L'expansion en culture de cellules souches hématopoïétiques totipotentes et de progéniteurs hématopoïétiques permettrait d'obtenir plus de cellules ciblées pour la transplantation, la thérapie génique et l'immunothérapie des cancers. Le but de l'amplification des cellules souches est l'induction d'une prolifération permettant aux cellules obtenues de maintenir leur caractéristique de cellule primitive, c'est-à-dire la capacité de reconstituer l'hématopoïèse à court et à long terme après greffe. Alors que la production en plus grand nombre de progéniteurs hématopoïétiques limités à une lignée spécifique ou leur différenciation terminale, par exemple, en cellules dendritiques, est possible, les résultats concernant une expansion in vitro des cellules souches en nombre significatif restent à améliorer. Les connaissances du fonctionnement et surtout des mécanismes qui contribuent au renouvellement des cellules souches hématopoïétiques, doivent progresser encore avant que cet énorme potentiel thérapeutique redevienne utilisable.
La présence des cellules souches hématopoïétiques (CSH) dans le sang du cordon ombilical des nouveau-nés est connue depuis 1974.1 Le sang du cordon est une source précieuse de cellules souches, faciles à obtenir après le clampage du cordon et sans danger pour la maman ou le bébé. Comparé à une moelle osseuse d'enfants et d'adultes, le sang du cordon prélevé est d'un volume limité mais contient davantage de CSH. Celles-ci ont de plus grandes capacités de renouvellement et de prolifération après stimulation avec des cytokines in vitro. De plus, ces cellules prélevées précocement devraient être plus souvent exemptes d'infection virale.2 Les CSH peuvent être cryopréservées pendant des années et rendent possible le développement de banques de sang du cordon. Ces banques pourraient être utiles aux patients qui sont atteints d'une maladie touchant les cellules souches et dont la guérison ne peut être obtenue que par une transplantation de CSH allogénique, en l'absence de donneur HLA identique dans leur fratrie ou d'un donneur HLA compatible non apparenté. Il s'agit surtout des patients avec une leucémie ou un déficit immunitaire. Ces banques de sang du cordon existent déjà à New York, Francfort, Milan et Barcelone et sont en voie d'être établies en Suisse.
La première greffe de cellules souches du sang de cordon a été effectuée en 1988 chez un enfant atteint d'une maladie de Fanconi, avec comme résultat une reconstitution complète de son hématopoïèse.3 Depuis 1989, plus de 500 greffes de cellules souches du sang du cordon ont été réalisées dans le monde. La première analyse publiée (cas-contrôles appariés) comparant les résultats des transplantations non apparentées à partir de sang du cordon ou de moelle osseuse, déplétée partiellement en lymphocytes T (pour réduire les risques de maladie greffe contre hôte) démontre des avantages prometteurs pour le sang du cordon chez des enfants. A cause de l'immaturité du système immunitaire du nouveau-né, le risque de maladie greffe contre hôte aiguë est significativement diminué (4% pour le sang du cordon, 16% pour la moelle osseuse T déplétée). De plus, la survie des patients avec une leucémie est meilleure (76% pour le sang de cordon, 42% pour la moelle osseuse T déplétée après un an), bien que le temps pour la reconstitution des neutrophiles (27 jours pour le sang du cordon, 16 jours pour la moelle osseuse) et des plaquettes soit fortement prolongé.4 Les rechutes après transplantation à partir des deux sources des CSH restent cependant les mêmes.
L'expansion in vitro des CSH permettrait de raccourcir le temps d'aplasie après greffe et de pouvoir greffer des patients adultes sans limitation par rapport au poids (maintenant limité à
D'autre part, la possibilité de la différenciation des CSH in vitro vers une lignée spécifique, par exemple, en cellules dendritiques ouvre un nouveau domaine fascinant, le traitement immunologique des cancers et le développement de vaccins antitumoraux.
Les CSH se trouvent parmi les progéniteurs hématopoïétiques identifiés par l'expression à la surface cellulaire de l'antigène CD34, détecté par exemple en cytométrie de flux. Ces CSH sont caractérisées par la capacité de renouvellement qui maintient un réservoir de cellules primitives malgré la production des précurseurs de toutes les lignées du sang, cellules érythroïdes, myéloïdes, lymphoïdes et plaquettes. Cependant, la proportion des CSH capables de reconstituer l'hématopoïèse à court et à long terme après ablation de la moelle est estimée à seulement environ 0,1% - 1% de toutes les cellules CD34+. En d'autres termes, la majorité de ces cellules CD34+ coexprime déjà d'autres antigènes de surface (comme le CD33, CD42b, Glycophorin, CD19, CD2) démontrant qu'il s'agit bien de progéniteurs déjà engagés vers une lignée spécifique (myéloïde, plaquettaire, érythroïde, lymphocytes B ou T, respectivement). Dans une étude récemment publiée, l'analyse phénotypique et fonctionnelle des cellules CD34+, dépourvues de marqueurs spécifiques d'une lignée, indiquerait que la cellule souche primitive coexprime le récepteur «KDR» ou vascular endothelial growth factor receptor 2 (VEGFR2), ce qui permettrait de faire une distinction entre les CSH (CD34+ KDR+) et les progéniteurs engagés dans la différenciation (CD34+ KDR-).5Ceci devra être confirmé dans des expériences ultérieures. Actuellement, la fonction de reconstitution hématopoïétique par les CSH ne peut être identifiée que par la descendance obtenue in vitro (culture à long terme) ou in vivo (développement d'une hématopoïèse humaine dans la moelle d'une souris immunodéficiente NODSCID ou d'un mouton nouveau-né). Aucun de ces tests ne permet d'évaluer directement les cellules souches primitives. Si la coexpression du récepteur KDR sur les cellules CD34 était confirmée comme marqueur de la CSH, la détection et le suivi de la cellule primitive hématopoïétique, utilisée en culture ou en thérapie, seraient grandement facilités.
L'espoir d'arriver à amplifier les cellules souches in vitro dérive des observations cliniques de la transplantation des CSH autologues ou allogéniques. Après destruction des CSH de la moelle osseuse du re-ceveur par radio-chimiothérapie, une petite quantité des cellules CD34+, comparée au nombre normalement présent dans le corps, est injectée par voie intraveineuse et suffit à reconstituer l'hématopoïèse à court et long ter-me. Les CSH présentes parmi ces cellules retrouvent leur place dans la moelle osseuse (homing) sous l'influence de chémokines produites par les cellules stromales (comme le stroma derived factor 1 qui agit sur le récepteur CXCR4) et à l'aide de molécules d'adhésion à la surface des cellules CD34 (comme le VLA-4 = very late activating antigene 4). La reconstitution permanente avec une petite quantité des CSH suggère qu'un nouveau compartiment des cellules souches amplifiées est créé par renouvellement intense des cellules primitives, assumant la production des différentes lignées de cellules matures pendant toute la vie. La régulation du renouvellement et de la production des cellules différenciées est flexible, répondant à des signaux homéostatiques et ne suit pas un schéma rigide de «division cellulaire asymétrique» où il y a toujours une cellule primitive et une cellule différenciée après chaque division.6
La possibilité d'obtenir une amplification des CSH in vitro, c'est-à-dire l'induction de la multiplication des CSH en l'absence de toute différenciation, est étudiée dans différents laboratoires, y compris le nôtre. Après isolation des cellules CD34 du sang du cordon, ces cellules sont le plus souvent placées dans des conditions de culture imitant le microenvironnement de la moelle osseuse. Différentes combinaisons de facteurs de croissance (cytokines) sécrétés habituellement par les cellules stromales sont ajoutées, favorisant ainsi soit la prolifération des cellules immatures (FLT3-ligand, stem cell factor), soit la différenciation envers une lignée de cellules matures (érythropoïétine, granulocyte-colony stimulating factor,interleukine 4), ou les deux (thrombopoïétine).
L'amplification des progéniteurs hématopoïétiques engagés vers une lignée et leur différenciation en cellules matures sont réalisables in vitro en nombre significatif. Dans notre expérience, une prolifération des cellules totales d'environ 10 000 fois (fig. 1) et des cellules CD34 + d'environ 100 fois (fig. 2), par rapport à la valeur initiale, peut être obtenue, en l'absence de sérum xénogène, après cinq semaines de culture dans des conditions maintenant préférentiellement les progéniteurs immatures. Ces valeurs peuvent être augmentées en utilisant certains facteurs de croissance qui favorisent la différenciation des progéniteurs (comme l'interleukine 3). Pour le clinicien, l'espoir a été évoqué de pouvoir abréger le temps d'aplasie après une greffe en injectant des progéniteurs partiellement stimulés à la maturation, in vitro. Cependant, dans l'étude initiale utilisant des cellules amplifiées en culture pendant douze jours, la reconstitution de l'hématopoïèse n'était pas plus courte en comparaison avec des cas historiques.7 Entre-temps, une toute nouvelle étude a pu démontrer que le temps pour la reconstitution des neutrophiles (1,5 jour au lieu de 8-10 jours) ainsi que la sévérité de la neutropénie ont été significativement améliorés après greffe en injectant des cellules amplifiées in vitro avec des cellules non manipulées.8
Dans la plupart des conditions de culture, il y a une prédilection pour la prolifération des progéniteurs engagés vers la ligne myéloïde au détriment des autres lignées du sang. Cependant, toutes les lignées du sang peuvent être produites dans des conditions de culture adaptées, y compris les cellules dendritiques.9 Ces cellules présentent un antigène aux cellules T sous forme de peptide dans le puits des molécules HLA. Les cellules T peuvent reconnaître cet antigène étranger ou «self» modifié, par une réaction immunologique détruisant les cellules exprimant cet antigène. L'induction de la réponse T nécessite des cellules dendritiques qui sont très rares dans le sang. L'identification d'un tel antigène sur des cellules tumorales et non sur les autres tissus du corps, permet d'utiliser dans le traitement de certains cancers des cellules dendritiques obtenues en culture et chargées avec l'antigène spécifique. Beaucoup de centres de recherche travaillent dans ce domaine ainsi que dans le développement des vaccins antitumoraux.
La prolifération simultanée des progéniteurs hématopoïétiques et des cellules matures dans la même culture pendant une période de six mois donne la meil-leure preuve du maintien d'une cellule primitive en culture responsable de la prolifération continuelle des cellules.10 De plus, plusieurs études démontrent qu'il est possible de maintenir des CSH en culture, capables de coloniser la moelle des souris NOD-SCID, d'y proliférer activement et de produire des précurseurs de tou-tes les lignées lymphoïdes et myéloïdes, et ce pendant au moins quatre à six mois indiquant qu'il y a des divisions in vitro de cellules totipotentes.11 Par ailleurs, certaines études ont démontré la conservation de la multipotentialité à l'échelon clonal des cellules implantées dans un premier hôte par la capacité à reconstituer trois mois plus tard un receveur secondaire.12 Cependant, la conduite de telles études est limitée par l'importance du travail impliqué dans le maintien des souris immunodéficientes et les délais pour obtenir les résultats.
L'amplification de cellules phénotypiquement primitives en nombre significatif peut être induite en culture en ajoutant des cytokines agissant surtout sur les cellules souches comme la thrombopoïétine, le FLT3-ligand et le stem cell factor. Ces trois facteurs de croissance sont reconnus comme facteurs-clés dans l'amplification des CSH in vitro. Dans quelques études, y compris la nôtre,13 l'utilisation d'un colorant de membrane fluorescent dilué au gré des mito-ses a permis de montrer la permanence du phénotype de cellules primitives malgré leur prolifération.
Cependant, l'induction du cycle cellulaire et de la prolifération d'une cellule primitive en culture, dans un milieu enrichi en cytokines, pourrait être associée avec des changements qui affectent la fonction même des cellules primitives. La transition du cycle cellulaire de G0 à G1 et l'addition de certaines cytokines modulent l'expression et l'état d'affinité des molécules d'adhésion (par exemple, des intégrines VLA-4) ce qui pourrait modifier les propriétés de homing des cellules amplifiées dans ces conditions.14
A ce jour, les résultats d'une série d'études concernant l'amplification des cellules primitives en culture ont démontré qu'un maintien des CSH en culture pendant plusieurs semaines est possible et qu'une augmentation des CSH d'environ trois à cinq fois en dix jours peut être obtenue. Comme le homing des CSH humaines dans les souris, est très inefficace, il est possible qu'une amplification plus importante soit en effet induite in vitro.15
Nous espérons pouvoir utiliser le potentiel thérapeutique énorme offert par l'expansion in vitro des cellules sou-ches hématopoïétiques pour la greffe, la thérapie génique des CSH et le traitement immunologique des cancers dans un avenir proche. Pour y parvenir, nous devons d'abord approfondir nos connaissances sur la biologie des cellules souches. Une attention spéciale devrait être appliquée aux mécanismes qui déterminent le renouvellement de «l'état primitif» d'une cellule souche après division par rapport à la différenciation. Dans ce contexte, l'étude détaillée des premières divisions cellulaires et des changements qui peuvent être induits dans différentes conditions de culture est d'une grande importance. L'étude des mécanismes permettant même de reprogrammer certains progéniteurs en cellules souches multipotentes pour les différencier ensuite vers une autre lignée hématologique présente un intérêt considérable pour le futur.