynécologique simple, annuel, de toutes les patientes ayant eu un cancer du sein reste recommandé selon l'auteur, vu l'association des cancers du sein avec d'au-tres affections tumorales gynécologiques (surtout le cancer de l'ovaire). Cet examen a-t-il un effet sur la survie des patientes ? On peut en douter, car les tests jusqu'ici proposés pour une détection précoce des cancers de l'ovaire n'ont pas fait la preuve de leur utilité.2
Mais alors, dira le lecteur bien informé, ne faudrait-il pas passer à l'emploi du raloxifène, un modulateur sélectif du récepteur aux strogè-nes (SERM) qui aurait nettement moins d'effets sur l'utérus ? Une évaluation des données disponibles quant aux deux agents dans le domaine arrive à la conclusion qu'il n'y a pas assez de données pour abandonner le tamoxifène. En particulier nous ne disposons pas de données sur l'effet du raloxifène chez la femme préménopausique. L'incertitude sur le rôle à long terme du tamoxifène dans la prévention du cancer du sein se réflète par la poursuite des études européennes, alors que les Américains avaient interrompu de façon prématurée l'étude NSABP P-1, ayant noté une diminution significative (1,3% en chiffres absolus ; 26% en termes de ris-que relatif) des risques de cancer du sein chez les patientes recevant du tamoxifène. La critique de l'étude italienne est que 48% des patientes avaient eu une oophorectomie (mais la majorité des femmes de l'étude américaine étaient post-ménopausiques). Une autre différence est que l'étude anglaise avait une majorité de patientes âgées de moins de 50 ans, avec un grand risque relatif de cancer. Enfin, le risque prédit de cancer chez les personnes participant aux études européennes était modeste. Il est donc possible que le nombre «d'événements» observés soit insuffisant pour conclure et que l'absence de différence soit due à une étude trop restreinte. L'étude italienne a montré un avantage du tamoxifène dans le sous-groupe de femmes utilisant des thérapies de remplacement hormonal pour leur ménopause, alors que l'étude anglaise n'en voit pas (mais le nombre de «sujets à risque» est trop faible). La conclusion est que, chez une femme avec un risque de cancer du sein invasif prédit selon le modèle de Gail dépassant 1,66% à cinq ans, le tamoxifène doit être considéré comme un traitement permettant de diminuer ce risque, sans preuve d'un effet sur la survie. Cette conclusion, dans une analyse qui relève honnêtement les problèmes des diverses études, est valable pour un certain profil de ris-que, peut-être pas pour les femmes avec une importante histoire familiale. D'autres avantages potentiels d'un traitement au tamoxifène incluent une faible diminution du risque de fractures, mais le tout au prix d'événements cardiovasculaires et de type ménopausique. Le choix sera celui de la femme à laquelle on propose ce traitement préventif. Bien informée, sachant qu'il n'y a pas encore de preuve d'un effet global sur la survie, elle devra décider si la diminution d'un risque justifie les autres problèmes potentiels. Par rapport à la diminution du risque de fractures sur ostéoporose, notons que les bisphosphonates ont un rôle à jouer et que le raloxifène est approuvé pour cette indication dans de nombreux pays. Or le raloxifène semble aussi avoir un effet de diminution des cancers du sein, même si cette donnée n'a pas un fondement scientifique strict. Le moindre risque d'effets sur l'endomètre n'est pas non plus bien étayé d'après les experts de l'ASCO. En conclusion, le tamoxifène resterait le produit de choix pour le traitement adjuvant du cancer du sein.3
S'il semble difficile actuellement de déterminer une diminution de la mortalité due au cancer du sein grâce à l'emploi des «SERM», qu'en est-il de la détection précoce par mammographie ? Certains estiment que les efforts déployés sont coûteux et doutent de l'impact sur la survie. Une étude norvégienne4 conclut que dans le contexte de ce pays, une campagne permanente de détection précoce par mammographie a un rapport coût-efficacité suffisant pour en recommander la généralisation. Une étude anglaise montre que par rapport à la détection par auto-palpation (sans effet sur la mortalité), l'emploi de la mammographie diminue la mortalité due au cancer du sein de 27% dans un suivi de seize ans.5 Ces deux travaux s'ajoutent donc à l'édifice qui justifie l'acceptation par les caisses-maladie du remboursement (hélas dans la franchise) des frais relatifs à une mammographie de dépistage. Nous nous avançons hardiment en pensant qu'elles ont dû conclure à une neutralité des coûts à long terme et même à un bénéfice, ce qui aurait dû conduire à une attitude plus libérale et à l'encouragement de l'examen par la prise en charge hors franchise.
Face à l'intervention chirurgicale, la patiente demandera peut-être une intervention sans dissection axillaire. En effet, de plus en plus de cen-tres pratiquent une technique qui permet d'identifier le «ganglion sentinelle», et celui-ci se révélant négatif, rares sont les cas où l'on trouve des métastases ganglionnaires dans les ganglions disséqués de façon classique.6Ces cas qualifiés de faux-négatifs sont pourtant de 6,7% dans une série où les pathologues ont appliqué des techniques sophistiquées pour détecter un ganglion positif. Cela veut dire que pour une minorité de patientes le traitement postopératoire risque d'être inadéquat, à moins que le centre n'applique de toute façon à ces patientes un traitement systémique. Le discours est complexe, et pour résoudre la question, le groupe de recherche européen EORTC a proposé un protocole qui permettra de mieux comprendre les limites de cette technique. En attendant, les plus grandes précautions sont nécessaires avant de succomber à cette mode. Le chirurgien ne proposera pas cette technique en cas de tumeurs multicentriques, ni si les tumeurs dépassent 2,5 cm, et exigera un examen extemporané conduit avec le soin décrit par les groupes passés experts de cette technique. Le praticien se méfiera aussi des cas à ganglions sentinelles négatifs alors que la tumeur a plusieurs facteurs de mauvais pronostic, dont l'invasion vasculaire péritumorale (dans ce cas 74% des tumeurs ont un ganglion positif contre 34% en cas d'absence d'invasion vasculaire péritumorale).
Souvent, avec les méthodes modernes de mammographie, on aboutit à une intervention qui ne révèle que la tumeur in situ. Là encore, le tamoxifène semble jouer un rôle important dans le traitement postopératoire. Une étude incluant 1800 patientes opérées pour un carcinome in situ, puis irradiées, rapporte 13,4% de rechutes après cinq ans de suivi dans le bras contrôle par rapport à 8,2% dans le bras tamoxifène.7,8Ces résultats remarquables ne doivent pas faire oublier que la mastectomie a peut-être un résultat bien meilleur, approchant 0% de récidives, et est donc curative dans une situation où le risque de maladie généralisée est infime au départ. Mais est-ce que les rares rechutes locales ont un impact, même minime sur la survie, justifiant un traitement initial aussi agressif pour une maladie «bénigne», alors que l'on accepte un traitement conservateur lors de cancers invasifs ? Paradoxes de la médecine... D'autant qu'une autre étude a rapporté que le risque de rechute locale est très faible si les marges libres chirurgicales sont de 10 mm au moins. Vu que la plupart des tumeurs in situ sont positives pour les récepteurs hormonaux, un tel test n'est pas effectué en routine, mais devrait peut-être se faire en tout cas pour les comédocarcinomes, souvent «récepteurs négatifs».
Le traitement adjuvant des cancers du sein sera à nouveau abordé dans une année, car les travaux qui ont indiqué un impact modeste ou inexistant de la chimiothérapie à haute dose chez les patientes à très haut risque n'ont été présentés pour la plupart qu'aux congrès médicaux. De même, l'acceptation récente par les autorités américaines de l'épiadriamycine pour le traitement adjuvant du cancer du sein n'est pas une surprise pour les Européens et ne change pas les habitudes des cliniciens. Il en ira peut-être autrement si l'impact des taxoïdes dans le traitement adjuvant du cancer du sein se confirme. En effet, les Américains autorisent l'emploi du paclitaxel dans cette indication sur la base d'une première étude qui indique une différence statistiquement siginificative, mais modeste en chiffres absolus (1,3%). Cette différence est faible, l'impact financier important.
Si divers agents chimiothérapeutiques isolés ont été développés récemment pour le traitement du cancer du sein métastatique, l'appro-che même de cette quantité nosologique reste un sujet très débattu. Nous avons évoqué ci-dessus l'importance de l'hormonothérapie et voudrions encore souligner la difficulté qu'il y a à décider du meilleur traitement de chimiothérapie de première ou de deuxième ligne thérapeutique dans le cadre du cancer métastatique. Une étude finlandaise9souligne l'activité de l'épi-adriamycine administrée de façon hebdomadaire, par rapport à une association classique donnée toutes les trois semaines. On y constate un avantage en termes de toxicité pour l'utilisation de l'agent isolé, avec un impact modeste sur la durée de la réponse en faveur de l'association (12 mois de durée versus 10,5 mois, valeur statistique p = 0,07). On pourrait critiquer le fait que l'association utilisée ne comporte pas un dosage adéquat d'épiadriamycine, au vu d'autres études qui suggèrent qu'un dosage plus élevé devrait être utilisé. Cependant, le message de cette étude est important puisque dans la pratique courante, ce sont souvent des dosages plus modestes que ceux proposés dans les études qui sont tolérés par les patientes. Dans ces conditions, en cas de traitement purement palliatif, on reste en droit d'évaluer l'activité des agents isolés, plus faciles à manipuler, souvent moins toxiques que les associations et potentiellement plus favorables pour la qualité de vie des patientes. Dans une situation de maladie métastatique menaçant la vie de la malade, il est par contre évident que les associations thérapeuti-ques donnent des taux de réponse bien plus importants, et de ce fait une monochimiothérapie ne semble pas adéquate dans ces situations.
La publication simultanée de trois études indiquant l'impact d'une chimio-radiothérapie dans le traitement du cancer du col utérin a, nous l'espérons, enfin con-vaincu les centres de cancérologie de l'importance d'une telle approche thérapeutique.10,11,12 En fait, si nous reprenons un éditorial qui accompagne la publication de ces études, nous notons la présence de cinq travaux qui vont tous dans le même sens, à savoir une réduction du risque relatif de décès, chez les patientes traitées par l'association thérapeutique, de 0,5 à 0,72 par rapport au contrôle sous forme de radiothérapie seule. Ces conclusions semblent valables globalement pour les patientes avec un stade FIGO IB2 ou plus élevé. Le nombre de patientes avec des stades avancés III ou IVA était trop modeste pour permettre de conclure de façon défini-tive quant à un avantage dans ces catégories.13,14,15Bien heureusement, les cancers du col sont rares dans nos pays et de ce fait l'impact de ces études est surtout ressenti dans les pays en voie de développement. Il s'agit dans ces pays de faire des choix très importants sur le plan de la santé publique, puisqu'une association de chimio- et radiothérapie augmente certainement les coûts thérapeutiques, dans des pays où les diagnostics sont souvent tardifs en raison d'une insuffisance de la détection précoce et de l'enseignement adéquat à la population sur les si-gnes précurseurs des cancers en général.
Les résultats de l'étude comparant une association de paclitaxel et carboplatine à un traitement de carboplatine seul ou d'une association basée sur du cisplatine n'ont pas encore été publiés dans un journal à politique éditoriale : il est donc difficile de discuter ces données. Il est possible que l'ensemble des résultats sur l'impact des taxoïdes dans le carcinome de l'ovaire doivent être réévalués et que le rôle des anthracyclines, jusqu'ici négligé, soit en fait relativement important. Le groupe européen de recherche clinique en oncologie (EORTC) a lancé une vaste étude visant à résoudre cette question. D'autre part, les Britanniques, sous l'égide du groupe écossais16qui a récemment discuté de l'utilisation du docétaxel et du cisplatine, ont planifié une étude pour évaluer le rôle respectif des deux types de taxoïdes actuellement disponibles.
Il est parfaitement évident, et nul ne peut l'ignorer, que nos efforts devraient porter premièrement sur la prévention de cette maladie plutôt que sur la discussion des résultats thérapeutiques, dont l'impact reste encore modeste. Dans ce contexte, notons que le tabagisme «chic» ne permet pas de réduire le risque cardiovasculaire, le risque de maladie pulmonaire non tumorale ou tumorale, puisque les cigares sont aussi associés à une augmentation de ris-que.17,18 Une nouvelle publication vient nous rappeler l'importance potentielle de l'association d'une chimiothérapie et d'une radiothérapie préopératoires. Malheureusement cette étude est, comme plusieurs autres déjà présentées en ces lignes, insuffisante pour conclure de fa-çon définitive en faveur d'une telle approche thérapeutique. Une étude importante a été publiée par le groupe italien qui a évalué l'impact d'un traitement par vinorelbine chez les patients âgés atteints de carcinome pulmonaire inopérable ou métastatique, dont l'état général ne permettait pas non plus d'envisager une radiothérapie palliative. Cette étude confirme l'effet, modeste, d'une chimiothérapie par rapport à un traitement de soutien, et surtout démontre le fait qu'une chimiothérapie simple peut être appliquée chez des patients de plus de 70 ans sans complications majeures, avec même un impact sur la survie des malades, le risque relatif de dé-cès diminuant à 0,65.19 Cette monochimiothérapie ne contenait donc par définition pas de cisplatine ou de carboplatine, agents chimiothérapeutiques considérés par beaucoup comme essentiels dans le traitement de ce type de tumeurs. Un groupe grec a publié récemment les données d'une association de taxoïdes avec la gemcitabine ;20 cette étude est la base d'une étu-de randomisée ultérieure démontrant l'activité d'une association sans dérivé de platine, ouvrant de ce fait de nouvelles perspectives dans le traitement de ce type de tumeur. Même si la chimiothérapie peut, et doit, s'envisager comme traitement palliatif pour les patients avec un indice de performance adéquat, la radiothérapie reste un moyen thérapeutique de grande importance. La technique de radiothérapie utilisée a une grande importance par rapport aux résultats ultimes, comme récemment souligné dans un éditorial qui accompagne une étude qualifiée de négative par rapport au rôle de la radiothérapie complémentaire à une chimiothérapie dans l'abord des carcinomes pulmonaires localement avancés.21De même que dans les carcinomes du col, il semble qu'une chimio-radiothérapie combinée, conduite avec des techniques modernes, puisse avoir un impact sur la survie des malades. Une vaste étude nord-américaine devrait bientôt permettre de résoudre définitivement la question, soulignant l'importance de la collaboration entre les différentes spécialités dans le traitement du carcinome pulmonaire et des cancers en général.
Le carcinome pulmonaire à petites cellules est un autre domaine dans lequel l'association simultanée de chimio- et radiothérapie permet d'espérer des résultats importants dans la maladie limitée à un champ de radiothérapie. Une importante étude comprenant 417 patients a permis d'établir l'impact d'une radiothérapie intensive sur cette maladie, en combinaison avec une chimiothérapie.22 En outre, l'analyse d'un collectif de 987 patients permet de clore définitivement la discussion sur l'importance de la radiothérapie cérébrale prophylactique dans le traitement des carcinomes pulmonaires à peti-tes cellules «limités».23,24 Cette analyse montre une diminution du risque relatif de décès de 0,84 avec l'utilisation de la radiothérapie prophylactique. Dans le domaine de la chimiothérapie, on ne constate pas de grands progrès et on se bornera à signaler la publication de l'étude d'enregistrement du topotecan, agent démon-tré comme actif dans le traitement des patients en rechute après chimiothérapie première.25 Cette activité thérapeutique s'est traduite non seulement par une diminution des mesures objectives de la maladie, mais aussi par une amélioration de la symptomatologie des patients. Cependant, la difficulté du traitement des patients avec carcinome pulmonaire à petites cellules en rechute fait que de nombreux experts ne sont pas encore persuadés des indications à un traitement en deuxième ligne thérapeutique de cette affection. Un tel scepticisme ne devrait cependant pas nous empêcher de proposer raisonnablement un traitement à des patients dont l'état général est encore parfois excellent et qui, selon toutes les données à disposition, peuvent bénéficier d'une attitude moins passive.
Un groupe collaborateur a recherché les données permettant d'évaluer l'impact d'une combinaison de melphalan et prednisone dans le traitement du myélome multiple, chez 6633 malades randomisés dans vingt-sept études comparant cette thérapeutique à une chimiothérapie combinée plus complexe.26 Les taux de réponse de la chimiothérapie combinée ont été plus élevés, mais l'impact sur la survie des malades est relativement modeste. Dans ces conditions, il est donc possible de proposer l'utilisation d'un abord thérapeutique qui était parfois qualifié de suranné pour des patients ne rentrant pas dans le cadre d'essais thérapeutiques permettant d'évaluer l'impact d'une chimiothérapie intensive avec ou sans utilisation de cellules progénitrices de sauvetage. Notons à ce sujet, dans le cadre de lymphomes non hodgkiniens agressifs, la publication des résultats d'une conférence de consensus sur l'utilisation des chimiothérapies à hautes doses avec transplantation de cellules souches hématopoïétiques.27Le consensus, qui se présente sous la forme d'un tableau complexe, indique l'importance de l'évaluation correcte de la chimiothérapie de première ligne et conforte l'attitude généralement adoptée de réserver l'intensification aux situations de rechute chimiosensible. Cependant, il est possible que l'on puisse obtenir dans certaines situations des résultats à long terme plus importants par l'application précoce d'une chimiothérapie à hautes doses. Il serait important que tout patient ou toute patiente présentant un lymphome agressif voie son traitement discuté préalablement avec les centres maîtrisant les techniques de transplantation et participant aux études internationales.
Nous ne reviendrons pas sur l'importance de deux nouveaux agents thérapeutiques dans le traitement des cancers colorectaux, importance soulignée l'année passée. Signalons simplement que l'irinotecan et l'oxaliplatine sont étudiés en combinaison et qu'il est possible que l'association de ces médicaments puisse présenter quelque avantage pour certains malades.28 Les études randomisées permettant de résoudre cette question ne seront pas disponibles avant quelque temps et, en attendant, le clinicien continuera à utiliser des associations de l'un de ces deux produits avec du 5-fluorouracil. Ces associations ont actuellement un tel effet sur certaines tumeurs colorectales métastatiques que l'approche thérapeuti-que des métastases hépatiques jusqu'ici estimées inopérables est en train de se modifier, puisque dans de nombreuses situations l'inopérabilité n'existe plus après l'effet d'une chimiothérapie.29 Le groupe EORTC a décidé de s'attaquer à la question et une vaste étude randomisée a débuté pour évaluer l'impact des traitements préopératoires sur la survie des patients avec cancer colorectal potentiellement résécable.
En attendant, l'application de traitements adjuvants après résection de la tumeur primitive continuera avec des méthodes classiques, tant pour les patients avec des stades B2 que C.30,31,32
Si dans certains domaines la chirurgie devient de plus en plus modeste dans ses ambitions, dans les carcinomes de l'estomac, le débat sur des chirurgies extensives a fait rage il y a quelques années. La publication récente d'une étude hollandaise n'a pas clos le débat.33,34En effet, même si en première lecture il semble qu'une chirurgie extensive n'ait pas d'impact sur la survie des patients, de nombreuses questions restent ouvertes, entre autres par rapport au soutien péri- et postopératoire des malades et sur l'habilité des chirurgiens impliqués dans l'étude. Dans ces conditions, la conclusion de l'éditorialiste a été que les centres spécialisés devraient approcher avec prudence cette chirurgie extensive, qui comporte des risques pour les malades.
Il n'y a pas eu cette année de grand progrès dans le traitement de cette tumeur, même s'il existe des indications sur l'activité de certains agents cytotoxiques. Médecine et Hygiène a déjà publié plusieurs fois des travaux indiquant la difficulté que présente l'utilisation indiscriminée de la mesure du PSA dans le sérum et le lecteur est renvoyé à un excellent éditorial écrit par l'un des experts en la matière sur le plan épidémiologique.35 Cet éditorial accompagne plusieurs travaux publiés dans le journal de la Société européenne d'oncologie médicale, Annals of Oncology.Il n'est actuellement pas possible de recommander, en termes de santé publique, un screening par le PSA et la décision reste individuelle, après discussion entre le patient et son médecin traitant. Rappelons simplement qu'un test ne devrait pas être proposé à des patients dont l'espérance de vie est de moins de dix à quinze ans, puisqu'il est actuellement accepté que l'évolutivité des tumeurs de la prostate est telle qu'un impact global sur la survie ne peut être obtenu que dans une cohorte de sujets ayant un espoir de vivre au-delà de la limite indiquée.
L'utilisation des crèmes protectrices et au-tres onguents antisolaires ne diminue pas le risque de mélanome malin, contrairement à ce qui serait attendu des résultats de laboratoire. En effet, il semble que les personnes qui se protègent par ces méthodes augmentent leur exposition solaire, et une publication récente du groupe EORTC confirme ce fait. Un groupe de 87 volontaires âgés de 18 à 24 ans ont reçu avant leurs vacances d'été un produit avec facteur de protection SPF10 ou SPF30, et le résultat de l'étude montre une augmentation de la durée à l'exposition solaire chez les personnes protégées par le facteur SPF30. La conclusion des experts est que les personnes à risque devraient être averties du risque de la prolongation de l'exposition solaire, qui enlève tout bénéfice à l'utilisation des agents protecteurs.36
Les experts se souviendront des doutes qui ont assailli la communauté des chimiothérapeutes par rapport à l'utilisation des épipodophyllotoxines dans le traitement de nombreux cancers, y compris dans le traitement à but curatif des tumeurs testiculaires. En effet, des études tendaient à montrer une augmentation de leucémies secondaires chez les patients guéris de leur première tumeur par des traitements associant ces produits aux autres thérapeutiques. Une analyse récente tend à démontrer que ces agents à eux seuls ne peuvent pas être mis directement en cause dans l'augmentation des leucémies secondaires (risque cumulé à six ans allant de 0,7 à 3,3%). En effet, l'analyse permet de penser que de nombreux autres facteurs doivent être pris en compte, et comme souvent, l'explication simpliste avancée dans le passé ne peut être retenue.37 Plusieurs études tendent actuellement à montrer que les bisphosphonates diminuent la morbidité du cancer du sein et nous citerons là les travaux les plus récents.38 Trois cent vingt-sept patientes ont été randomisées pour recevoir 90 mg de pamidronate ou de placebo toutes les quatre semaines. Après deux ans de traitement, 67% des patientes du groupe placebo avaient eu une complication squelettique à mettre en relation avec leur cancer du sein, contre 56% des patientes recevant du pamidronate. L'utilisation des bisphosphonates comme traitement complémentaire chez des patientes avec un cancer du sein métastatique à l'os, dont la maladie semble permettre une survie à long terme, doit être discutée avec les patientes.
L'attitude classique dans la communauté médicale est d'hospitaliser les patients qui présentent une neutropénie afébrile. Le traitement est alors en général intraveineux, alors que l'on peut se poser la question de l'utilité d'un traitement oral. Les éditorialistes, dans leur sagesse, proposent que malgré les résultats de deux études montrant un effet favorable d'une association de ciprofloxacine et amoxicilline-clavulanate par rapport à un traitement intraveineux, il serait encore trop tôt de penser à conduire le traitement oral en dehors de la surveillance intra-hospitalière. Il existe pourtant de nombreuses données dans la littérature permettant de penser que des patients en bon état général, sans symptômes majeurs en relation avec leur état fébrile, ne vivant pas seuls à domicile, pourraient parfaitement être traités de façon ambulatoire avec la même association, diminuant de ce fait considérablement les coûts de la médecine. Une telle suggestion ne s'appli-que pas à des patients atteints de maladies lympho-hématopoïétiques, où la durée de la neutropénie peut être prolongée.39,40,41
Signalons une revue de la littérature qui met en évidence la fréquence des réactions dépressives chez les patientes avec cancer du sein et revoit les différentes thérapeutiques applicables pour soutenir ces patientes dont le diagnostic n'est malheureusement souvent pas fait de fa-çon adéquate. Le praticien a actuellement à sa disposition de nombreux médicaments antidépresseurs avec peu d'effets secondaires et l'utilisation des critères DSM-IV, qui n'est pas excessivement complexe, doit permettre de confirmer une suspicion de dépression et d'appliquer le traitement adéquat.42
Terminons cette revue en citant un article qui décrit le projet START,43à savoir le «State of the art in oncology» de l'Ecole européenne de cancérologie (ESO), que l'on peut trouver sur internet. Ces articles de revue des différentes maladies cancérologiques, produits par un groupe international d'experts en utilisant les techniques de «l'Evidence-based medicine», permettent de donner une autre approche aux cliniciens intéressés, par rapport à l'utilisation des bases de données américaines qui sont trop souvent citées.
Le nouveau millénaire commence avec une foule d'espoirs basés sur les appro-ches classiques de la cancérologie. Si l'on y associe les progrès dans la compréhension du mécanisme de transformation de certaines cellules cancéreuses et les armes nouvel-les développées par le génie génétique, on peut sans autre affirmer que l'abord thérapeutique des tumeurs sera profondément modifié dans les prochaines années.