L'hépatotoxicité de l'alcool, bien qu'encore mal connue, fait appel à des mécanismes toxiques liés à son métabolisme ainsi qu'à une réaction immune en partie initiée par la présence d'une endotoxiné-mie. La maladie alcoolique du foie comprend la stéatose, l'hépatitealcoolique et la cirrhose. Une biopsie de foie est indiquée dans certaines situations. L'hépatite alcoolique est une forme grave de la maladie alcoolique du foie, qui est associée à une mortalité élevée. Le seul traitement ayant fait la preuve d'une efficacité réelle dans cette affection est la prednisone. Les alternatives thé-rapeutiques médicales sont discutées de façon critique, ainsi que la place de la transplantation hépatique.
La consommation excessive et prolongée d'éthanol est associée à de nombreuses morbidités (Lieber), dont fait partie l'atteinte hépatique. Celle-ci comprend tout un spectre de lésions histologiques dont la stéatose alcoolique, l'hépatite alcoolique et la cirrhose alcoolique. Malgré l'existence reconnue d'un seuil de consommation journalière (20 g d'alcool pour la femme et 40 g pour l'homme) (Becker)) au-delà duquel le risque de développer une hépatopathie alcoolique croît significativement (Diehl), il existe une grande hétérogénéité dans la population de buveurs excessifs, puisque si 90-100% d'entre eux développent un certain degré de stéatose, seuls 10-35% vont développer une hépatite alcoolique et 8-20% une cirrhose (Chedid). Ceci suppose que l'hépatotoxicité directe de l'alcool ne suffit pas à expliquer l'ensemble des lésions, et on évoque d'autres phénomènes associés pour expliquer ces différentes susceptibilités individuelles. Le but de cet article est de discuter les mécanismes physiopathologiques de l'hépatotoxicité de l'alcool en général et de l'hépatite alcoolique en particulier, de préciser les éléments nécessaires au diagnostic, pour ensuite passer en revue de façon critique les différentes approches thérapeutiques qui ont été envisagées dans la maladie alcoolique du foie.
Bien que les mécanismes liés à l'hépatotoxicité de l'alcool soient encore incomplètement connus, on évoque d'une part, des mécanismes directement liés au métabolisme de l'éthanol et d'autre part, le rôle d'une réaction immune déclenchée par la présence d'une endotoxinémie. L'hépatotoxicité de l'alcool se manifeste par un stress oxydatif dans le foie (Lieber), essentiellement par le biais de métabolites réactifs produits par le cytochrome P4502E1 et par l'inhibition de la phosphorylation oxydative mitochondriale, mais également à cause de la production d'acétaldéhyde (Fridovich). De plus, on a décrit chez l'alcoolique de multiples délétions dans l'ADN mitochondrial évoquant un phénomène de vieillissement précoce (Mansouri). Ce stress oxydatif entraîne une peroxydation des lipides membranaires (Meagher), une déplétion des stocks naturels d'antioxydant comme le glutathion, une nécrose hépatocytaire et favoriserait la fibrogenèse. Par ailleurs, la production d'acétaldéhyde semble altérer la fonction biologique de plusieurs protéines et les rendre immunogènes (Tuma).
Il n'est pas rare d'observer une surcharge en fer dans le foie des patients atteints de cirrhose alcoolique. Connaissant le fort potentiel oxydatif de cet élément, on a formulé l'hypothèse d'un rôle du gène de l'hémochromatose dans la pathogénie de la maladie alcoolique du foie. En fait, l'hétérozygotie pour le gène muté n'est pas associée à un risque accru d'évolution vers la fibrose chez des patients buveurs excessifs (Grove).
On observe fréquemment une endotoxinémie au cours des maladies alcooliques du foie (Fukui). Le passage de ce composant de la paroi externe des bactéries Gram négatif intestinales dans le sang veineux portal est facilité par une perméabilité anormale de la paroi digestive dont l'alcool est en grande partie responsable. Stimulées par cette endotoxine d'une part, et par des métabolites réactifs issus du métabolisme de l'éthanol d'autre part, les cellules de Kupffer vont sécréter plusieurs médiateurs proinflammatoires (McClain), appelés cytokines, dont font partie le Tumor necrosis factoralpha (ou TNF-a) (Bird), l'interleukine 8 (IL-8) (Huang) et l'IL-6. En réponse à ces cytokines : 1) le foie va synthétiser des protéines de l'inflammation ; 2) les leucocytes circulants, et en particulier les polynucléaires neutrophiles, vont être attirés dans les sinusoïdes hépatiques, y adhérer puis, 3) pénétrer dans le lobule pour y créer un infiltrat inflammatoire caractéristique de l'hépatite alcoolique (Mathurin). Le TNF-a et l'IL-8 jouent un rôle important dans la chimio-attraction, l'activation et l'adhésion des polynucléaires neutrophiles, notamment par le biais de l'induction de molécules d'adhésion intercellulaire (ICAM-1) à la surface des cellules sinusoïdales et des hépatocytes (Burra).
Les différentes susceptibilités individuelles envers les effets toxiques de l'alcool expliquent que seule une minorité des buveurs excessifs développent une cirrhose. On sait toutefois que différents éléments favorisent l'évolution vers une cirrhose, comme le sexe féminin, la présence d'une fibrose périveinulaire ou encore des épisodes répétés d'hépatite alcoolique. Une étude récente (Giraud) a montré que l'intensité de la stéatose hépatique d'origine alcoolique constituait un facteur de risque indépendant d'évolution vers la cirrhose, vraisemblablement par le biais d'une activation de la fibrogenèse hépatique.
Le diagnostic de maladie alcoolique du foie est habituellement établi sur la base d'une con-sommation excessive d'alcool, éventuellement associée à des signes cliniques évocateurs d'hépatopathie, et parfois sur la base d'une hyperéchogénicité hépatique visible à l'échographie suggérant la présence d'une stéatose. Toutefois, aucun signe clinique ne permet en soi d'affirmer la présence d'une maladie alcoolique du foie, et a fortiori de diagnostiquer une hépatite alcoolique.
Il en est de même avec les marqueurs biologiques de l'abus d'alcool, puisqu'aucun d'entre eux n'a une sensibilité ni une spécificité de 100% (Salaspuro, Radosavljevic). Le volume globulaire moyen peut être augmenté en cas de maladie chronique du foie quelle que soit l'étiologie. La gammaglutamyltransférase (GGT) peut être élevée du fait de l'induction par d'autres agents que l'alcool (par exemple, médicaments) ou en cas de cholestase quelle qu'en soit la cause. Le rapport ASAT/ALAT peut être supérieur à 1 lors de n'importe quelle maladie chronique du foie, et en particulier de cirrhose virale C. La carbohydrate-déficient transferrine (CDT) a une sensibilité équivalente à celle de la GGT. Elle peut être faussement élevée lors d'hépatite chronique non alcoolique (Stauber), et rester dans les limites de la norme malgré un abus quotidien d'alcool pendant plusieurs semaines (Salmela).
Les indications à la biopsie de foie chez des malades alcooliques se résument : 1) au diagnostic de maladie alcoolique du foie lorsque coexistent plusieurs autres causes d'hépatopathie ; 2) aux situations où la cause de la maladie du foie est incertaine, en l'absence de consommation excessive déclarée d'alcool ; 3) aux situations où la certitude histologique d'une cirrhose modifie la prise en charge, et 4) à la suspicion d'une hépatite alcoolique traitable (Naveau). En effet, confirmer ou infirmer le diagnostic histologique d'hépatite alcoolique grave selon les critères de Maddrey (bilirubine, temps de prothrombine) (tableau 1) est une question particulièrement importante, car le traitement qu'elle implique réduit de façon significative la mortalité (Ramond). Or, l'absence de vérification histologique peut amener dans environ 30% des cas à un diagnostic erroné et à un traitement anti-inflammatoire inutile et potentiellement dangereux. Finalement, lorsque la biopsie de foie est effectuée par voie transveineuse, la mesure du gradient de pression porto-sus-hépatique (qui est un reflet de la pression portale) apporte une information pronostique supplémentaire en ter-me de risque hémorragique et de survie chez les patients atteints de cirrhose alcoolique (Vorobioff).
Il faut distinguer le traitement de fond de la maladie alcoolique (abstinence, suivi alcoologique) des différents traitement entrepris à la phase aiguë d'une hépatite alcoolique. Nous allons donc revoir de façon critique les traitements qui se sont montrés clairement bénéfiques, ceux qui le sont peut-être, et ceux qui n'ont montré aucune efficacité (tableau 2). Finalement, la place de la transplantation hépatique dans la cirrhose alcoolique sera évoquée à la lumière des résultats récents.
Le caractère très inflammatoire de l'hépatite alcoolique est majoritairement attribué à la libération de nombreuses cytokines, et entretenu par un conflit immunologique. C'est dans cette optique que l'emploi des corticostéroïdes a été proposé chez des patients atteints d'hépatite alcoolique vérifiée histologiquement, et dont la gravité était définie par un score de Maddrey supérieur à 32 (Maddrey) (tableau 1) ou la présence d'une encéphalopathie hépatique. L'administration de prednisone à la dose de 40 mg par jour pendant quatre semaines a réduit d'environ 50% la mortalité à court terme (deux mois) (Ramond, Mathurin), et ce bénéfice persistait une année après le début du traitement. L'analyse statistique démontrait que l'importance de l'infiltrat inflammatoire du lobule hépatique par les polynucléaires neutrophiles (Mathurin) et la leucocytose étaient des facteurs pronostiques indépendants de bonne réponse aux corticostéroïdes. Bien qu'incomplètement connus, les mécanismes liés à l'ef-fet bénéfique du traitement stéroïdien font probablement appel à son effet immunosuppresseur. En effet, il est intéressant d'observer qu'après neuf jours de prednisone, l'amélioration des lésions histologiques est corrélée à la diminution de la concentration des molécules d'adhésions dans le sang sus-hépatique (Spahr), dont l'expression dépend principalement du TNF-a, une cytokine pro-inflammatoire clé dans l'hépatite alcoolique.
La malnutrition protéino-calorique est fréquente dans la population de malades alcooliques, et plus particulièrement lorsqu'elle est associée à une hépatite alcoolique (Mendenhall). Il n'y a donc pas lieu de restreindre en protéines ces malades. A l'inverse, et bien que les suppléments protéiniques par voie parentérale ou entérale aient montré des résultats discordants, on reconnaît un effet bénéfique probable du support nutritionnel (Cabre). Dans une étude récente, une supplémentation calorique (2000 kcal/j) par voie entérale pendant quatre semaines s'est montrée aussi efficace que la prednisone en terme de mortalité à une année (Cabre), permettant d'envisager dans le futur l'éventuelle association de ces deux traitements.
En plus du déficit protéino-calorique, on observe également une déplétion sélective en S-adénosyl-L-méthionine qui est en rapport avec un trouble enzymatique. Cet acide aminé joue un rôle essentiel dans la synthèse des protéines et du glutathion, un puissant antioxydant (Lieber). L'effet d'une supplémentation en S-adénosyl-L-méthionine pendant deux ans a été testé auprès de 123 patients atteints de cirrhose alcoolique dans une étude randomisée, double aveugle, récemment publiée (Mato). A l'issue de l'étude, on observait une réduction de la mortalité, qui était toutefois limitée aux malades ayant une insuffisance hépatique modérée (Child A et B).
L'administration de substances favorisant la régénération hépatique se justifie par l'effet délétère de l'alcool et de l'inflammation sur la croissance cellulaire. Le malotilate a fait l'objet d'une étude clinique européenne multicentrique à l'issue de laquelle un effet favorable sur la survie a été démontré (Keiding). Ces résultats encourageants n'ont pour l'instant pas été confirmés par d'autres études.
Un des mécanismes hépatotoxiques de l'alcool est lié au stress oxydatif qu'il entraîne pour l'hépatocyte. La métadoxine est une substance qui restaure les stocks de glutathion, rétablit un équilibre énergétique de la cellule et accélère la clairance de l'éthanol. La métadoxine administrée pendant trois mois chez des patients atteints de stéatose alcoolique (Caballeria) a permis une amélioration plus rapide des tests hépatiques que le placebo, même en l'absence d'abstinence complète. Il s'agit toutefois d'un traitement qui agit sur une forme de maladie alcoolique du foie considérée comme réversible après l'arrêt complet de l'intoxication.
On a pensé qu'à cause de l'état hypermétabolique de l'hépatite alcoolique, le propylthiouracile pourrait être bénéfique, mais aucun effet sur la survie n'a été observé (Halle). De même, les stéroïdes anabolisants ne sont pas efficaces dans le traitement de l'hépatite alcoolique, pouvant, par ailleurs, favoriser la survenue d'adénomes hépatiques. La colchicine proposée pour ses propriétés antifibrosantes n'est pas supérieure au placebo (Akriviadis). La silymarine, considérée comme étant un agent hépatoprotecteur, a fait récemment l'objet d'une étude contrôlée multicentrique (Pares). Après un suivi de deux ans, il n'y avait pas de différence de survie parmi les 125 patients atteints de cirrhose alcoolique et ceux traités par silymarine ou placebo. L'amlodipine, un anticalcique, a été administrée chez des patients souffrant d'hépatite alcoolique aiguë dans le but de moduler l'activation des cellules de Kupffer, mais aucun bénéfice thérapeutique n'a pu être mis en évidence (Bird).
Ce traitement est à considérer en présence d'une cirrhose avec insuffisance hépatique (Poynard, Sherman). Bien qu'une période d'abstinence d'au moins six mois reste requise pour envisager une greffe de foie, il peut être indiqué dans certains cas de procéder à une évaluation pré-transplantation avant ce délai si l'état du malade reste préoccupant. Bien que concernant une fai-ble proportion de patients sur la liste d'attente, l'indication à une transplantation hépatique pour cette maladie a suscité plusieurs questions dans la communauté médicale, notamment en ce qui concerne la survie après la greffe, la compliance médicamenteuse, la récidive de l'intoxication et la qualité de vie. En fait, dans une série française de Montpellier, il s'avère que la survie à cinq ans est semblable à celle rapportée pour les autres maladies du foie (Pageaux), que les malades suivent adéquatement leur traitement, et que la rechute alcoolique, dont la fréquence varie entre 10 et 30%, n'entraîne qu'exceptionnellement la perte du greffon. De plus, dans la grande majorité des cas, la reprise de l'alcool n'est pas considérée stricto sensu comme un retour à la dépendance à l'alcool. Seule la réinsertion professionnelle sem-ble être un peu moins bonne chez les sujets alcooliques comparés aux autres groupes transplantés (Pageaux).