Les démences fronto-temporales correspondent à 20% des démences dégénératives préséniles. Elles se distinguent relativement facilement de la maladie d'Alzheimer. Aujourd'hui, le travail de consensus effectué par les groupes de Lund et de Manchester est communément admis. Il distingue trois formes principales : une démence fronto-temporale sans lésions histologiques spécifiques, une démence fronto-temporale avec corps de Pick et enfin une démence fronto-temporale associée à la maladie des motoneurones. Les progrès neuropathologiques apparaissent toutefois renforcer l'idée de types intermédiaires.
Les démences fronto-temporales (DFT) font partie des démences dégénératives les plus fréquentes1 après la maladie d'Alzheimer (MA) et sa variante à corps de Lewy.2 Elles correspondent à 20% des démences dégénératives préséniles, débutant en moyenne vers 55 ans. Leur étiologie est toujours inconnue, mais une forte composante héréditaire existe dans environ 50 à 60% des cas.1,3-6 Dans un certain nombre de familles où la DFT est liée à des traits particuliers de la maladie de Parkinson, des mutations ont été identifiées sur le gène de la protéine tau situé sur le chromosome 17 (17q21-22).7-9 Cette forme est appelée démence fronto-temporale avec parkinsonisme liée au chromosome 17 (DFTP-17). Par ailleurs, une mutation sur le chromosome 3 est postulée chez au moins une autre famille10 avec DFTP.
Durant de nombreuses années, la DFT était communément dénommée maladie de Pick et l'on distinguait trois sous-types en fonction de la localisation et de la sévérité de l'atrophie corticale, et de la présence ou de l'absence d'inclusions neuronales intracytoplasmiques (corps de Pick) et/ou de neurones ballonnés. Actuellement de nouveaux critères ont été définis pour les DFT,11 basés sur la description de soixante cas avec confirmation neuropathologique. Une conférence de consensus a également eu lieu pour définir les DFT avec parkinsonisme liées au chromosome 17.7La classification en sous-types est essentiellement basée sur des critères neuropathologiques.
Les différents types de DFT sont indistinguables les uns des autres sur le plan clinique mais ils sont bien différents de la MA (tableau 1). Le début de la maladie est insidieux et souvent même la famille d'un patient ne peut affirmer avec certitude quand les troubles ont commencé. Les premiers signes cliniques consistent en un changement de la personnalité et/ou des troubles du comportement. Des signes tels que l'apathie, le repli sur soi, l'inertie, le désintérêt sont fréquemment mal interprétés et considérés comme des troubles de l'humeur, ou des troubles dépressifs. Un examen neuropsychologique mettra toutefois en évidence un dysfonctionnement frontal. Une certaine négligence corporelle, un autre signe cardinal de la maladie, apparaît dès le début de la maladie. Ainsi un patient omettra de changer de vêtements régulièrement ou négligera les mesures d'hygiène. Les stéréotypies motrices, comme le boutonnage répété de la chemise, ou les stéréotypies verbales, com-me la répétition d'une même phrase, apparaissent plutôt dans un stade plus tardif, de même que des phénomènes de désinhibition. Ainsi les patients s'habilleront d'une façon extravagante, ou dépenseront de l'argent sans compter. Une irritabilité inexplicable ou de l'agressivité font aussi partie du tableau clinique.
L'orientation temporo-spatiale est préservée au début de l'évolution. Les patients ont des repères temporels et connaissent exactement l'heure du repas ; ils ne se perdent pas dans des lieux connus. Les troubles cognitifs, contrairement à ce qui se passe dans la MA, n'apparaissent que vers la fin de l'évolution et l'examen neuropsychologique révèle alors une atteinte frontale sévère en l'absence d'amnésie et d'aphasie. Comme la MA, la DFT s'achève par une démence sévère. Notons encore que les signes dominants dépendent toujours de la localisation des lésions : inertie en cas d'atteinte du cortex frontal dorso-latéral, stéréotypie en cas d'atteinte sous-corticale (à la suite de l'atteinte des connexions corticales et cortico-sous-corticales), désinhibition en cas de lésions du cortex orbito-frontal et temporal.2,11,12
Les examens paracliniques peuvent contribuer au diagnostic. L'EEG est normal, mais l'imagerie cérébrale peut faciliter le diagnostic différentiel : une anomalie frontale et/ou temporale est visible sur les images structurelles et fonctionnelles sans que les régions pariétales soient sévèrement atteintes.
Certains cas de DFT sont accompagnés d'atteintes du système moteur, soit du type de la maladie de Parkinson, soit du type de la maladie des motoneurones (DMN). Cette dernière, qui peut être associée à la DFT correspond à la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et présente les si-gnes cliniques de paralysie bulbaire progressive (dysarthrie, dysphagie), d'atrophie et de faiblesse musculaire progressive ainsi que de fasciculations.
Le tableau clinique décrit précédemment recouvre plusieurs formes neuropathologiques. Il y a eu de nombreuses tentatives de classification basées sur les différences histologiques.13,14 Aujourd'hui on se réfère surtout au travail de consensus effectué par le groupe de Lund et de Manchester,11 qui a défini de nouveaux critères cliniques, neuropathologiques
et immuno-histochimiques selon lesquels on peut différencier trois formes principales :
1. la DFT sans lésions histologiques spécifiques («frontal lobe degeneration type») ;
2. la DFT de type Pick («Pick type») ;
3. la DFT du type de la maladie des motoneurones («motor neuron type»).
La première forme est souvent appelée simplement DFT, tandis que la deuxième est encore appelée maladie de Pick. Cette première forme est environ quatre fois plus fréquente que la maladie de Pick.4,13 Bien qu'aucune différence majeure ne soit présente au niveau macroscopique, excepté une atrophie plus marquée et une asymétrie hémisphérique fréquente dans la maladie de Pick, les différences microscopiques sont évidentes (tableau 2). Les lésions histologiques corticales sont principalement la spongiose, la gliose, la perte neuronale et la présence d'inclusions intracytoplasmiques dans certains neurones. Ces inclusions correspondent à des dépôts protéiques caractérisant la maladie. Si l'on analyse la distribution des lésions histologiques dans la maladie de Pick, toutes les couches du néocortex fronto-temporal sont touchées, tandis que dans la DFT et dans la maladie des motoneurones associée à une démence, les couches superficielles sont principalement affectées. La spongiose et la gliose sont présentes dans chacune des trois formes, mais l'astrocytose est plus prononcée dans la maladie de Pick. Les corps de Pick, inclusions intraneuronales marquées principalement en immunohistochimie par un anticorps contre la protéine tau (tau-positives), ne sont présents que dans maladie de Pick (fig.1). Les inclusions intraneuronales marquées par un anticorps contre l'ubiquitine (ubiquitine-positives) dans la fascia dentata et les couches superficielles du cortex temporal et frontal caractérisent les cas associés à une atteinte des motoneurones (fig.2). Toutefois les corps de Pick peuvent aussi être marqués par l'ubiquitine.
Actuellement on s'intéresse particulièrement à la présence de ces inclusions ubiquitine-positives et tau-négatives dans certains cas de démence fronto-temporale, car bien qu'elles aient été impliquées dans l'atteinte des motoneurones associée à une DFT,11,15-17 elles ont aussi été observées, dans des cas de DFT sans signes cliniques de la maladie des motoneurones.15,18-21 Bergmann et coll.22 suggèrent un mécanisme étiopathologique commun à ces deux formes de DFT.
Notons finalement que la présence d'inclusions ubiquitine-positives a été observée dans des cas sporadiques de DFT avec parkinsonisme (DFTP).13,23 Nous avons nous-mêmes identifié ce type de lésions dans une famille DFTP avec une transmission dominante de la maladie.24
Le syndrome clinique de DFT est composé d'un groupe hétérogène de pathologies bien distinctes de la maladie d'Alzheimer, présentant d'une part une variété de symptômes neuropsychologiques dépendant de la localisation des lésions, et d'autre part la présence ou l'absence de symptômes neurologiques, tels que les signes de la maladie des motoneurones ou des signes extrapyramidaux.
Cette hétérogénéité clinique est associée à une hétérogénéité neuropathologique comprenant des aspects histologiques et immunohistologiques distincts. L'existence d'un continuum neuropathologique entre les sous-types de DFT apparaît toutefois bien réelle en raison, notamment, des progrès faits dans l'étude des inclusions ubiquitine-positives et tau-négatives. Ce continuum pourrait expliquer dans une certaine mesure le recouvrement des différents sous-types et la présence de formes intermédiaires, ce qui rend leur distinction d'autant plus difficile. Dans un certain nombre de cas, des facteurs généti-ques sont reconnus et d'autres seront probablement identifiés dans les prochaines années.