L'état fébrile sans foyer (EFSF) chez l'enfant en bas âge est un problème fréquent en pédiatrie ; il peut être accompagné d'un risque non négligeable d'infection bactérienne sérieuse (IBS). Cette étude a pour but d'évaluer l'apport des examens complémentaires, et tout particulièrement de la protéine C-réactive (CRP), dans le dépistage des IBS. Sur 236 enfants de moins de 24 mois qui présentaient un EFSF, on a retrouvé 49 IBS (21%). Lorsque la durée de l'état fébrile est supérieure à douze heures, la CRP 20 mg/l montre une bonne sensibilité (87%) et une valeur prédictive négative (95%) dans le dépistage des IBS ; avec une puissance de dépistage supérieure aux évaluations cliniques et à la formule sanguine. Les mesures de CRP effectuées sur du sang capillaire à l'aide d'un kit rapide se sont montrées fiables. Ces résultats nous incitent à proposer la CRP comme examen systématique de dépistage des IBS lors d'un EFSF chez le jeune enfant (< 2 ans).
Les enfants présentant un état fébrile constituent une fraction importante des con-sultations d'urgence en pédiatrie. En particulier, l'état fébrile sans foyer (EFSF) (voir définition ci-dessous) est un problème majeur chez l'enfant de moins de 24 mois, car il est associé à un risque non négligeable de bactériémies occultes (3-12%), pouvant évoluer dans 5-10% des cas vers une infection bactérienne sérieuse (IBS) (voir définition).1-4 On connaît des caractères spécifiques aux fréquences d'apparition d'IBS, aux bactéries susceptibles d'infections invasives et aux possibles complications chez le nourrisson. S'ajoutent, chez l'enfant en bas âge, d'une part, l'impossibilité d'avoir des données anamnestiques directes par l'enfant, d'autre part, la difficulté du dépistage des IBS à travers les signes cliniques, qui sont souvent peu spécifiques et moins apparents que chez l'adulte et l'enfant plus âgé.5
Dans la prise en charge des EFSF, nous avons à répondre à la question suivante : s'agit-il d'un état fébrile dû à une infection bactérienne, à une infection virale ou à un autre syndrome inflammatoire ? La prise de décision concernant en particulier l'hospitalisation et le traitement antibiotique de l'enfant dépendra de la réponse à cette question. De multiples études ont essayé de standardiser l'approche des états fébriles chez l'enfant en bas âge : certains auteurs préconisent une hospitalisation et un traitement antibiotique systématiques, d'autres proposent un suivi en ambulatoire avec traitement antibiotique d'emblée, ou encore une attitude nettement moins contraignante se basant principalement sur l'évaluation clinique.2,6-9
Vu les difficultés rencontrées chez les enfants qui consultent pour un EFSF, nous sommes souvent obligés d'avoir recours à des examens paracliniques complémentaires. Les plus fréquemment utilisés dans ce contexte sont la formule sanguine complète (FSC), l'hémoculture, l'examen des urines et du liquide céphalo-rachidien, ainsi que la radiographie du thorax. La protéine C-réactive (CRP) a également été proposée comme aide diagnostique dans la prise en charge des EFSF, et différentes études en ont démontré l'utilité.10-13
L'objectif de notre étude était de trouver, parmi les examens paracliniques, le test le plus sensible et spécifique, présentant l'avantage d'être simple, rapide, adapté aux possibilités du praticien et peu coûteux.
En pédiatrie, lorsqu'on prescrit des analyses sanguines, on se trouve souvent confronté aux difficultés techniques qu'elles engendrent, en particulier pour les prélèvements veineux. Elles provoquent un stress non négligeable pour l'enfant lui-même, pour ses parents et les équipes soignantes. Les examens effectués sur de petites quantités de sang (prélèvement en capillaire) constituent alors un réel avantage, surtout s'ils réunissent les bénéfices nommés ci-dessus.
Il existe sur le marché différentes méthodes de dosage de la CRP ; la plus fréquemment utilisée est la méthode quantitative par néphélométrie, par polarisation de fluorescence ou par turbidimètre, mais on retrouve également des méthodes semi-quantitatives sur une base immunométrique sous forme de «kits» rapides.
Il s'agit d'une étude prospective sur douze mois consécutifs d'août 1993 à août 1994 effectuée aux Urgences médico-chirurgicales de pédiatrie de l'Hôpital universitaire de Genève. Ont été inclus dans l'étude tous les enfants de moins de 24 mois ayant consulté pour un EFSF, comme défini ci-contre, soit directement aux urgences de pédiatrie ou par l'intermédiaire de leur médecin traitant. Les enfants en phase néonatale précoce (sept premiers jours de vie) étaient exclus de cette étude, ainsi que les malades sous chimiothérapie et ceux soignés aux antibiotiques dans la semaine précédant la consultation. Dans tous les cas, nous avons enregistré l'état général et la température constatés à l'arrivé aux urgences, ainsi que la durée de l'état fébrile. Sachant qu'il y a une latence de plusieurs heures entre le stimulus inflammatoire et la hausse de la concentration de CRP mesurable dans le sang,11,14 nous avons décidé de prendre en considération uniquement les enfants fébriles depuis plus de douze heures. Chaque patient a bénéficié d'un bilan complémentaire comprenant une formule sanguine complète (FSC) avec sa répartition, une hémoculture et une culture d'urine. Selon l'appréciation du médecin, le bilan était complété par une ponction lombaire, une radiographie du thorax et des cultures de selles. Un dosage de la CRP par polarisation de fluorescence (CRP-TDx ®) a été effectué pour chacun d'eux et en vue d'une éventuelle utilisation large de la CRP comme examen de dépistage en routine, nous avons complété notre étude par l'évaluation d'un test rapide de détermination de la CRP (Nycocard ® Hafslund Nycomed), réalisable sur des quantités de sang minimales.
Le suivi de ces enfants se faisait soit en hospitalisation, par un temps d'observation avec ou sans traitement antibiotique, ou, si l'état clinique le permettait, à domicile. Selon les résultats bactériologiques et l'évolution clinique, nous décidions, après 72 heures, de l'arrêt ou de la poursuite du traitement antibiotique. La Commission d'éthique a avalisé cette étude.
Pour la CRP, l'analyse statistique s'est basée sur les valeurs des médianes et leurs quartiles, pour les comparaisons entre groupes, nous avons effectué des tests non paramétriques («Wilcoxin test») ou le t-Test. Une valeur de p < 0,05 a été considérée comme significative. Les différentes méthodes de mesure ont été comparées entre elles visuellement à l'aide des courbes de ROC (Receiver Operating Curves).
Pendant la période d'étude, près de 1800 enfants de moins de 24 mois (ce qui correspond à environ 10% du total des con-sultations d'urgence en pédiatrie) ont été vus pour un état fébrile. Etaient inclus dans cette étude 236 enfants avec un EFSF (température supérieure à 38° d'une durée de plus de douze heures), l'âge moyen était de 9,1 mois (DS 6,9 mois), le sexe ratio garçons/filles de 1,27. Sur ce nombre, 127 (54%) enfants ont été hospitalisés dont 107 (84%) avec un traitement antibiotique ; parmi les 109 enfants (46%) qui ont pu rentrer à domicile, 85 (78%) ont reçu un traitement antibiotique p.o.
Pour les 236 EFSF, les diagnostics retenus sont résumés dans la figure 1 et se classent en infections bactériennes sérieuses (IBS) et autres états fébriles, ceux-ci regroupent les infections bactériennes non invasives (otites moyennes, infections urinaires basses...), les infections virales prouvées ou fortement probables ainsi que d'autres maladies inflammatoires. En particulier, le diagnostic de pyélonéphrite était posé en présence d'une culture d'urine positive à > 104 germes (deux germes au plus) associée à une pathologie de la scintigraphie rénale (29x) ou de l'échographie rénale (2x). En ce qui concerne le diagnostic de méningite, 76 ponctions lombaires ont été effectuées. Elles ont permis de poser vingt fois (26%) le diagnostic de méningite ; dans douze cas, il s'agissait d'une méningite aseptique et dans huit cas d'une méningite bactérienne (méningocoque 2x ; pneumocoque 3x ; listeria 1x, staphylocoques 1x, tuberculose 1x). Le diagnostic de pneumonie lobaire était confirmé par une radiographie de thorax.
Parmi les 49 IBS, on retrouve treize patients avec une hémoculture positive, données résumées dans le tableau 1. Pour dix d'entre eux, il y avait un foyer associé.
Les paramètres cliniques et paracliniques ont été reportés aux sous-groupes diagnostiques définis préalablement, soit IBS ou autre état fébrile. Ils ont été évalués pour le dépistage des IBS par leurs valeurs de sensibilité, spécificité et valeurs prédictives (tableau 2). La valeur limite pour la CRP (mesures effectuées par la méthode de polarisation de fluorescence) a été posée à 20 mg/l, se basant sur la meilleure association sensibilité-spécificité.
On constate que le dépistage à l'aide des paramètres cliniques étudiés (état général et degré de la fièvre) est insatisfaisant et que la FSC est peu contributive. La CRP est un paramètre plus intéressant : par sa bonne valeur de la sensibilité, elle permet de dépister neuf IBS sur dix et la bonne valeur prédictive négative permet à son tour d'exclure une IBS dans plus de 95% des cas lorsqu'on mesure une valeur de la CRP inférieure à 20 mg/l.
L'analyse quantitative des valeurs de CRP (médianes et quartile), ajustée aux quatre sous-groupes d'âge, nous montre (fig. 2) que pour toutes les classes étudiées, la différence entre les valeurs de la CRP pour les IBS et les autres états fébriles est significative (p< 0,05).
La comparaison (fig. 3) des deux méthodes de CRP entre elles, évaluée pour le dépistage des IBS, montre bien visuellement qu'il n'y a pas de différence significative entre les deux méthodes de mesures (représentées à l'aide des courbes de ROC). On retrouve même une légère supériorité pour la méthode rapide (kit -Nycocard ®) : pour une valeur seuil de la CRP > 20 mg/l, la sensibilité pour le dépistage des IBS est de 97% et la valeur prédictive négative de 98%. Une valeur de CRP fixée à 40 mg/l nous donne une sensibilité de 89% et une VPN de 96%.
Dans notre collectif, un patient sur cinq avec un EFSF avait une IBS. Ce taux est très important et supérieur aux données retrouvées généralement dans la littérature.2,3,6 Cette discordance peut être expliquée par un certain biais de sélection : nous n'y avons inclus que des enfants avec un état fébrile d'une durée supérieure à douze heures ; et il s'agissait, en outre, d'une population déjà en partie sélectionnée par les médecins de ville.
L'examen des hémocultures qui est reconnu comme étant un des «gold-standards» du diagnostic des IBS nous a permis de retrouver dans treize cas (soit 5,8%) une bactériémie, le plus souvent associée à un foyer infectieux. Ce taux de bactériémies correspond aux données de la littérature.1,3,11 Il est intéressant de constater que l'IBS la plus fréquemment retrouvée était l'infection urinaire haute. La comparaison de la répartition des diagnostics avec d'autres études est difficile à établir du fait des différences dans les critères d'inclusion (âge, définition de l'état fébrile, durée de la fièvre).
La corrélation entre la gravité de l'infection IBS ou autre EF et les données cliniques (appréciation de l'état général et température) n'est pas satisfaisante. Une approche plus systématique par un score clinique, tel qu'il a été proposé par McCarthy,15 donnait de meilleurs résultats ; ces résultats n'ont par contre pas pu être reproduits systématiquement. L'évaluation des examens paracliniques montre bien que les critères du nombre des globules blancs (> 15 000/µl) ou des neutrophiles (> 1500/µl), alors qu'ils sont souvent utilisés en pratique,6 ne permettent pas, pris isolément, d'affirmer ou d'infirmer le diagnostic d'IBS. Parmi les examens complémentaires, la CRP montre la meilleure capacité de dépistage d'une infection invasive, à la condition toutefois que la durée de la fièvre dépasse douze heures. En associant cette méthode à une formule sanguine pathologique, on peut atteindre une sensibilité de dépistage supérieure à 90%. La bonne valeur prédictive négative nous permet de dire qu'une CRP normale après douze heures d'évolution d'un état fébrile écarte avec une forte probabilité une IBS.
Le but de notre étude était d'élaborer un schéma décisionnel pour la prise en charge des EFSF, incluant une proposition d'examens complémentaires utiles et indispensables pour le dépistage des IBS. Imposer des examens de routine doit se justifier par un bénéfice évident. Ce bénéfice résulte d'une appréciation plus exacte du diagnostic pour un choix plus pertinent des investigations ultérieures et une meilleure décision thérapeutique. Le choix de retenir ou non un examen supplémentaire comme aide au diagnostic ne peut donc se faire qu'après une évaluation rigoureuse de ses avantages et inconvénients par rapport à ceux préexistants. Nous avons pu démontrer que la CRP (par sa bonne sensibilité et valeur prédictive négative) fournit une aide précieuse dans le dépistage des IBS et qu'elle a des avantages par rapport à la formule sanguine complète dans la prise en charge des EFSF. Ces résultats pourraient nous permettre de suivre un plus grand nombre d'enfants à domicile sans nécessairement prévoir une hospitalisation et un traitement antibiotique.
Avant de pouvoir instaurer un nouveau test de dépistage dans notre cas la détermination semi-quantitative de la CRP par un kit rapide il fallait vérifier s'il fournissait une information fiable en le comparant avec les méthodes con-nues. Nous avons pu démontrer que le kit rapide donne une information valide, que les résultats obtenus (sensibilité et VPN) pour le dépistage des IBS sont satisfaisants et même légèrement supérieurs à ceux obtenus avec les méthodes courantes.
Les conclusions de cette étude sont basées sur un collectif de patients vus dans un service hospitalier. Il nous semble néanmoins possible de pouvoir généraliser nos résultats pour le milieu ambulatoire, compte tenu du fonctionnement de notre service d'urgence, auquel beaucoup d'enfants sont conduits en première intention. La démarche entreprise dans ce travail visait à prendre en considération un double souci : une sécurité maximale et le confort de l'enfant. Elle peut d'autant mieux être envisagée que se conjuguent un milieu familial averti et une pratique médicale vouée à de très jeunes enfants.