Les progrès en matière d'imagerie et l'avènement de tests biologiques performants ont boulever-sé au cours des quinze dernières années le diagnostic de la maladie thrombo-embolique veineuse. Les stratégies diagnostiques ont pu être simplifiées et standardi-sées. Dans une étude récente portant sur plus de 900 malades ambulatoires suspects de thrombose veineuse profonde (TVP) ou d'em-bolie pulmonaire (EP), le recours à un examen invasif ne s'est révélé nécessaire que dans moins de 10% des cas (moins de 1% de phlébographies pour la TVP, 5% d'angiographies pulmonaires pour l'EP), avec un risque throm-bo-embolique global à trois mois de 1,8% (intervalle de confiance de 95% : 0,9-3,1%). Cette revue décrit, en les justifiant, les algorithmes diagnostiques en usage au sein des Hôpitaux universitaires de Genève.
L'approche diagnostique de la maladie thrombo-embolique veineuse a beaucoup évolué ces quinze dernières années. Cette évolution est sous-tendue non seulement par le développement de nouvelles techniques mais aussi par deux observations principales. Tout d'abord, les liens étroits qui unissent la thrombose veineuse profonde des membres inférieurs (TVP) et l'embolie pulmonaire (EP) ont été définitivement admis : plus de 90% des EP proviennent d'une TVP et, à l'inverse, en présence d'une TVP proximale, une EP, le plus souvent asymptomatique, est retrouvée dans au moins 50% des cas. La découverte d'une TVP chez un malade suspect d'EP est donc désormais considérée comme suffisante pour retenir l'embolie pulmonaire, ceci d'autant plus que, dans la grande majorité des cas, le traitement est identique. Ensuite, le seuil de suspicion clinique faisant évoquer le diagnostic de TVP ou d'EP et engager les démarches diagnostiques, s'est progressivement abaissé, ce qui se traduit par une diminution constante de la prévalence de ces affections dans les collectifs de malades cliniquement suspects. A l'heure actuelle, dans une population ambulatoire consultant en urgence pour ce motif, cette prévalence s'est établie aux alentours de 25% alors qu'elle était de 56% en 1980. Les stratégies diagnostiques ont dû s'adapter à cette évolution et prendre en compte que la plupart des démarches sont destinées à exclure la maladie thrombo-embolique plutôt qu'à la confirmer.
Cette revue présente les instruments diagnostiques que nous utilisons à Genève à l'heure actuelle ainsi que leur séquence d'utilisation, validée par l'étude d'une cohorte de plus de 900 patients recrutés dans deux centres, l'Hôpital cantonal de Genève et l'Hôpital Saint-Luc de Montréal.
Quand elle n'est pas d'emblée mortelle, l'EP se présente sous la forme d'un des trois tableaux cliniques suivants : douleur pleurétique avec dyspnée (environ 50% des cas), dyspnée progressive sans douleur pleurétique (30%), syncope (10%). Pris individuellement, les symptômes et signes cliniques sont peu sensibles et peu spécifiques.1 Pourtant, lorsqu'ils sont confrontés, dans une approche empirique, à la présence de facteurs de risque et aux antécédents personnels et familiaux du patient (tableau 1), ils permettent de classer le malade dans une catégorie à risque faible, intermédiaire ou élevé correspondant à des prévalences respectives d'EP de l'ordre de 10%, 30% et 60%, une étape initiale indispensable dans une approche diagnostique rationnelle.2 Une tentative d'«évaluation standardisée» est apparemment efficace3 mais son application risque de se révéler difficile en pratique clinique quotidienne en raison de sa relative complexité.
L'évaluation clinique de la TVP peut se faire selon les mêmes critères empiriques (tableau 1). La capacité du clinicien à estimer la probabilité clinique est établie de longue date et a été récemment confirmée : la proportion des malades avec TVP était de 2% en cas d'estimation empirique «faible», de 19% en cas de probabilité «intermédiaire» et de 96% en cas de probabilité «forte», la majorité des malades se trouvant dans la catégorie de probabilité intermédiaire. Une tentative de standardisation de l'évaluation clinique connaît actuellement un certain succès. Le score de Wells4 (tableau 2) permet en effet de préciser la probabilité clinique à l'aide de quelques éléments cliniques simples mais dont le caractère partiellement subjectif ne saurait échapper à l'utilisateur averti.
Le cliché thoracique, l'électrocardiogramme et les gaz sanguins font partie de l'évaluation clinique globale.
La fibrine est le constituant principal du thrombus. Sa formation est rapidement suivie d'une activation du système fibrinolytique conduisant à la génération de plasmine et à la lyse du caillot de fibrine. La dissolution de la fibrine stabilisée libère des produits de dégradation spécifiques comme les D-dimères (DD), lesquels peuvent être aisément détectés et mesurés dans le plasma grâce à des anticorps monoclonaux dirigés contre des épitopes présents dans le fragment DD.5 Au cours des années 90, le dosage des DD s'est imposé comme un auxiliaire diagnostique utile en présence d'une suspicion de maladie thrombo-embolique veineuse (MTE). La valeur prédictive négative d'une concentration plasmatique de DD au-dessous d'un certain seuil (en général 500 µg/L) est supérieure à 98%. Elle permet d'exclure un événement thrombo-embolique aigu dans une proportion substantielle (environ un tiers) de patients ambulatoires cliniquement suspects. Toutefois, ces performances diagnostiques sont fortement dépendantes du test utilisé, les tests au latex se révélant nettement moins sensibles que les tests ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay) classiques, lesquels étaient peu adaptés à l'urgence jusqu'à l'avènement de techniques rapides comme le VIDAS-DD (ELISA rapide de bioMérieux). Des tests d'agglutination rapides, le LIA-test (test au microlatex de Stago) et le MDA-test (Organon-Technika) semblent avoir une sensibilité proche de celle des tests ELISA. En revanche, le SimpliRed (test au latex sur sang total de Agen) n'a pas une sensibilité suffisante pour permettre, à lui seul, d'exclure une TVP ou une EP (tableau 3). Toutefois, en association avec une probabilité clinique faible, sa valeur prédictive négative s'est révélée acceptable dans une étude canadienne,6 dont les résultats demandent toutefois à être confirmés dans une étude pragmatique.
En résumé, si une concentration de DD inférieure au seuil critique peut effectivement exclure la MTE, un taux élevé ne saurait être interprété comme synonyme de la présence d'une TVP ou d'une EP en raison du grand nombre de faux positifs,7 ce qui implique l'intégration de ce test dans une démarche séquentielle dont il sera question plus loin.
La spécificité globale des DD vis-à-vis de l'EP de 41,4% rapportée dans une étude de 671 patients ambulatoires cliniquement suspects8 mérite d'être nuancée notamment en fonction de l'âge : elle s'établit en effet à 72% pour les moins de 40 ans et à 9% pour les plus de 80 ans. Par conséquent, le dosage des DD permettra d'exclure une EP chez deux patients sur trois qui n'ont effectivement pas d'EP, avant la limite de 60 ans, et chez seulement un sur cinq au-delà de cette limite. La spécificité du test est également très faible (inférieure à 10%) chez les patients hospitalisés, diminuant d'autant l'intérêt de ce dosage dans cette situation.9 En outre, la spécificité globale médiocre du dosage des DD n'est valable que pour le seuil critique retenu de 500 µg/L. L'élévation de ce seuil à 4000 µg/L s'accompagne d'une amélioration notable de spécificité, laquelle passe à 93,1% (pour une sensibilité qui s'abaisse à 49,5%).6Ces données impliquent qu'un patient ambulatoire cliniquement suspect d'EP et qui présenterait une concentration plasmatique de DD supérieure à 4000 µg/L aurait une probabilité cinq fois plus grande d'avoir une EP que de ne pas en avoir. Cette conclusion peut suffire à initier un traitement anticoagulant, pour autant que la suspicion clinique soit suffisante et qu'on ne dispose d'aucun autre test.
La très grande majorité des EP ayant son origine dans une thrombose veineuse des membres inférieurs, la mise en évidence d'une TVP chez un patient cliniquement suspect d'EP permet de retenir ce diagnostic sans avoir à recourir à d'autres examens, ceci d'autant plus que le traitement des deux affections est le plus souvent identique.
L'examen de choix pour rechercher une TVP est l'échographie veineuse de compression, en mode B, dont la spécificité est supérieure à 95% pour la thrombose proximale symptomatique. Le critère diagnostique cliniquement validé est l'absence de compression complète de la veine par la sonde. L'adjonction du doppler pulsé ou du codage couleur n'apporte pas d'avantage significatif en terme de performance diagnostique de la TVP proximale. La sensibilité de cet examen, de 95% et plus chez le sujet symptomatique, est de l'ordre de 50% chez le sujet asymptomatique au niveau des membres inférieurs, situation dans laquelle se trouve la grande majorité des patients suspects d'EP. Ce chiffre de sensibilité a été confirmé par des études prospectives.10 Si la prévalence de l'EP dans le collectif cliniquement suspect est de l'ordre de 25%, l'échographie veineuse ne sera donc diagnostique que chez 10-15% des patients.
Ainsi, alors que la mise en évidence d'une TVP possède une grande valeur diagnostique, l'absence de thrombose à l'examen échographique ne saurait être interprétée comme une preuve de l'absence d'EP. Cet examen ne peut donc se concevoir que dans le cadre d'une démarche diagnostique séquentielle dont il sera question plus loin.
L'interprétation de l'examen scintigraphique doit être effectuée selon des critères très précis permettant de conclure soit à l'absence d'embolie pulmonaire soit à sa présence soit encore à un examen non diagnostique (tableau 4). Ces critères s'appuient sur les résultats de l'étude nord-américaine
PIOPED (Prospective investigation of pulmonary embolism diagnosis).11
La valeur d'exclusion d'une scintigraphie normale est étayée par un risque thrombo-embolique à trois mois de l'ordre de 0,5% (en l'absence de traitement anticoagulant), tandis que la valeur diagnostique d'un examen de forte probabilité est supérieure à 90%. Malheureusement, seuls 30% à 50% des examens scintigraphiques correspondent à ces constellations et la majorité des examens est non diagnostique. C'est la raison pour laquelle la scintigraphie pulmonaire doit être intégrée dans une approche diagnostique globale discutée plus loin.
Largement disponible, même dans des hôpitaux périphériques, le scanner hélicoïdal a rapidement pris une place importante dans l'arsenal de nos moyens diagnostiques, après le rapport initial de Rémy-Jardin et coll.12 Les performances exactes de cet examen ne sont pourtant pas encore connues. Les experts du domaine s'accordent en général pour lui reconnaître une excellente spécificité, de l'ordre de 95%, mais restent prudents quant à sa sensibilité (tableau 5), notamment en raison de la non-reconnaissance des embolies sous-segmentaires. Globalement, la sensibilité s'établirait aux alentours de 85%.13,14 Bien que les petits emboles périphériques soient considérés par certains comme bénins, leur diagnostic conditionne à l'évidence la prévention de la récidive, potentiellement fatale. Ce point ressort tout particulièrement d'une étude grenobloise au cours de laquelle six événements thrombo-emboliques (5,4%, IC 95% : 1,3-9,7%), dont un mortel, sont survenus pendant le suivi de trois mois dans un collectif de 112 malades suspects d'EP et n'ayant pas été anticoagulés sur la base d'un scanner hélicoïdal normal.15
Dans l'attente d'études de validation à la méthodologie adéquate, il convient de rester prudent et de ne pas exclure l'EP sur la seule base d'un scanner hélicoïdal normal. L'avantage majeur de cet examen résidera sans doute aussi dans sa capacité à proposer des alternatives diagnostiques. Toutefois, le scanner hélicoïdal ris-que d'être plus largement disponible que les experts formés pour éviter les pièges d'interprétation.16
Malgré la difficulté de réaliser un examen de qualité chez un patient très dyspnéique, l'échographie cardiaque transthoracique permet aisément de constater une dilatation du ventricule droit, dont la taille peut excéder celle du ventricule gauche lorsque l'obstruction vasculaire pulmonaire est supérieure à 40%.17D'autres éléments peuvent orienter en direction d'une EP : l'augmentation du rayon de courbure du septum interventriculaire et son déplacement vers le ventricule gauche, la dilatation du tronc pulmonaire, la dilatation de la veine cave inférieure, la présence (rare) d'un thrombus en transit dans les cavités droites. Globalement, la sensibilité et la spécificité de ces signes sont médiocres et ils n'ont de réelle utilité diagnostique (sensibilité et spécificité respectives de l'ordre de 70% et 90%) qu'en présence d'une EP sévère. L'échocardiographie transthoracique devient alors l'examen de première intention. L'adjonction de l'approche transsophagienne n'améliore pas le rendement diagnostique de l'échocardiographie.
L'angiographie pulmonaire est le standard diagnostique auquel les nouvelles techniques ont eu jusqu'ici à se comparer. De plus en plus, les études pragmatiques avec leur suivi formalisé de trois à six mois se substituent à l'angiographie pulmonaire en tant que «gold standard», au moins pour ce qui concerne l'évaluation de la validité du diagnostic d'exclusion. En effet, seule une minorité des patients suspects présente effectivement une EP et il n'est pas raisonnable de les soumettre en première intention à un examen invasif, coûteux et non dénué de risque. La mortalité liée à l'examen est estimée à 0,5% et dans l'étude PIOPED, tous les décès sont survenus chez des patients des unités de soins intensifs.18
L'angiographie pulmonaire reste le juge de paix du diagnostic de l'EP mais sa place dans une approche diagnostique globale, telle qu'elle est exposée dans le paragraphe suivant, a été réduite grâce à la validation de schémas séquentiels beaucoup moins invasifs.
La phlébographie ascendante est un examen dynamique consistant à injecter dans une veine du dos du pied un produit de contraste iodé (risque de réaction anaphylactique, rare mais potentiellement dangereux) et à effectuer des radiographies de la jambe et du bassin pour documenter la progression du contraste. Cet examen reste le standard diagnostique de la TVP et, en particulier, la technique de référence dans les études destinées à évaluer l'effet d'agents antithrombotiques, par exemple en postopératoire chez les sujets asymptomatiques. Toutefois, il a été supplanté par l'échographie veineuse chez les malades cliniquement suspects de TVP. Dans ce dernier collectif, la phlébographie n'est plus guère effectuée qu'en présence d'une forte suspicion clinique, d'un taux de DD supérieur au seuil critique et d'une échographie veineuse négative, une constellation rare en pratique quotidienne.
A l'exception sans doute de l'angiographie pulmonaire, aucun test diagnostique ne combine une sensibilité et une spécificité suffisantes pour être utilisé seul en présence d'une suspicion clinique d'EP (tableau 5). Les dangers et le coût de l'angiographie pulmonaire sont toutefois prohibitifs et empêchent son utilisation en première intention, ceci d'autant plus que la prévalence de l'EP dans la population cliniquement suspecte est de l'ordre de 20 à 35% dans les centres de premier recours. Il en va de même de la phlébographie pour la suspicion de TVP. Ce sont donc des combinaisons de tests qui sont utilisées, combinaisons qui seront fonction de leurs performances, de leur coût et de la disponibilité des différentes techniques. Ces stratégies diagnostiques doivent tenir compte de l'évaluation clinique initiale, dans une perspective bayésienne, chaque résultat de test s'interprétant en fonction de la probabilité préalable (a priori) de la présence de la maladie.
La figure 1 décrit l'algorithme diagnostique séquentiel simple en usage à Genève en cas de suspicion clinique d'EP de gravité faible à modérée. Cet algorithme est dérivé d'un modèle d'analyse décisionnelle,19 a fait l'objet de deux études pragmatiques2,20 et a passé le barrage de l'analyse coût-efficacité.21
Dans cette stratégie, l'étape initiale (dosage des DD à l'aide du test ELISA rapide VIDAS-DD, bioMérieux, Lyon) permet d'exclure l'EP d'emblée chez environ un tiers des malades ambulatoires cliniquement suspects, pour autant que la prévalence de la maladie dans le collectif soit de l'ordre de 20-35%. Ce dosage, suivi de l'échographie veineuse par compression, permet une réduction des coûts par vie sauvée de l'ordre de 10%23 et une diminution très sensible du nombre d'angiographies nécessaires. Ainsi, dans le collectif des 444 malades suspects d'EP de l'étude citée précédemment, seuls 50 sujets ont été soumis à cet examen.2 La séquence proposée permet en outre à des hôpitaux périphériques ne disposant pas de service de médecine nucléaire, de prendre en charge environ 50% des malades ambulatoires cliniquement suspects d'EP sans avoir à les adresser à un centre de référence. Cette stratégie est sûre puisque le risque thrombo-embolique à trois mois n'est que de 0,9% parmi les 323 chez lesquels le diagnostic avait été écarté et qui n'avaient pas été anticoagulés.2
D'autres séquences sont parfaitement envisageables.3 Elles nécessitent toutefois une validation dans le cadre d'essais cliniques pragmatiques. Quant à leur rapport coût-efficacité, il dépendra notamment de la prévalence de l'EP dans le collectif considéré. Une population sélectionnée adressée à un centre de référence (avec une prévalence élevée de la maladie, de 50% ou plus) devra être approchée de manière différente de celle d'un collectif ambulatoire se présentant dans un service d'urgence.
Les embolies pulmonaires graves, s'accompagnant d'un état de choc ou d'un collapsus, posent un problème diagnostique particulier ; en effet, d'une part, l'obstruction vasculaire pulmonaire est massive et généralement très proximale avec un retentissement majeur et constant sur le ventricule droit, et d'autre part, le diagnostic doit être fait très rapidement, dans les trois heures suivant l'admission à l'hôpital, afin de mettre en uvre des mesures thérapeutiques appropriées ; en effet, sans traitement ou sous traitement anticoagulant seul, la mortalité de ces formes d'EP est très élevée dans les premières heures. Dans ce groupe particulier, très minoritaire, de patients, l'échocardiographie est l'examen diagnostique de première intention. D'une part, elle permet dans certains cas de faire le diagnostic d'autres urgences thoraciques qui peuvent simuler une embolie pulmonaire grave, telles qu'une tamponnade cardiaque, une dissection aortique ou un choc cardiogène dans le cadre d'un infarctus du myocarde. D'autre part, elle peut parfois à elle seule faire le diagnostic d'EP grave. En effet, bien que les signes échocardiographiques ne soient pas spécifiques, la présence de signes de surcharge du ventricule droit chez un patient sans antécédents cardiorespiratoires peut le plus souvent être considérée comme suffisante pour autoriser la mise en route immédiate d'un traitement thrombolytique, en présence d'une probabilité clinique élevée.
Enfin, lorsque l'échocardiographie n'apporte pas d'arguments suffisants en faveur du diagnostic d'EP, le recours rapide à d'autres examens est impératif. Dans ce contexte, les examens les plus performants et les moins invasifs sont la scintigraphie pulmonaire et le scanner spiralé. L'angiographie pulmonaire, qui présente un danger particulier chez de tels malades, doit être réservée aux situations dans lesquelles scintigraphie et scanner ne sont pas disponibles ou n'ont pas apporté de diagnostic.
La figure 1, décrit l'algorithme diagnostique séquentiel simple en usage à Genève en cas de suspicion clinique de TVP. Cet algorithme a fait l'objet d'une étude pragmatique publiée récemment.2 Dans cette stratégie, l'étape initiale (dosage des DD) permet d'exclure la TVP d'emblée chez environ un quart des malades ambulatoires cliniquement suspects, pour autant que la prévalence de la maladie dans le collectif soit de l'ordre de 20-35%. L'échographie veineuse par compression permet dans le reste du collectif de confirmer la présence de la TVP, la phlébographie étant réservée aux rares situations où cet examen est négatif en présence d'une forte suspicion clinique, situation qui ne s'est présentée qu'à deux reprises dans le collectif initial de 474 malades suspects de TVP dans l'étude citée précédemment.2
D'autres stratégies diagnostiques de la TVP ont été proposées qui font appel à d'autres tests rapides de dosage des DD, comme le SimpliRED (Agen, QLD, Australie)22 ou le LIA-test (Stago, Asnières, France)23 ou encore à des échographies veineuses répétées.23,24 Dans le premier cas, la sensibilité inférieure du test au latex rapide sur sang total (tableau 3) exige de combiner le résultat à une probabilité clinique faible. Dans le second cas, le rendement du deuxième examen échographique est tellement bas que sa justification économique est loin d'être établie.25
La stratégie genevoise2 semble négliger le problème de la TVP distale, c'est-à-dire strictement limitée aux veines jambières. Or, ces thromboses représentent selon les séries 5 à 10% des thromboses symptomatiques des membres inférieurs.26 Il convient toutefois d'observer que la stratégie diagnostique qui s'arrête à la veine poplitée sans rechercher d'éventuels thrombi plus distaux s'accompagne d'un taux de récidive thrombo-embolique à trois mois de 2,6% seulement (9 patients sur 343 qui n'avaient pas été anticoagulés, dont 2 seulement qui avaient un taux plasmatique de DD inférieur au seuil) dans un collectif ambulatoire cliniquement suspect.2 En outre, dans l'étude multicentrique italienne, parmi les 412 malades qui avaient une TVP dans le collectif des 1705 individus suspects, seules 12 thromboses avaient été diagnostiquées lors de l'échographie répétée à une semaine chez les 1290 avec un premier examen normal jusqu'au niveau poplité.24 Même si ces 12 thromboses sont de vrais-positifs, ce dont il est raisonnablement permis de douter,25 et sont toutes des thromboses distales manquées lors du premier examen qui se seraient étendues dans les veines proximales, ce qui est possible, leur détection ne saurait justifier les 1278 examens répétés en vain. En outre, même si on devait additionner ces 12 événements aux 9 qui ont été observés au cours du suivi ultérieur, le risque thrombo-embolique total pendant ce suivi chez les patients non anticoagulés n'aurait été que de 1,6%.27
Les progrès en matière d'imagerie et l'avènement de tests biologiques performants ont bouleversé le diagnostic de la maladie thrombo-embolique veineuse. Les stratégies diagnostiques ont pu être simplifiées et standardisées. Ainsi, dans une étude récente portant sur des malades ambulatoires suspects de TVP ou d'EP, le recours à un examen invasif ne s'est révélé nécessaire que dans moins de 10% des cas (moins de 1% pour la TVP, 5% pour l'EP), avec un risque thrombo-embolique global à 3 mois de 1,8% (intervalle de confiance de 95% : 0,9-3,1%).2 Ces progrès seraient en effet restés lettre morte s'ils ne s'étaient accompagnés d'études cliniques de validation de la méthodologie appropriée.5 Néanmoins, le plus dur reste à faire puisqu'il s'agit de convaincre les institutions hospitalières de mettre en uvre de manière conséquente ces stratégies validées en tenant compte, bien sûr, de leurs spécificités propres.28 Les avantages économiques des approches les plus récentes devraient toutefois favoriser le succès de cette étape ultime.