Le lupus érythémateux disséminé (LED) atteint préférentiellement les femmes en âge de procréa-tion, est associé à un excès d'strogènes et prolactine, une diminution de la déhydroépian-drostérone. Bien que le risque lié à la contraception orale, la substitution hormonale et l'induction d'ovulation soit faible dans la population générale, ces thérapies doivent être administrées avec précaution chez les femmes avec LED. La grossesse ne devrait être programmée que chez la femme lupique avec maladie contrôlée, et accompagnée d'un suivi rigoureux. La morbidité ftale est liée à une maladie rénale active, le syndrome anti-phospholipide est associé à des avortements spontanés à répétition et la présence de l'anti-corps anti-SSA/Ro chez la mère est un facteur de risque pour la survenue d'un bloc de conduction cardiaque foetal ou d'un lupus néonatal.
Le lupus érythémateux disséminé (LED), ou pour d'autres appelé aussi systémique, est une affection auto-immune liée à des facteurs génétiques, environnementaux et hormonaux, caractérisée par la production d'anticorps non spécifiques d'organe, menant à une réponse inflammatoire excessive et à des atteintes d'organe variées parmi lesquelles on trouve une atteinte rénale, cutanée, articulaire, vasculaire, hématologique et neurologique.
La prévalence du LED aux Etats-Unis est actuellement comprise entre 40 et 50 cas par 100 000 habitants. L'incidence annuelle tant europé-enne qu'américaine est estimée à 2-8 cas par
100 000 habitants, celle-ci ayant triplé ces 40 dernières années, phénomène probablement dû à une détection plus précise des cas peu sévères.1 Les caractéristiques épidémiologiques du LED semblent être gouvernées par différents facteurs, notamment géographiques, raciaux, sexuels et génétiques.
Parmi les différentes maladies auto-immunes, le LED est probablement celle qui possède la plus forte prédilection pour le sexe féminin. En effet, 85% du nombre total de cas de LED surviennent chez la femme, et l'incidence la plus élevée se retrouve chez la femme en âge gestationnel, soit entre 20 et 50 ans. La répartition entre les deux sexes est d'ailleurs très différente selon la classe d'âge considérée. Chez les enfants prépubères, le LED touche environ trois filles pour un garçon. Chez les adultes, le rapport est compris entre 8 : 1 et 13 : 1, alors que chez les personnes âgées, cette proportion chute à 2 : 1.2
Plusieurs études sur des modèles murins de LED ont démontré le rôle des hormones sexuelles dans le développement de la maladie. En effet, lors d'exérèse gonadique chez les souris lupiques, il a été observé que les souris mâles ayant perdu leur source d'androgènes mourraient plus précocement, alors que les souris femelles ayant perdu leurs ovaires, et donc déplétées en strogènes, avaient une survie prolongée. L'administration d'strogènes chez la souris lupique entraîne presque invariablement une exacerbation de la maladie, tandis que l'apport exogène d'androgènes se traduit généralement par une amélioration clinique.3 Ces observations chez l'animal ont confirmé le rôle que les hormones sexuelles ont dans la maladie lupique. La synthèse normale des hormones sexuelles depuis le cholestérol implique le système enzymatique oxydatif du cytochrome P450, et du gène CYP19 qui code pour l'aromatase, enzyme responsable de la conversion des androgènes en strogènes (androsténédione Æ estrone, testostérone Æ estradiol), dérivés qui subissent ensuite différentes modifications, dont notamment une 16 a-hydroxylation de l'estradiol en estriol, molécule terminale avec un potentiel strogénique supérieur aux formes non hydroxylées. Bien qu'il n'existe pas d'études sur la relation entre le taux d'hormones dans une phase présymptomatique et le risque de développer un LED, un taux significativement réduit d'androgènes a été rapporté chez des patients masculins et féminins avec LED et en particulier la déhydroépiandrostérone (DHEA) est très abaissée chez les patientes lupiques. De plus, il a été observé que la 16 a-hydroxylation de l'estradiol chez les patients avec LED et leur parenté est augmentée par rapport à celle de la population contrôle. En revanche, les patientes présentant un cycle court (phase folliculaire réduite), et théoriquement exposées moins longtemps aux strogènes, ne développent pas moins de LED, ce qui relativise le rôle clé des strogènes dans le LED. L'importance des strogènes dans la maladie lupique est soulignée par une récente étude clinique portant sur 54 femmes lupiques dont le suivi supérieur à cinq ans a démontré significativement moins de poussées chez celles présentant une insuffisance ovarienne secondaire au traitement par cyclophosphamide.4
La prolactine pourrait aussi jouer un rôle non négligeable. En effet, de façon intéressante, on a retrouvé des taux élevés d'anticorps anti-ADN natif, anti-Sm, anti-SSA, et autres autoanticorps chez 32 patientes avec hyperprolactinémie en l'absence de manifestations cliniques identifiables. En outre, on retrouve fréquemment des taux élevés de prolactine chez les patients avec LED.
Si la relation entre hormones sexuelles et LED semble évidente, différentes hypothèses existent quant aux mécanismes reliant les hormones sexuelles à l'auto-immunité. Des modifications de la signalisation intracellulaire liées au récepteur pour l'antigène ou aux molécules de costimulation, l'expression d'auto-antigènes, le homing des lymphocytes, le niveau d'expression des gènes codant pour les cytokines, une modification de la balance entre lymphocytes Th1 et Th2, sont tous des mécanismes évoqués pour expliquer ce lien. Par exemple, chez les patients avec LED, les taux de l'interleukine 10 (IL-10) sont élevés. Fait intéressant, chez les patients lupiques, il a été rapporté une haute fréquence de porteurs du polymorphisme IL-10-819*C du gène promoteur de l'IL-10 qui est associé à des taux élevés d'IL-10. De plus, ce même polymorphisme correspond à une séquence d'ADN putativement capable de lier (récepteur) les strogènes (cf. article de Tiercy JM et Roux-Lombard P : Cytokines, polymorphismes, et LED, p. 502). Complexe est le rapport entre hormones sexuelles et balance entre Th1 et Th2. Si, en effet, la progestérone et la testostérone semblent favoriser une polarisation vers Th2, la prolactine et les strogènes à des doses physiologiques (cycle), une polarisation vers Th1, des doses élevées d'strogènes (grossesse) contribuent elles aussi à une polarisation vers Th2.3L'interprétation actuelle est que le «mélange» de cytokines produites sous l'influence de l'environnement hormonal généré pendant la grossesse soit important pour éviter le rejet du ftus. Puisque dans ces mêmes conditions, selon certains auteurs, on assiste à une augmentation des poussées de LED (cf. plus bas), on peut en déduire que le même mélange de cytokines soit favorable au développement de la maladie lupique. Pour rappel, les sous-populations de lymphocytes T de type Th1 produisent principalement de l'interféron gamma et de la lymphotoxine, et sont impliquées dans l'immunité à médiation cellulaire avec un pouvoir pro-inflammatoire, alors que les lymphocytes Th2 sécrètant de l'IL-4, IL-5, et IL-13 sont responsables de l'immunité humorale avec activation des cellules sécrétant des immunoglobulines et ont un pouvoir anti-inflammatoire.
Une étude de cohorte prospective portant sur 121 645 femmes a permis d'établir définitivement que l'utilisation d'une contraception orale (CO) à base d'stro-progestatifs est associée à un risque augmenté de développer un LED.5 Ce risque est faible (risque relatif RR entre 1,4 et 1,9 selon les critères utilisés pour définir le LED), ne dépend pas de la durée de la CO et n'influence pas la décision d'utiliser la CO dans la population générale. Au contraire, il est usuel d'interrompre la CO chez les patientes chez lesquelles un LED est nouvellement diagnostiqué. Cette attitude est justifiée par des cas décrits dans la littérature qui documentent l'association entre la prise de CO, même faiblement dosée (30 ou 50 µg d'éthinyl-estradiol), et le développement d'un LED ou des poussées de LED. Il faut par ailleurs dire que par-mi trois études rétrospectives qui ont essayé d'établir plus solidement ce lien chez des patientes avec LED, seulement deux ont montré une augmentation du nombre de poussées.6 Par contre, le risque d'événement thrombo-embolique associé à la CO est significativement augmenté en présence d'anticorps antiphospholipides. Cette dernière condition représente donc une contre-indication absolue à la CO. Si la contraception mécanique n'est pas acceptée par la patiente et son partenaire, certains centres américains, comme le John Hopkins Lupus Pregnancy Center (Baltimore), recommandent une contraception par l'intermédiaire de dispositifs intra-utérins si la patiente n'est pas sous immunosuppresseurs ou sous stéroïdes et si elle n'est pas susceptible aux infections gynécologiques. L'alternative est représentée par la prise de progestatifs seuls malgré la possibilité de saignements importants. Puisque la grossesse elle-même peut être associée à un risque accru de poussée de LED, dans certains cas de patientes avec LED contrôlé et stable, en l'absence d'une maladie rénale active ou d'un syndrome antiphospholipide, et avec la possibilité d'un suivi médical régulier, une CO à base d'stro-progestatifs peut être exceptionnellement offerte.7
Le bénéfice d'un traitement hormonal substitutif (THS) chez les femmes ménopausées par rapport à la prévention ou diminution de la déperdition osseuse, fluctuations de l'humeur et de la libido, et à l'augmentation du bien-être est reconnu. Dans une étude américaine prospective de cohorte portant sur 69 435 femmes, la THS a été associée à un risque relatif de développer un LED à peu près double par rapport à celui encouru par des femmes qui n'avaient jamais pris de THS.8 Par conséquent, bien qu'inférieures à celles utilisées dans la CO, les doses d'strogènes utilisées pour la THS semblent être suffisantes pour l'induction du LED chez les individus prédisposés. Ces données ont été confirmées par une étude con-trôlée effectuée en Angleterre qui a permis de définir un RR de 2,8 de développer un LED ou un lupus discoïde chez les femmes ayant recours à une THS depuis au moins 25 mois.9 A l'inverse, une étude prospective conduite à Hong Kong chez 57 patientes lupiques sur un suivi moyen de 35 mois n'a pas pu mettre en évidence de différences du nombre de rechutes entre 34 femmes qui avaient une THS et 24 qui n'en avaient pas.10 Deux autres petites études pour un total de 46 femmes avec LED, post-ménopausées, n'ont pas montré de risque accru de poussée lupique chez les femmes ayant recours à la THS. La moyenne des patientes avec LED, en raison de leur maladie et des traitements utilisés pour la contrôler, ont une ostéoporose plus marquée que les fem-mes du même âge comme contrôle. Elles sont donc plus à même de profiter des bénéfices ostéoarticulaires d'une THS.11Les avantages et les inconvénients d'une THS doivent donc être pesés pour chaque patiente avec LED et la THS ne doit pas être rejetée d'emblée en cas de LED, pour autant que la maladie soit contrôlée et stable.
L'induction d'ovulation (IO) est actuellement largement utilisée pour le traitement de différentes formes de stérilité. Différentes alternatives thérapeutiques existent, aboutissant toutes à une stimulation folliculaire et secondairement à une élévation des taux d'strogènes circulants. Bien qu'il n'existe pas d'études prospectives sur le risque d'apparition d'un LED lors d'IO, onze cas de complications lupiques, dont un mortel, survenues au cours d'IO, dont certaines associées à des fécondations in vitro (FIV), ont été décrits dans la littérature.12 Il est incidemment étonnant de constater que plusieurs de ces cas avaient des anticorps antiphospholipides, y compris celui mortel.
De manière empirique, l'utilisation d'IO peut être préconisée chez des patientes avec un LED ayant prouvé une stabilité sur les douze mois passés sans thérapie agressive, et en l'absence d'hypertension artérielle, d'atteinte rénale marquée, d'hypertension artérielle pulmonaire, de valvulopathie, d'antécédents vasculitiques et d'anticorps antiphospholipides.
La grossesse constitue un état hyperstrogénique, donc une situation pouvant théoriquement induire un LED. Néanmoins, l'incidence de survenue d'un LED au cours de la grossesse n'est pas augmentée par rapport à celle dans la population normale. Faut-il con-seiller une grossesse à une femme qui présente un LED ? Bien que les données soient parfois contradictoires, la moitié des grandes études prospectives et comparatives ont démontré que la grossesse est associée à un risque augmenté (environ 60%) d'exacerbation de la maladie.13 D'une façon générale, les poussées de LED pendant la grossesse concernent principalement la peau et les articulations, parfois avec une atteinte rénale associée qui, la plupart du temps, est transitoire avec normalisation ultérieure.13,14 Seule une minorité des patientes présente une exacerbation sévère de la maladie. Les patientes avec un diagnostic de néphrite lupique au moment de la grossesse sont à plus haut risque de présenter une poussée sévère. Néanmoins, il n'y a habituellement pas de séquelles à long terme tant qu'on maintient un bon contrôle tensionnel.13,15
La présence d'une maladie active et d'une atteinte rénale préalable (protéinurie supérieure à 2,5 g/24 h) représente les seuls facteurs prédictifs d'une morbidité ftale accrue.15 Une place particulière doit être accordée au syndrome antiphospholipide (Sy APL), dont l'association avec les avortements à répétition est bien reconnue. Si la seule présence des anticorps antiphospholipides ne représente pas un facteur de risque pour le ftus, il n'en va pas de même pour le Sy APL dont la présence, surtout avec l'anticoagulant lupique, est associée à un taux plus élevé d'avortements spontanés, principalement au deuxième trimestre.13 La présence des anticorps anti-SSA/Ro et anti-SSB/La n'est pas associée à des avortements plus fréquents chez les patientes lupiques, mais est un facteur prédictif de risque augmenté de bloc de conduction atrio-ventriculaire (BAV, jusqu'au troisième degré et irréversible) chez le ftus, et de lupus néonatal (atteinte cutanée et thrombopénie transitoires) chez le nouveau-né. Buyon et coll. (données non publiées) ont quantifié le risque de survenue d'un bloc cardiaque à environ 1-2%, et inférieur à 1% pour le lupus néonatal si la mère est anti-SSA/Ro positive. La présence d'un BAV chez un premier enfant d'une mère porteuse d'anti-SSA/Ro est suivie d'une grossesse normale dans 70% des cas, tandis que seulement 35% des grossesses seront normales si le premier enfant a présenté un lupus néonatal. La plupart des études concluent à un risque augmenté de bloc cardiaque en présence de l'Ac anti-SSA/Ro chez la mère et recommandent un suivi avec échocardiographie ftale entre la 18e et 24e semaine, le trouble cardiaque étant détecté en moyenne à la 23e semaine.15En conclusion, à l'heure actuelle, le LED n'est plus une contre-indication formelle à une grossesse, mais nécessite un suivi très rigoureux par des spécialistes dans un contexte multidisciplinaire.
Le LED est parmi les maladies auto-immunes, l'affection touchant les femmes avec la plus forte prédilection. L'environnement hormonal féminin, notamment l'hyperstrogénie, semble lié tant à la pathogénie de la maladie, qu'aux exacerbations de celle-ci. Néanmoins, il semble que l'excès de prolactine de même que la diminution de la déhydroépiandrostérone (DHAE) participent également à créer un milieu hormonal favorable au développement du LED. Par conséquent, toute manipulation pharmacologique modifiant la balance hormonale, et en particulier le taux d'strogènes est un facteur de risque pour le développement ou l'aggravation d'un LED. A noter néanmoins que cette modification de l'environnement hormonal peut être utilisée à but thérapeutique. En effet, des études récentes semblent démontrer que l'utilisation de DHAE dans le LED donne des résultats encourageants.
Qu'il s'agisse d'une contraception orale, d'une thérapie de substitution orale ou d'une induction d'ovulation, un risque d'exacerbation du LED existe, et ces thérapies doivent être utilisées avec précaution. Quant à la grossesse, elle est clairement associée à un risque de poussée lupique. Toute grossesse chez une femme avec LED devrait être programmée et uniquement chez des femmes dont la maladie est stable et contrôlée.