Les parfums sont actuellement une des causes les plus fréquentes de dermite de contact allergique. L'utilisation intense des dérivés parfumés et l'introduction de nouvelles substances semblent être à l'origine d'une augmentation de l'incidence de ces allergies. Cet article résume l'état de nos connaissances concernant l'épidémiologie de l'allergie aux parfums, les façons de la reconnaître et de l'investiguer. Il aborde également le fonctionnement des organes de contrôle dont s'est doté l'industrie ainsi que les enjeux politiques récents : exigence européenne à indiquer les ingrédients parfumés.
Les parfums sont des substances naturelles ou synthétiques apportant une odeur agréable. Le terme de «parfum» s'applique ainsi à des produits souvent complexes dont les ingrédients sont d'origine végétale, animale ou synthétique. Les parfums sont devenus ubiquitaires puisque les substances odoriférantes sont largement utilisées dans la plupart des produits manufacturés : eaux de Cologne, eaux de toilette mais aussi cosmétiques, produits capillaires, médicaments, produits d'hygiène (papier toilette, etc.), la droguerie et l'industrie. Dans les temps anciens, les gants étaient délicatement parfumés et de nos jours des essais ont été faits pour parfumer des vêtements et même des journaux. Dans tous ces produits, la présence du parfum est le plus souvent signalée sans formule détaillée. Concernant les parfums «haute couture», leur composition, souvent complexe, est le plus souvent tenue secrète. Seul le parfumeur en connaît la formule.
La concentration en parfum d'un produit parfumé varie cependant grandement selon le type de produits : 20-40% pour un parfum, 5-30% pour une eau de toilette, 4% pour une Cologne, 0,5-4% pour les produits de douche, 0,3-0,5% pour les cosmétiques classiques, 0,1-0,3% pour les lessives.
Compte tenu de leur nature chimique et de l'emploi actuellement intense des parfums dans notre vie quotidienne, il n'est pas surprenant de constater que l'allergie aux parfums soit devenue la première cause d'allergie aux cosmétiques. Un témoin de cette allergie croissante est l'apparition depuis quelques années de nombreuses marques de produits dits sans parfum sur le marché.
Dans une étude rétrospective récente pratiquée au sein du Département hospitalo-universitaire romand de dermatologie (DHURDV) nous avons évalué les tests épicutanés de 3580 patients ayant consulté entre octobre 1995 et octobre 1999. L'incidence d'une réaction positive au parfum (mélange de parfums) a été estimée à 13,5%. L'allergie aux parfums comme on pouvait s'y attendre touchait plus les femmes (66%) que les hommes (34%). Toutes les classes d'âge étaient atteintes : 3% au-dessous de 15 ans, 9,5% (16-30 ans), 22,3% (31-45 ans), 27,2% (46-60 ans), 18% (61-75 ans) et encore 18% au-dessus de 75 ans.
Ces résultats sont tout à fait superposables à la plus récente étude conduite aux Etats-Unis par le Groupe d'étude la North American Contact Dermatitis qui montrait une incidence de 14% de l'allergie aux parfums sur les 3000 patients testés.1 Dans cette étude l'allergie aux parfums arrivait en deuxième position juste derrière le nickel, pour lequel on observait une prévalence de 14,3%. La plupart des centres à travers le monde détectent une augmentation2 de l'allergie aux parfums avec des taux de 7,5% en Inde à 19,5% à Hongkong. En ce qui concerne l'incidence dans la population générale, Edman signalait en 1994 un taux d'environ 1% dans la population danoise.3
Il semble donc essentiel que les médecins et les dermatologistes en particulier, sachent reconnaître les différentes sources, souvent cachées des parfums. Souvent, médecins et patients ne pensent à la présence de parfums que dans les produits classiques (Cologne, parfums traditionnels). Cependant, le plus souvent, lors-que le patient développe une réaction allergique au parfum la source du parfum est un produit d'hygiène, cosmétique, ou capillaire. Devant une réaction cutanée allergique, la responsabilité de ces produits n'est suspectée qu'approximativement dans 50% des cas par les patients ou les médecins.4
La première démarche diagnostique est de reconnaître rapidement l'allergie aux parfums, car son tableau clinique est plus varié que l'on aurait pu l'imaginer. L'intolérance aux parfums peut se manifester par un simple prurit localisé. Un eczéma érythémato-vésiculeux banal qui siège cependant le plus souvent au niveau du visage, du cou ou derrière les oreilles. On signale également des localisations au niveau des mains, soit sous la forme d'un eczéma sec, soit sous forme de dysidrose. Au niveau des avant-bras, l'aspect peut simuler une dermatite atopique avec un renforcement des lésions au niveau du pli du coude ou des poignets. Des lésions d'eczéma nummulaire, séborrhéique sont également fréquemment rapportées.
Certains constituants des parfums sont à la fois sensibilisants et photosensibilisants (musc ambrette, méthyle 6 coumarine), rendant donc possible l'apparition de réactions cutanées suite à l'exposition solaire. Le plus souvent, il s'agit de réactions phototoxiques laissant des lésions pigmentées (dermite en breloque).
L'urticaire de contact est plus rare et surtout décrit avec le baume du Pérou, les dérivés cinnamiques et la vanille. Il faut noter la possibilité d'un mécanisme aéroporté soit à partir d'émanations venues de l'environnement du patient, soit à partir du parfum appliqué sur les vêtements. Enfin, plus anecdotique mais pas exceptionnelle, la dermite de contact dite par procuration, où le conjoint développe, par exemple, un eczéma à l'eau de toilette de son épouse.
Une fois l'allergie aux parfums suspectée encore faut-il la confirmer. Il existe plus de 100 essences naturelles et des milliers de produits de synthèse. De plus un parfum fini peut contenir, comme un bon vin, jusqu'à 300 ingrédients différents, dont le détail n'est fourni par le producteur qu'après de longues démarches. Il est donc difficile de tester (tests épicutanés) un patient avec tous les allergènes disponibles.
Depuis plusieurs années les dermatologistes ont recherché des marqueurs de l'allergie aux parfums. Le baume du Pérou renfermant des dérivés cinnamiques, a longtemps permis de déceler des cas de sensibilisation à ces ingrédients contenus dans les huiles essentielles. Le mélange de parfums (dit «fragrance mix») est actuellement le plus utilisé. Il est constitué de huit produits : le géraniol, l'aldéhyde cinnamique, l'alcool cinnamique, l'aldéhyde alpha-amyl cinnamique, l'eugénol, l'iso-eugénol, l'hydroxycitronellol et la mousse de chê-ne. Chacun des constituants étant dosé à 1%. Bien qu'il soit encore imparfait, ce mélange de parfums5 permet une bonne approche pour le dépistage d'une allergie aux parfums. D'autres allergènes sont disponibles et peuvent être testés en deuxième intention ainsi bien sûr que les produits personnels apportés par les patients. A noter qu'une étude récente internationale multicentrique a permis de montrer que le mélange de parfums co-réagissait dans 86% des cas avec trente-deux des principaux constituants des parfums.6
L'industrie des parfums est consciente depuis de nombreuses années de son intérêt à transmettre une bonne image de marque, en protégeant le consommateur. Il existe actuellement deux principales organisations régulatrices internes : l'Institut de recherche pour les matériaux parfumés (RIFM) et l'Association internationale de recherche sur les parfums (IFRA).7 Le RIFM est un organisme de recher-che de l'industrie dont le siège se situe dans le New-Jersey (Etats-Unis). Les principaux producteurs de parfums de la planète en sont membres. Le RIFM a étudié les données toxicologiques (toxicité orale et cutanée, phototoxicité, sensibilisation et irritation) d'environ 1300 substan-ces parfumées, qui sont régulièrement publiées dans le journal Food and Chemical Toxicology. L'IFRA dont le siège est à Genève est un groupe d'associations nationales représentant plus de cent producteurs dans quinze pays. Chaque pays membre est représenté dans une commission (commission de conseils techniques) qui analyse les recommandations fournies par le RIFM, surtout pour ce qui concerne la sécurité d'emploi des substances parfumées, et qui tente de les faire appliquer.
Cependant, certains soulignent que, malgré le travail de ces organisations bien structurées, leurs recommandations ne sont pas toujours suivies par les producteurs. Prenons le cas du baume du Pérou, un mélange complexe de résines aromatiques composées de nombreux ingrédients (acide cinnamique, aldéhyde cinnamique, méthyle cinnamate, benzyle benzoate, benzoïque acide, alcool benzylique et vanilline). Sur les recommandations de l'IFRA il devrait être banni en raison de son fort potentiel sensibilisant.8 Or on est surpris de le retrouver dans des produits pour les soins du siège des enfants.9En effet, n'est-ce pas la meilleure manière de sensibiliser un enfant au parfum que de lui appliquer de tels dérivés, bannis de l'IFRA, et de plus sous occlusion ? Concernant les règlements nationaux, ils varient et se basent le plus souvent sur les informations des deux organismes indépendants.
Comment mieux répondre au problème de l'allergie aux parfums que d'éliminer totalement les ingrédients parfumés dans l'environnement d'un patient sensibilisé ? Tout pourrait paraître simple si hélas cette terminologie «sans parfum» n'était pas parfois un leurre. Pour certains, cette terminologie, dans le climat actuel, est à considérer comme le terme «hypoallergénique», «testé dermatologiquement», «pour peau sensible», et ne serait donc qu'un slogan commercial à considérer avec précautions. Dans son site Web actuel (http : www.fda.gov) la Food and Drug Administration avertit clairement que les produits sans parfum peuvent tout de même contenir certains dérivés chimiques de parfums.
En effet, il n'y a actuellement pas de définition légale du terme «sans parfum». Une même substance pouvant être considérée à la fois pour ses qualités de parfum et de conservateur ou d'émulsifiant, elle peut figurer dans un produit libellé non parfumé.10C'est le cas par exemple de plusieurs substances souvent utilisées dans des produits sans parfum : alcool de benzyle, bisabodol, benzaldéhyde, cyclopentadécanolide, huile d'amande, etc.). Un étiquettage minutieux des ingrédients du produit dit sans parfum permettrait d'aider le consommateur, le patient allergique et surtout le médecin qui doit le conseiller et le guider dans ses choix.
Ces deux dernières années la Commission européenne a en effet décidé de débattre de l'obligation d'indication des ingrédients de tous les produits parfumés (étiquettage). L'enjeu est considérable et le sujet est l'objet de débats contradictoires. En apparence, l'étiquettage permettrait une meilleure information du consommateur. Cependant ceci est tempéré par l'extraordinaire complexité des parfums qui contiennent souvent plusieurs dizaines de substances, dont de nombreuses substances «naturelles», rendant ainsi l'information à la fois difficile à fournir et à utiliser. A cette occasion, on a mesuré les insuffisances dans la connaissance sur l'allergie aux parfums ; ces insuffisances con-cernent : la morbidité réelle de ces allergies ; les mesures à prendre en termes de prévention primaire ; de prévention secondaire (dont l'étiquettage) ; l'éviction des ingrédients parfumés sensibilisants (tableau 1) ; la recherche de nouvelles substances de remplacement plus sûres ; l'identification moléculaire des substances sensibilisantes11 ainsi que l'étude des mécanismes d'absorption et de biotransformation des substances parfumées dans l'épiderme humain.12
On perçoit ainsi que ce domaine va connaître un développement important, et favoriser des interactions scientifiques entre l'académique et l'industrie. Imaginer un monde sans parfums dépasse nos capacités d'acceptation de la vie quotidienne ; imaginer un monde sans parfums allergisants est sans doute du domaine de l'impossible. Contribuer à minimiser le risque de ce plaisir constitue le challenge nouveau dans ce domaine.