Cette édition des acquisitions thérapeutiques est la dernière de ma carrière hospitalière car je prendrai ma retraite dans quelques mois. Tout en remerciant les lecteurs de leur fidélité, je voudrais faire quelques réflexions sur l'utilité des acquisitions thérapeutiques.Depuis 21 ans, chaque mois d'octobre je me suis retiré avec mes collaborateurs pour un bilan. La question était de savoir quelles étaient les acquisitions de l'année. Dans ce but, nous avons toujours respecté les mêmes règles. Le nouveau traitement se base-t-il sur de bonnes études contrôlées ? Ce nouveau traitement est-il disponible sans délai ? Comment ce nouveau traitement s'intègre-t-il dans les modalités thérapeutiques déjà connues ? Ces dernières années, nous avons été particulièrement attentifs aux coûts des nouveaux médicaments.1 Chaque année, nous avons été étonnés par le petit nombre d'acquisitions par rapport aux centaines de publications dans chaque domaine.Révolution informatique et crise de la médecineAlors que nous avons maintenu les règles du jeu, le monde a profondément changé. Dans les années 70, la recherche de littérature était un travail manuel, étroitement lié à une grande bibliothèque médicale. La plupart des médecins n'étaient pas à même de faire une telle recherche et un des rôles importants des acquisitions était précisément d'offrir chaque année une revue des publications importantes.Depuis lors, une révolution informatique a eu lieu. Aujourd'hui, en très peu de temps, chaque médecin peut faire sa propre recherche de littérature sur son ordinateur. Ce qui manque pourtant de plus en plus, c'est la synthèse, l'interprétation, le bon conseil. Reste la question de savoir si les acquisitions thérapeutiques, avec leur style succinct, sont assez différenciées pour remplir ce besoin.Notre but dans les acquisitions est modeste. Nousexprimons une opinion lémanique pour les lecteurs de notre région. Même si nous nous basons sur des arguments scientifiques et utilisons des outils de ce que l'on nomme «evidence-based medicine», nous sommes pourtant convaincus que les coutumes, traditions et contraintes locales influencent les interprétations et les recommandations. Ceci s'est avéré particulièrement évident lorsque nous avons tenté de publier une version en anglais des acquisitions.2,3 Il s'est avéré que les experts américains et européens utilisaient des raisonnements différents, les Américains étant plus formalistes et stricts et les Européens se basant davantage sur leur expérience personnelle. Au bout de deux ans, l'essai s'est arrêté. Il serait bien sûr possible de calculer un consensus en prenant la moyenne de différentes opinions,4 mais ceci peut conduire, à mon avis, à une entité virtuelle et même illusoire. La moyenne se situe souvent dans l'espace vide entre les opinions divergentes, un peu comme la taille moyenne se situe entre les géants et les nains. Je préfère plutôt donner une opinion vécue, même si elle est biaisée.La crise de la médecine a beaucoup influencé notre attitude vis-à-vis des acquisitions médicales. Les premières acquisitions sont tombées dans une période de confiance illimitée dans le progrès et les médecins se sentaient les représentants d'une profession libérale, et jugeaient sur la base de leurs connaissances et de leur sens de l'éthique. Ceci a radicalement changé. Beaucoup de médecins ne sont plus intéressés à connaître les dernières acquisitions car de toute façon elles ne seront pas remboursées par les caisses-maladie. Y a-t-il donc des alternatives aux acquisitions thérapeutiques ?Première alternative : points de vue et éditoriaux ciblésEn 1999, nous avons commencé par choisir librement des thèmes qui ont été véritablement transformés sans traiter systématiquement l'ensemble. Tous les chapitres traditionnels n'ont pas nécessairement été traités. Cette approche mène à des réflexions beaucoup plus différenciées que les acquisitions traditionnelles. Une telle attitude n'est pourtant pas sans danger. Les rédacteurs des éditoriaux énumèrent souvent les points en faveur et contre une certaine attitude et arrivent à la conclusion que la situation n'est pas claire, nécessitant davantage d'études, sans donner leur opinion personnelle. De plus, les questions qui intéressent le médecin, par exemple quel type de patients répond particulièrement bien ou mal à un nouveau traitement, sont souvent écartées dans les études cliniques. Le sponsor d'une étude d'un nouveau traitement est intéressé à l'indication la plus large possible ; les spécifications limitent le marché. C'est souvent quelques années après l'arrivée de nouveaux traitements que les modalités sont connues, et, dans la plupart des cas, sur la base des expériences personnelles et non pas sur les grandes études contrôlées. L'incorporation d'une acquisition dans la pratique médicale est un processus progressif, un fait qui se reflète bien dans la rédaction de nos acquisitions. Il est donc difficile de trouver le bon moment ou un sujet médical véritablement transformé par une acquisition.Deuxième alternative : analyses basées sur les techniques de l'«evidence-based medicine»Une publication montrant les détails d'une évaluation coût/bénéfice avec un arbre décisionnel ou une mé-ta-analyse inspire la confiance. Le lecteur se sent rassuré et croit pouvoir participer à un processus scientifique. Il s'agit pourtant d'un outil qui peut ou ne peut pas produire un résultat satisfaisant, dépendant du soin et de l'expérience de son utilisateur. La figure 1 montre un exemple. La partie gauche représente une méta-analyse publiée il y a quelques semaines dans le British Medical Journal5 demandant si un traitement éradicateur de l'infection à H. pylori améliore les symptômes de la dyspepsie fonctionnelle. Après une importante recher-che de littérature, les auteurs ont sélectionné cinq travaux qui remplissent leurs critères et arrivent à la conclusion que ce traitement est efficace (summary odds ratio = 1,9). Le même mois, nous avons effectué une méta-analyse. Trois des travaux sélectionnés par Jaakimainen nous ont paru biaisés, tandis que nous avons inclus trois travaux de bonne qualité que Jaakimainen, pour des raisons qui nous échappent, n'a pas inclus dans sa méta-analyse. De plus, nous avons identifié des erreurs dans la méthode statistique utilisée par Jaakimainen, mais ceci a nécessité une recherche approfondie sur Internet. Nous som-mes arrivés à la conclusion que le traitement éradicateur n'a pas d'effet sur les symptômes dyspeptiques (summary odds ratio = 1,22, intervalle de confiance 0,96-1,56).Par cet exemple, je voudrais montrer que le médecin devrait être sceptique vis-à-vis des outils de l'«evidence-based medicine». Ces techniques ne peuvent pas remplacer des acquisitions ou des points de vue bien formulés.Troisième alternative : conférences de consensus et «guidelines»C'est dans ce contexte que le médecin peut apprendre quels sont ses droits et obligations dans les domaines diagnostique et thérapeutique. Pourquoi donc publier les acquisitions puisque, de toute façon, les médecins doivent consulter les guidelines avant de faire des prescriptions ? Un grand avantage de nos acquisitions est leur mise à jour annuelle et la rapidité de leur publication, alors que les conférences de consensus sont déjà désuètes au moment de leur parution.J'espère bien sûr que les guidelines n'étoufferont jamais la curiosité des médecins. Dans ce sens, je ne voudrais pas vivre dans un monde médical de contrainte sans connaître au moins les alternatives et les développements.ConclusionsIl me semble utile de poser la question, vingt ans après les premières acquisitions en gastro-entérologie, quant à la meilleure forme pour communiquer le «State of the art» aux lecteurs. Je crois qu'Internet et les conférences de consensus ne remplaceront pas l'expérience et l'esprit de synthèse d'une équipe médicale. Me transformant moi-même d'auteur en lecteur, je chercherai l'année prochaine la réponse à ma question dans Médecine et Hygiène.