Le traitement anticoagulant de la thrombose veineuse profonde et de l'embolie pulmonaire non massive s'est considérablement simplifié grâce à l'utilisation des héparines de bas poids moléculaire. La prise en charge thérapeutique doit cependant inclure de nombreux autres éléments, depuis l'objectivation du diagnostic jusqu'à la contention élastique en passant par le relais aux anticoagulants oraux, une éventuelle recherche étiologique et des conseils de prévention de la récidive. Cette revue fait le point de manière critique sur l'attitude du centre de Genève sur ces sujets ainsi que sur le traitement thrombolytique en cas d'embolie pulmonaire massive.
Une fois le diagnostic posé de manière objective,1la prise en charge thérapeutique de la thrombose veineuse profonde (TVP) et de l'embolie pulmonaire (EP) peut se résumer en neuf points, qui constituent les recommandations de base données par la division. A la fin de chaque point, un texte tramé justifie de manière critique l'attitude choisie.
I Premier choix : héparine de bas poids moléculaire (HBPM) (choix de la Commission des médicaments des HUG : nadroparine = Fraxiparine®) à raison de 171 UI/kg/24 h en une (ambulatoire) ou deux injection(s) s.c. (pas de contrôle de laboratoire spécifique ; dans certaines situations (âges et poids extrêmes), dosage de l'activité plasmatique anti-Xa, après discussion avec le consultant d'hémostase pour les modalités pratiques).
I Alternative : héparine standard : bolus de 5000 UI i.v. suivi de perfusion continue de 400-600 UI/kg/24 h (environ 20-40 000 UI/24 h) ; l'administration peut également se faire par voie s.c. (contrôle : PTT 4 heures après le début de la perfusion ou 3-6 heures après l'injection s.c.).
I Si ce traitement (héparine ou HBPM) dure > 7 jours (5 jours en cas d'exposition préalable), prévoir une numération plaquettaire (thrombopénie induite par l'héparine !).
Ces recommandations sont basées sur le document de consensus nord-américain sur le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse2 et le document de consensus suisse relatif au traitement ambulatoire de la TVP.3En cas d'utilisation d'une autre HBPM, la posologie doit être celle utilisée dans les études cliniques et enregistrée dans le Compendium suisse des médicaments. Le traitement de l'EP par HBPM a fait l'objet de deux études avec des substances non commercialisées en Suisse, à des posologies identiques à celles utilisées dans le traitement de la TVP. Nous avons admis que les HBPM enregistrées pour le traitement de la TVP pouvaient être utilisées pour le traitement de l'EP, ceci d'autant plus que la TVP s'accompagne fréquemment d'une EP, souvent asymptomatique. Le traitement ambulatoire de l'EP, par contre, n'a jamais fait l'objet d'essais cliniques.
I Débuter l'administration à J0 ou à J1.
I Sans dose de charge massive (donner en principe 2-3 mg/j d'acénocoumarol pendant trois jours).
I De manière à permettre l'arrêt de l'héparine après 5-7 jours.
I Dès que deux INR consécutifs à 24 heures d'intervalle auront été supérieurs à 2 (intervalle visé : 2-3).
Ces recommandations sont basées sur le document de consensus nord-américain sur le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse2 et le document de consensus suisse relatif au traitement ambulatoire de la TVP.3
I Qui peut être adaptée de manière individuelle dans une fourchette de quatre semaines (TVP postopératoire jambière stricte, risque hémorragique important) à douze mois (TVP/EP idiopathique, surtout si récidivante) ou davantage (facteur de risque permanent en l'absence de ris-que hémorragique particulier).
Ces recommandations sont basées sur le document de consensus nord-américain sur le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse,2 le document de consensus suisse relatif au traitement ambulatoire de la TVP,3 une revue systématique de la littérature sur le sujet4 et les résultats de deux études randomisées récentes.5,6
I Destiné à réduire les symptômes de stase veineuse.
I Dont la durée dépendra de ces symptômes.
I Un lever bref (toilette) est permis dès lors que l'anticoagulation est introduite («lit strict» n'est pas indiqué !).
Ces recommandations sont basées sur l'absence d'éléments dans la littérature suggérant un effet favorable de l'alitement sur la survenue des embolies pulmonaires, sur le faible risque d'EP chez les patients avec TVP ou EP anticoagulés,7 notamment en l'absence d'alitement. Ce dernier point est toutefois dérivé d'une étude au pouvoir statistique insuffisant.8
I Lors des levers.
I La prescription de bas de contention (classe 2, jusqu'en dessous du genou) ne devrait pas être effectuée à l'hôpital mais en ambulatoire après stabilisation de l'dème.
I A poursuivre au moins aussi longtemps que l'dème vespéral sera présent.
Ces recommandations sont basées sur le document de consensus suisse relatif au traitement ambulatoire de la TVP3 et sur les résultats d'une étude randomisée établissant le bénéfice du port des bas de contention élastique sur la survenue du syndrome post-thrombotique.9
I A discuter de cas en cas.
I A la recherche d'une néoplasie : uniquement en cas de signes d'appel ou d'histoire suggestive.
I A la recherche d'une thrombophilie : en cas de TVP survenant chez un sujet jeune et/ou d'anamnèse familiale positive et/ou de thromboses dites insolites (sinus cérébraux, porte, Budd-Chiari, mésentérique, etc.), après accord du consultant d'hémostase (envoyer deux tubes citratés comme pour le Quick ; en dehors des heures d'ouverture, éventuellement congeler le plasma obtenu par centrifugation). Le prélèvement sera effectué avant traitement anticoagulant ou, de préférence, un mois après l'arrêt de ce traitement.
Ces recommandations sont basées sur une revue systématique de la littérature relative au faible rendement et aux conséquences modestes du dépistage du cancer après évé-nement thrombo-embolique10 et sur les réflexions du service sur l'intérêt du bilan d'hémostase dans cette situation.11
I Une thrombectomie chirurgicale à discuter en cas de TVP iliaque suspendue.
I Une thrombolyse à discuter en cas de phlegmasia coerulea dolens ou d'embolie pulmonaire massive (cf. point 9).
I La pose d'un filtre dans la veine cave (par les radiologues, après avis du consultant d'angiologie) en présence d'un processus thrombo-embolique actif et d'une contre-indication absolue à l'anticoagulation ou d'une récidive d'embolie pulmonaire documentée sous anticoagulation thérapeutique.
Ces recommandations sont basées sur le document de consensus nord-américain sur le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse,2 une revue systématique de la littérature sur la thrombolyse dans la TVP12 et une étude randomisée sur les interruptions partielles de la veine cave.13
(I Prévoir un contrôle clinique et de l'INR à la consultation ambulatoire de l'institution hospitalière ou du médecin-traitant.
L'indication est formelle en présence d'une embolie pulmonaire massive attestée par : une TAH systolique inférieure à 100 mmHg et/ou un arrêt cardio-respiratoire (éventuellement dansl'attente d'une embolectomie chirurgicale) ; une compromission hémodynamique (hypoperfusion périphérique, diurèse diminuée, etc.) et une absence de contre-indication et une certitude diagnostique.
Toutes les contre-indications (cf. liste indicative ci-dessous) sont relatives et doivent être mises en balance avec l'état clinique et le pronostic du patient. A titre indicatif, la littérature fait état d'hémorragies cérébrales majeures dans environ 1-2% des cas. Ces contre-indications sont : hémorragie active non contrôlable (interne) ; atteinte du SNC (tumeur, AVC ou TCC diathèse hémorragique connue (cliniquement significative) ; intervention chirurgicale datant de réanimation prolongée et/ou traumatique ; points de ponction artériels non comprima-bles et/ou cathéter jugulaire interne ou sous-clavier ; toutefois, un cathéter artériel fémoral en place et posé aisément (une seule ponction) ou un cathéter jugulaire interne ou sous-clavier posé dans les mêmes conditions n'interdisent pas une thrombolyse ; âge avancé ; grossesse ; néoplasie dépassée quant au pronostic vital ou à fort potentiel hémorragique ; anticoagulation orale aux AVK (Sintrom®) (le cas échéant, à réverser par Prothromplex®).
Bolus d'héparine (Liquémine®) 5000 UI i.v. de manière à couvrir la période initiale de réanimation et de diagnostic (sauf en cas de probabilité élevée d'un diagnostic alternatif, par exemple dissection aortique) ; grouper et tester deux flacons de sang ; réanimation hémodynamique :I commencer par dopamine 0,2 mg/min (3 µg/kg/min) puis augmenter ad 1,0 mg/min (14 µg/kg/min) ;I si échec, dopamine 0,2 mg/min (3 µg/kg/min) et noradrénaline 5 µg/min (70 ng/kg/min) (à augmenter ad obtention d'une TA syst > = 100 mmHg ou apparition d'effets indésirables). En parallèle, assurer le diagnostic par des moyens appropriés à la situation clinique (CT spiralé, scintigraphie de forte probabilité, surcharge aiguë comme signe indirect à l'échocardiographie). En cas d'instabilité hémodynami-que, il est licite d'entreprendre une thrombolyse sur la seule base d'une probabilité clinique élevée et de signes échocardiographiques évocateurs (HTAP, dilatation des cavités droites). Une fois le diagnostic assuré, débuter la thrombolyse par voie i.v. périphérique (pas d'avantage de l'administration dans l'artère pulmonaire) par Actilyse® (alteplase) 10 mg en bolus, puis 45 mg/h pendant 2 heures (dose totale 100 mg). A la fin de la thrombolyse, entreprendre uneperfusion d'héparine (Liquémine®) à raison de 1000 UI/h (sans bolus), à adapter selon les contrô-les de laboratoire (PTT, but : 1,5-2,5 x la norme). En cas de situation catastrophique (arrêt cardiorespiratoire), envisager une embolectomie pulmonaire. En attendant la préparation de la salle, effectuer la lyse selon les indications ci-dessus.
Avant la lyse : Hb, Hte, plaquettes, TP, PTT, fibrinogène, groupe sanguin ; après la lyse : Hb, Hte, plaquettes, TP, PTT (but : 1,5-2,0 x la norme), fibrinogène. Les recommandations relatives au paragraphe 9 ci-dessus sont basées sur un consensus local genevois établi en 1992 et révisé en novembre 1999 (participants : H. Bounameaux, J.-C. Chevrolet, Ph. de Moerloose, P. Jolliet, R. Lerch, L. Nicod, A. Perrier, Th. Rochat, P.F . Unger) et sur une revue systématique de la littérature.14 Elles sont compatibles avec le document de consensus nord-américain sur le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse.2 La question de savoir si l'indication à la thrombolyse pourrait être étendue aux malades présentant une dysfonction ventriculaire droite à l'échocardiographie, sans signe de compromission hémodynamique, reste controversée.15