A part les facteurs de risque cardiovasculaire classiques tels que l'augmentation des LDL et l'abaissement des HDL, l'hypertension artérielle, le tabagisme et le diabète sucré ainsi que certains facteurs prédisposants, de nouveaux facteurs associés à un risque cardiovasculaire accru ont été identifiés. Parmi eux figurent l'homocystéinémie, la protéine Créactive détectéepar méthode ultrasensible (high sensitivity CRP), des facteurs hémostatiques notamment le fibrinogène, le t-PA, le PAI-1, les d-dimères et la Lp(a). L'importance de ces facteurs est discutée à l'aide d'études récentes.
La maladie coronaire demeure la cause de mort la plus importante dans les pays industrialisés. Ceci malgré les efforts intensifs dans la prévention et le développement de médicaments très efficaces dans le traitement des personnes symptomatiques. La maladie coronaire est une maladie multifactorielle et un grand nombre de facteurs de risque a été établi dans le passé. Selon Grundy,1nous distinguons les facteurs de risque indépendants majeurs, les facteurs de risque prédisposants et les facteurs de risque conditionnels (tableau 1). Les facteurs de risque indépendants se comportent entre eux de façon additive en vue du risque cardiovasculaire, les facteurs prédisposants augmentent l'effet des facteurs de risque majeurs, tandis que les facteurs de risque conditionnels sont associés avec un risque augmenté, mais leurs parts quantitatives ne sont pas encore entièrement élucidées. Le but de cette étude est de présenter de nouveaux facteurs de risque cardiovasculaire et de discuter de leur importance.
L'homocystéine, qui a aussi été dénommée cholestérol des années 90,2 est un produit intermédiaire du métabolisme de la méthionine (fig. 1). La reméthylation dépend de la vitamine B12 et de l'acide folique, la transsulfuration dépend de la vitamine B6. Une augmentation des valeurs d'homocystéine peut être due aux causes suivantes :
défauts génétiques ;
apports insuffisants en vitamine B12, B6 ou en acide folique ;
autres causes telles qu'insuffisance rénale, hypothyroïdisme, anémie pernicieuse, tabagisme, médicaments.
Graham et coll.3 ont montré que les valeurs augmentées d'homocystéine peuvent contribuer à une augmentation du risque relatif cardiovasculaire notamment en présence des facteurs de risque classiques, tels que l'hypercholestérolémie, le tabagisme et l'hypertension artérielle. Les résultats d'une méta-analyse d'études sur l'association entre homocystéine et maladie coronarienne par Boushey et coll.4 sont présentés dans le tableau 2. Toutes les études, à une exception près, ont montré une augmentation des odds ratio de plus de 1,5 et ceci tant chez les hommes que chez les femmes. A noter que, pour ces dernières, les odds ratio sont même un peu plus élevés que chez les hommes. Du point de vue génétique, l'échange C Æ T dans la position 677 du gène de la méthylène-tétrahydrofolate-réductase représente une mutation relativement fréquente, dans la mesure où la forme homozygote est observée chez 12% de la population générale, ce taux étant de 45% dans la forme hétérozygote. Bien que cette mutation cause une élévation des concentrations sanguines d'homocystéine, elle n'est cependant pas un facteur de risque indépendant.5,6Par ailleurs, l'élévation du risque associée à l'hyperhomocystéine secondaire à cette mutation peut être corrigée par une réduction du taux d'homocystéine.
La CRP est un marqueur sensible d'une inflammation systémique. Des études prospectives chez des hommes sains ont montré que les valeurs basales de la CRP peuvent prédire le risque d'un premier infarctus du myocarde7 et peuvent renforcer la valeur prédictive des paramètres lipidiques.8 Une méta-analyse visant à évaluer l'importance de la CRP en tant que facteur de risque cardiovasculaire a été publiée récemment par Lagrand et coll.9 Ces auteurs ont évalué huit études ayant ajusté les résultats aux autres facteurs de risque et neuf autres études qui n'avaient pas procédé à un tel ajustement. Les résultats peuvent être résumés de la façon suivante :
I La concentration de la CRP est prédictive des accidents cardiovasculaires : quatre études sans correction pour les autres facteurs de risque et quatre études avec correction ont montré une corrélation entre les valeurs de CRP et la survenue des événements coronariens. Une étude n'a pas montré de corrélation entre les taux de CRP et les accidents coronariens.
I La CRP est associée au risque de mortalité coronarienne ou d'infarctus du myocarde dans deux études ajustées aux autres facteurs de risque.
I La CRP est prédictive des complications post-infarctus : une corrélation significative entre la concentration de CRP et les complications post-infarctus a été constatée dans quatre études avec ajustement pour d'autres facteurs de risque, mais une étude sans ajustement fut négative.
I La CRP est corrélée à la taille de l'infarctus : une association fut observée dans trois études non ajustées aux autres facteurs de risque. A l'inverse, une étude avec un tel ajustement n'a pas montré de corrélation.
De tels résultats engendrent les réflexions suivantes.
La CRP pourrait refléter une réaction inflammatoire des artères coronaires en réponse à des agents pathogènes ou à l'extension et à la gravité de l'athérosclérose ou de l'ischémie du myocarde. La CRP pourrait aussi être l'expression de l'importance de la nécrose du myocarde où elle pourrait refléter la quantité et l'activité de cytokines circulantes de type pro-inflammatoire (par exemple, TNFa, IL-1, IL-6). Ces mécanismes plaideraient plutôt pour un rôle de spectateur conféré à la CRP. Lagrand et coll.10 ont développé une hypothèse selon laquelle la CRP aurait un rôle actif dans la pathogenèse des maladies cardiovasculaires. Ces auteurs ont trouvé une colocalisation de la CRP et des facteurs du système du complément activés dans le myocarde infarci de patients morts d'un infarctus, mais non pas dans le myocarde normal. Apparemment, la CRP contribue à l'inflammation du myocarde ischémié par une activation du système du complément. En effet, la CRP et certains composants du système du complément ont été mis en évidence dans les vaisseaux athérosclérotiques.11 Les composants activés du système du complément peuvent contribuer à l'endommagement des vaisseaux et du myocarde par des mécanismes de stimulation, tels qu'agrégation et dégranulation des neutrophiles, accélération de la coagulation par l'expression du tissue factor et formation de microvésicules procoagulantes, voire même par un endommagement direct des cellules endothéliales et des cardiomyocytes par le membrane attack complex C5b-C9. L'activation du système du complément par la CRP nécessite la liaison de la CRP à un ligand correspondant. C'est ainsi que la CRP peut se lier aux lysophospholipides formés par la phospholipase A2 qui peuvent être démontrés dans le myocarde infarci.12La CRP liée conduit donc à une activation de la cascade du complément qui augmente l'inflammation et contribue dès lors à l'endommagement et à la dysfonction du myocarde.
La thrombose coronarienne est généralement considérée comme l'événement clé dans la pathogenèse de l'infarctus du myocarde aigu, qui caractérise la transition de la maladie coronarienne stable à la phase aiguë (angine instable, infarctus du myocarde ou mort subite). Parmi les facteurs hémostatiques qui ont été examinés en fonction du risque cardiovasculaire figurent le fibrinogène, le facteur VII, le facteur X, le facteur de von Willebrand, l'inhibiteur de l'activateur du plasminogène (PAI-1), le plasminogène, la protéine C, l'antithrombine III, l'activateur tissulaire du plasminogène (t-PA) et les d-dimères. Le fibrinogène est apparu comme un indicateur important et indépendant du risque d'athérosclérose. Une métaanalyse de six études prospectives ayant évalué le rôle du fibrinogène en tant que prédicteur d'événements cardiovasculaires et d'accidents cérébrovasculaires est présentée dans la figure 2.13 Quelles que soient les études, on constate que les odds ratio aussi bien pour la maladie coronarienne que pour l'apoplexie sont égaux à 2 ou plus. Cependant, la relation de causalité entre l'augmentation du fibrinogène et le développement de l'athérosclérose demeure non élucidée.
L'importance des facteurs hémostatiques sur le risque de la maladie coronarienne a été évaluée dans une étude prospective récente ayant inclus le fibrinogène, les facteurs VII, VIII, de von Willebrand, la protéine C, l'antithrombine III, le PTT activé, les thrombocytes et les leucocytes activés dans un collectif mixte de femmes et d'hommes.14 Les résultats peuvent être résumés de la façon suivante : chez les femmes, une différence significative entre les tertiles supérieur et inférieur a été observée pour le fibrinogène, les facteurs VII, VIII et von Willebrand et les leucocytes activés. En revanche, il n'y a pas eu de différence significative pour la protéine C, l'antithrombine III, le PTT activé et les thrombocytes. Chez les hommes, seuls le fibrinogène, le facteur de von Willebrand et les leucocytes différaient de façon significative.
Le système fibrinolytique représente un mécanisme de défense important contre les accidents thrombotiques et cardiovasculaires ischémiques dans lequel le t-PA et le PA-1 jouent un rôle majeur. L'activité fibrinolytique intravasculaire est réglée par un équilibre entre les activateurs du plasminogène, avant tout le t-PA et les inhibiteurs comme PAI-1 et l'a2-antiplas-mine. L'événement clé de cette cascade réside dans la conversion du plasminogène en plasmine, la forme protéolytique active, capable de dégrader la fibrine. La formation de plasmine dépend fortement de la concentration de PAI-1. Une activité fibrinolytique abaissée est corrélée à une élévation des concentrations du t-PA et du PAI-1, correspondant largement au complexe t-PA/PAI-1. Le rapport entre ces différents paramètres est résumé dans la figure 3.
Alors que plusieurs études démontrent que le temps de coagulation et que la concentration de t-PA sont prédictifs du risque de morbidité et de mortalité cardiovasculaires,15,16 des résultats divergents ont été observés quant à l'activité du PAI-1.15,17,20 L'activité du PAI-1 semble corrélée non seulement à l'index de masse corporelle et aux triglycérides, mais également à la consommation d'alcool et au tabagisme. L'étude prospective ECAT18 (European Concerted Action on Thrombosis and Disabilities) qui avait pour but d'investiguer plus précisément le rôle du système fibrinolytique sur le risque de maladie cardiovasculaire a confirmé qu'une augmentation des concentrations du t-PA et du PA-1, ainsi qu'un accroissement de l'activité du PAI-1 engendraient une nette élévation du risque d'accidents coronariens.
Parmi les différents facteurs hémostatiques considérés dans le cadre d'études prospectives, les d-dimères sont apparus comme étant un facteur de risque indépendant d'événements coronariens récurrents.19 Les d-dimères ont également été corrélés à l'athérosclérose coronarienne, périphérique et précérébrale.20
La lipoprotéine(a), Lp(a), est une lipoprotéine spéciale qui est composée d'une particule LDL et d'une molécule de protéine désignée apo(a). La structure de l'apo(a) présente une très forte homologie à celle du plasminogène.21 C'est pourquoi Lp(a) possède des propriétés pro-athérogènes et pro-thrombogènes. Les différents phénotypes de l'apo(a) déterminent sa taille ainsi que sa concentration sérique. Diverses études ont démontré que la Lp(a) engendrait une athérogénicité accrue en cas d'augmentation conjointe des concentrations de Lp(a) et de LDL-cholestérol.22,23
L'évaluation de l'utilité clinique de nouveaux facteurs de risque peut être facilitée en se basant sur les critères proposés récemment par Ridker et figurant dans le tableau 3.24 Ceux-ci sont basés sur l'existence ou non de tests standardisés, la consistance des études prospectives et l'apport additionnel à la valeur prédictive du risque cardiovasculaire fourni par le cholestérol total et le HDL-cholestérol. En l'état actuel, ces marqueurs additionnels ne sont pas recommandés pour le dépistage de routine des patients asymptomatiques. En revanche, ils pourraient être indiqués chez certains patients avec anamnèse familiale de maladie coronarienne prématurée, sans facteurs de risque classiques (hyperlipémie, tabagisme, hypertension artérielle, diabète sucré) ou chez des patients coronariens sans facteurs de risque classiques. Enfin, au plan thérapeutique, en présence d'un ou plusieurs de ces nouveaux facteurs de risque, il y a lieu d'intensifier le traitement des facteurs de risque classiques dont l'efficacité a été largement démontrée.