Les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont des organismes dont l'ADN a été transformé par l'introduction de gènes conférant des propriétés diverses. Bien que les industriels vantent les nombreux avantages des OGM, des craintes subsistent, quant à leurs impacts négatifs, tant sur l'environnement que sur la santé. Le transfert de gènes peut engendrer des conséquences involontaires dont en particulier le transfert d'allergènes, ou l'apparition de nouveaux allergènes. Un soja transgénique, contenant l'albumine 2S, s'est par exemple avéré avoir un fort potentiel allergénique, comparable à celui de la noix du Brésil dont le gène est issu. Ce risque doit être évalué bien que la procédure ne soit pas encore standardisée. Le risque allergique global des OGM n'est certainement pas nul mais semble acceptable, dans la mesure où il est plus faible que celui de nom-breux aliments nouvellement pré-sents dans notre assiette comme par exemple l'arachide.
La question des organismes génétiquement modifiés (OGM) a généré, depuis une décennie, un débat enflammé tant sur les risques sanitaires et écologiques que sur les problèmes éthiques et législatifs qu'ils engendrent.
Le génie génétique a permis de produire une nourriture abondante, bon marché et de haute valeur nutritive. Certains courants de pensée développementalistes soutiennent que les OGM représentent un espoir dans la lutte contre la faim à l'échelle planétaire. L'attitude parfois hautaine des entreprises de biotechnologies a soulevé un vent de fronde dans l'opinion publique. L'épisode récent des semences stériles, qui auraient obligé les agriculteurs à racheter annuellement des semences à leur fournisseur, a singulièrement contribué à noircir l'image des OGM.1
Le but de cet article est de discuter le risque potentiel des OGM pour la survenue d'allergies alimentaires, ainsi que d'aborder le risque potentiel sur l'environnement et la santé.
Les agriculteurs ont créé par hybridation, probablement depuis plusieurs siècles, des milliers de nouvelles variétés de plantes. Cette technique souffre cependant du fait qu'une compatibilité sexuelle suffisante doit être respectée afin d'obtenir des graines viables et non stériles. Par ailleurs, le résultat de greffes est totalement aléatoire et peut ne pas déboucher sur les résultats escomptés (variété plus résistante au froid, meilleur goût...).
Les nouvelles techniques de recombinaison de l'ADN permettent de surmonter cette limitation et donnent accès à un large panel génétique provenant d'autres organismes tels que plantes, levures, champignons ou bactéries et codant pour des propriétés potentiellement intéressantes telles que hautes qualités nutritives, résistances aux microorganismes, ou qualités de conservation améliorée.
L'ADN étranger peut être introduit dans les plantes par différentes techniques.
I Les plasmides de certaines bactéries pathogènes, telles que Agrobacterium Tumefaciens, ont été les premiers vecteurs utilisés pour l'incorporation d'ADN dans la cellule cible.
I Le bombardement de cellules végétales par des particules métalliques microscopiques recouvertes d'ADN est une alternative possible.
L'efficacité de transformation de ces techniques est néanmoins faible, mais le couplage de gènes de résistance, respectivement à un antibiotique (kanamycine) et à un herbicide, peut augmenter leur rendement.
I Le premier OGM, commercialisé sur le marché américain en 1994, est une tomate nommée «Flav Savr» modifiée pour rester fraîche plus longtemps. Cette modification a été possible en incorporant un gène antisens codant pour la polygalacturonase, une enzyme responsable de la dégradation de la fermeté de la chair du fruit. Le gène antisens diminue la transcription de l'ARNm, et donc l'expression de la polygalacturonase.2,3
Bien que les industries de biotechnologies aient un but principalement lucratif, l'avènement de la transformation génétique des plantes à grande échelle pourrait générer des progrès dans des domaines aussi variés que :
I la protection de l'environnement par la diminution de l'utilisation de pesticides qui accélèrent l'érosion des sols (en augmentant la résistance à l'égard des virus, des bactéries, des champignons, des parasites, des insectes et des pesticides) ;
I l'économie d'énergie (production d'ingrédients, d'additifs ou d'auxiliaires technologiques à coûts réduits) ;
I l'amélioration qualitative des constituants d'un végétal (riz enrichi en carotène, fruits et légumes à saveur intacte) ;
I la tolérance allergénique (riz hypoallergénique).
Près de 25% de la population pense souffrir d'une allergie alimentaire, néanmoins la plus grande partie des réactions incriminées sont en fait des intolérances alimentaires, réactions n'impliquant pas le système immunitaire et potentiellement moins graves. La prévalence de l'allergie alimentaire est maximale durant les premières années de vie et atteint environ 6% des enfants de moins de trois ans. Elle décline ensuite durant la première décennie, pour toucher environ 1,5% de la population adulte.4 Plus de 160 types d'aliments ont été répertoriés pour leur potentiel allergénique, mais 90% des allergies sont provoqués par les ufs, le lait, le poisson, les crustacés, les cacahuètes, le soja, le blé et les noix.
Plus de 98% des antigènes alimentaires sont neutralisés avant de passer la barrière de la muqueuse gastro-intestinale. Par ailleurs, la plupart des individus développent une tolérance à la présence de protéines potentiellement immunogéniques. En cas de prédisposition, cet état de tolérance peut néanmoins diminuer, et permettre ainsi l'expression d'un certain nombre
de manifestations allergiques. La susceptibilité des jeunes enfants aux allergies alimentaires pourrait être en partie liée à l'immaturité du système immunitaire. Par ailleurs, plusieurs études ont démontré que l'allaitement exclusif pouvait développer la tolérance et prévenir ainsi, chez des enfants prédisposés, la survenue d'allergies alimentaires et de la dermatite atopique.
Les réactions allergiques alimentaires impliquent plusieurs types de mécanismes immunitaires, dont les réactions IgE médiées. Les IgE spécifiques conduisent, en présence de l'antigène, à la dégranulation des mastocytes et des basophiles. La libération des médiateurs de l'inflammation, tels que l'histamine, est responsable de la survenue de symptômes qui surviennent habituellement entre quelques minutes à quelques heures après l'ingestion de l'aliment incriminé. La clinique peut être bénigne, avec des picotements des lèvres et de la bouche, mais peut également être plus bruyante, avec la survenue d'un bronchospasme, d'une urticaire/angidème, de poussées de dermatite atopique ou d'une rhinoconjonctivite. Les cas les plus sévères se rencontrent chez les patients fortement sensibilisés et peuvent se compliquer d'un choc anaphylactique.5Certains patients peuvent présenter des manifestations digestives, non IgE médiées, consistant en diarrhées chroniques, douleurs abdominales et/ou vomissements.
Le débat sur les risques engendrés par les OGM est malheureusement monopolisé par le discours simpliste et dogmatique de l'industrie, et la polémique, voire la «technophobie» véhiculée par certains groupes de pression environnementalistes.6,7
Il nous paraît donc important de prodiguer une information basée sur les connaissances scientifiques actuelles, si possible exempte d'interprétation passionnelle, en revoyant quelques risques potentiels liés aux OGM.
Certaines protéines possèdent un potentiel allergénique intrinsèque. Le transfert de gènes peut conduire à l'expression de protéines ayant un fort potentiel allergénique.6 Une étude de Nordlee et coll. a confirmé qu'un allergène majeur provenant d'un allergène alimentaire pouvait être transféré par génie génétique. Ces auteurs ont pu démontrer que des patients qui réagissaient au principal allergène de la noix du Brésil (albumine 2S) avaient également des tests cutanés et des IgE spécifiques positifs au soja transgénique contenant l'albumine 2S. Bien que ce soja soit de meilleure qualité nutritionnelle, de par sa concentration enrichie en méthionine, il n'a finalement pas pu être commercialisé suite à la démonstration de son allergénicité.6,8,9 Ce genre de situation devrait pouvoir être évité, en étudiant l'allergénicité du transgène chez des patients allergiques à la source du gène transfecté.
La question du risque allergique des OGM est donc à juste titre un sujet d'interrogation. Il faut cependant réaliser que ce risque paraît moindre que ceux liés à la consommation d'aliments issus de croisements par hybridation qui ne sont pas testés pour leur allergénicité potentielle. Par ailleurs, de «nouveaux» aliments tels que les fruits exotiques, ou même simplement de l'arachide, présentent un potentiel allergénique important et n'ont fait l'objet d'aucun débat lors de leur introduction. De nouvelles allergies alimentaires dues à l'introduction de denrées OGM ne sont certainement pas exclues mais leur nombre devrait rester marginal si un screening pour l'allergénicité potentielle du transgène est correctement effectué.
Certaines craintes subsistent concernant les risques environnementaux et sanitaires. Même si ces sujets ne sont pas directement en rapport avec le risque allergique des OGM, il nous semble important d'en retenir les points principaux.
Le maïs BT (OGM issu du Bacillus thuringiensis) sécrète une protéine toxique qui le protège contre l'invasion des larves d'un parasite. Mais la toxine BT est également exprimée dans le pollen qui peut être dispersé à plus de 60 mètres, où il pourrait agir sur un autre organisme : la larve du papillon monarque, dont la survie serait hypothéquée.10
Le gene flow ou flux de gènes est un phénomène naturel qui peut aboutir à la formation de nouvelles espèces, par hybridation spontanée, constituant ainsi une pollution génétique que l'on rencontre aussi bien dans les plantes natives que dans les OGM. Ce mécanisme a été incriminé comme étant responsable de l'émergence de résistances aux pesticides dans certaines espèces de mauvaises herbes.11Il est évident que ce risque est aussi peu contrôlable pour les OGM que pour les organismes non manipulés.
Des gènes de résistance aux antibiotiques peu-vent être présents dans les plasmides, soit de manière fortuite, soit introduits volontairement pour améliorer le rendement des OGM. Bien que les industriels rassurent régulièrement l'opinion publi-que, les doutes sur le risque possible de transmission de cette résistance à l'homme et à l'environnement ne sont pas encore complètement dissipés.12
Le potentiel allergénique d'une protéine génétiquement modifiée peut être évalué, bien qu'il n'existe pas encore de consensus sur ce sujet.
La plupart des protéines allergéniques ont un poids moléculaire se situant entre 10 et 70 kilodaltons et résistent classiquement à la chaleur, à l'acidité et à la peptinase, conditions rencontrées lors de la digestion. La première règle consiste à être particulièrement prudent avec des protéines possédant ces propriétés, et à éviter de transférer des gènes codant pour des protéines alimentaires connues pour leurs potentiels allergéniques. La deuxième étape est basée sur des méthodes in vitro (RAST, ELISA, immunoblotting), à l'aide de 10 à 20 sera de patients connus pour une allergie à l'aliment source du gène. La dernière étape est basée sur des tests in vivo (tests cutanés, tests de provocation alimentaire en double aveugle) qui devraient être effectués chez dix à vingt patients (fig. 1).
L'évaluation du risque allergénique d'une protéine alimentaire, issue du génie génétique, reste certainement encore insuffisante. Des centaines d'aliments provenant d'OGM devraient bientôt être commercialisées. La probabilité qu'une allergie imprévue survienne dans le futur, pourrait donc sensiblement augmenter. Il s'avère par con-séquent urgent de standardiser, à l'échelle mondiale, les méthodes d'évaluation du risque allergénique des OGM.6,7,13,14,15
Tous les OGM, qu'il s'agisse de denrées alimentaires, d'additifs ou d'auxiliaires technologiques, sont soumis à une procédure obligatoire de demande d'autorisation, qui a pour but d'assurer la protection sanitaire. Bien que souffrant de certaines exceptions, la loi générale sur l'étiquetage est censée proté-ger le consommateur, grâce à la mention obligatoire : «Produit OGM». L'étiquetage rigoureux des OGM, avec mention de leurs risques allergéniques, devrait servir de garde-fou en attendant une législation plus précise. Les autorités fédérales délivrent les autorisations, les laboratoires cantonaux contrôlent le respect de la loi, mais la responsabilité de la sécurité intrinsèque du produit incombe au fabricant ou à l'importateur.
Paradoxalement, en dehors de leur risque allergénique potentiel, les OGM pourraient représenter un espoir pour les patients souffrant d'allergies alimentaires chez qui la prise en charge était jusqu'à présent basée sur l'éviction. Les OGM ouvrent de nouvelles perspectives de prévention et de traitement, avec la possibilité de produire de grandes quantités d'aliments de haute valeur nutritionnelle, mais dotés d'épitopes moins allergéniques.16 Le riz hypoallergénique est un exemple de transgène qui sous-exprime une protéine de 16 kilodaltons, à laquelle de nombreux enfants japonais sont sensibilisés. Ce nouvel OGM pourrait être consommé par des atopiques à large échelle, à la place du riz traditionnel, dans des zones où cet aliment est prépondérant, et diminuer le nombre de sujets sensibilisés.3
La thérapie génique représente dans un domaine voisin, une nouvelle stratégie d'induction de tolérance à divers antigènes alimentaires. Des travaux sur Ara h2, un allergène majeur de la cacahuète, sont très prometteurs. En effet, des souris, recevant dans leur alimentation le gène codant pour cette protéine associé à un polysaccharide pour empêcher sa digestion, semblent être protégées contre l'allergie et l'anaphylaxie à la cacahuète. L'administration orale de gènes codant pour des protéines allergisantes pourrait, dans le futur, devenir une technique permettant de soulager les patients souffrant d'allergies alimentaires.17
Le risque allergénique lié à la consommation des OGM n'est pas nul, mais semble faible et sanitairement acceptable. Les procédures obligatoires pour explorer le potentiel allergénique d'un aliment transgénique devraient être clairement établies par le législateur en collaboration avec l'industrie et des scientifiques indépendants. La promotion de la recherche dans le domaine des allergies alimentaires devrait rapidement devenir une priorité afin de mieux prédire le potentiel allergénique des protéines issues des nouveaux OGM. L'instauration d'un dialogue transparent entre l'opinion publique et l'industrie est l'une des conditions nécessaires à l'établissement d'un consensus social autour des applications futures du génie génétique, notamment dans le domaine de l'alimentation.